Quel nouveau rôle pour les managers ?
Face à des évolutions majeures dans le monde de l'entreprise, notamment une plus grande autonomisation des salariés, que reste-t-il du travail du manager ? Lors d'une conférence, Frédéric Petitbon et Julia Bastianutti sont revenus sur le désarroi du manager et les pistes pour renouveler son rôle.
Je m'abonne"Le manager est déboussolé" : tel est le constat de Frédéric Petitbon, associé chez PwC. Quelles relations adopter avec ses subordonnés, leur conférer plus d'autonomie ou plus les surveiller ? Doit-il lui aussi tendre vers plus de libertés dans son travail, alors que ses supérieurs placent toujours autant de pression sur ses épaules mais le guident de moins en moins dans ses missions ? Lors d'une conférence à l'IAE de Paris en ce début d'année, Julie Bastianutti et Frédéric Petitbon, auteurs avec Marguerite Descamps du livre Managers : libérez, délivrez, surveillez ?, sont revenus sur le phénomène croissant du manque de repères chez les cadres.
Le désarroi des managers est d'autant plus grand qu'ils sont, ont fait remarquer les deux auteurs, souvent pris en étau entre une injonction à la libération de leurs subordonnés et une réalité beaucoup plus nuancée. Alors que le modèle start-up semble être le but ultime à atteindre, Julia Bastianutti, maîtresse de conférence à l'université de Lille, affirme que, s'ils cherchent des projets innovants, non, tous ses étudiants ne rêvent pas de start-up !
Le travail à distance, quant à lui, est souvent vu comme un moyen des collaborateurs à accéder à plus d'autonomie et se sentir mieux dans leur entreprise. Mais il peut aussi creuser le fossé entre les managers et leurs équipes, notamment lors de l'utilisation de plateformes de travail à distance : "Si on se rend compte que son manager est alerté de la moindre modification sur un document commun en ligne, cela peut créer un fort niveau de stress et de défiance, surtout si ce n'est pas dit", explique Julia Bastianutti. Dans ces cas-là, l'autonomie apparente se transforme en surveillance insidieuse, car les managers exigent de la transparence de leurs subordonnés sans l'appliquer à eux-mêmes.
Ces éléments font que le manager ne sait plus quelle posture adopter avec ses équipes, quelle distance respecter. Comble de la perte de repères, explique Frédéric Petitbon, "il ne sait plus comment s'habiller : mettre une cravate ? Plus grand-monde n'en porte! Pourtant, il lui faut bien un signe distinctif...
Tout le monde veut-il vraiment être libre ?
Le travail libéré n'est pas un schéma à appliquer de façon monolithique.
Depuis plusieurs années, médias et chercheurs parlent beaucoup de l'entreprise libérée. Les managers voulant rester au goût du jour auraient-ils alors intérêt à responsabiliser au maximum leurs équipes, leur laissant le soin de juger de la pertinence de leurs actions ? pas toujours, car le travail libéré n'est, pas plus que d'autres idées répandues, un schéma à appliquer de façon monolithique. La chercheuse rappelle que, si l'autonomie du travail n'est pas une nouveauté - des organisations l'appliquaient déjà dans les années 1800, notamment les familistères des entreprises Godin - il ne faut pas croire que la libération du travail soit applicable partout de manière uniforme - "dans une centrale nucléaire ou une entreprise de livraison de pizza, cela n'a pas forcément de sens".
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Surtout, les équipes désirent-elles réellement plus de libertés ? C'est une question que doivent se poser sérieusement les managers et les dirigeants. "Il est parfois plus pratique pour les dirigeants de décréter que désormais, chacun est responsable de soi-même, mais quand c'est imposé d'en haut, cela peut être vécu comme une grande violence par ceux qui n'y sont pas préparés".
De plus, selon les auteurs, la difficulté pour les entreprises réside dans l'impossibilité d'établir un schéma organisationnel valable pour tous les services. "Dans les entreprises coexiste désormais des zones en mode start-up, agiles, avec beaucoup d'informel, et des services, comme la finance, plus posés, avec des processus systématiques", analyse Frédéric Petitbon. Par conséquent, "la réponse est de plus en plus micro-managériale : c'est au manager de donner du sens à son équipe".
Changer les autres et se changer soi-même
Certaines organisations sont très performantes parce qu'elles fixent des objectifs pour une durée déterminée
Mais comment les managers peuvent-ils s'adapter aux besoins changeants de leurs équipes, alors qu'il semble n'exister aucun modèle idéal ? Selon l'associé de Price Waterhouse Cooper, ils doivent d'abord adapter leur comportement dans les relations bilatérales avec leurs collaborateurs. Les auteurs suggèrent ainsi la mise en place d'un "contrat de confiance à durée déterminée", c'est-à-dire qui explicite sur le court terme quelles sont les attentes et les missions des deux parties, en renouvelant ce genre d'échanges assez régulièrement.
Frédéric Petitbon fustige aussi "le risque mortel du faux confort" qui risque d'advenir si l'entreprise ne fait pas évoluer ses salariés, ce qui conduira tôt ou tard à des blocages. Partir, cela peut vouloir dire accéder à un poste dans un autre service de l'entreprise, ou carrément quitter celle-ci. "Certaines organisations sont très performantes parce qu'elles préviennent explicitement que la personne engagée fera un travail passionnant sur un temps donné, et qu'ensuite on l'aidera à partir vers un autre poste intéressant".
Les managers doivent également jouer le jeu de nouvelles règles de l'espace de travail. Il leur incombe de définir le fonctionnement de la communication numérique dans l'équipe et le rôle du chef dans celle-ci (comment doivent être supervisés les réseaux sociaux d'entreprise, quelle est la supervision) et de faire en sorte que l'équipe s'approprie son lieu de travail, même quand il est collectif, en le personnalisant. Ils doivent en revanche éviter de s'isoler dans un bureau si l'équipe travaille dans un espace commun. C'est aussi à eux de stabiliser des temps collectifs compatibles avec les périodes de télétravail. "Aujourd'hui, les réunions trop longues, médiocres et mal préparées ne sont plus tolérées", affirme Frédéric Petitbon.
Les managers doivent aussi se changer eux-mêmes : se faire confiance mais aussi se remettre en cause, travailler sur leurs émotions, faire confiance aux autres et apprendre le lâcher-prise. "Les managers et leurs équipes doivent apprendre ensemble, assure Frédéric Petitbon, remettre en cause les pratiques des managers. Mais c'est aux managers d'être précis et clairs sur quelques règles communes, et de s'appliquer à eux-mêmes les rites qui ont cours dans leurs équipes".
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