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Sortir de la dépendance aux métaux rares, aussi polluants que stratégiques

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
Sortir de la dépendance aux métaux rares, aussi polluants que stratégiques
© @ Pawel Opaska

"La problématique des métaux rares sur nos chaînes d'approvisionnement et nos industries est un sujet critique aussi bien pour nos activités actuelles que pour accompagner les transitions numérique et écologique", explique Pablo Maniglier, auteur d'un livre sur ce sujet.

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En parallèle de ses études à l'IAE Grenoble - Desma, Pablo Maniglier a écrit un ouvrage sur la fonction achat et les enjeux sur l'achat et l'approvisionnement en métaux rares et terres rares, Métaux rares et terres rares : Comment réduire notre dépendance ?, paru aux éditions Campus Ouvert. Rencontre... et explications passionnantes.

Pourquoi vous être intéressé à ce sujet si particulier?

J'ai un jour pioché comme journal de gare le livre de Guillaume Pitron "La guerre de Métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique". La problématique était passionnante, et le sujet largement méconnu du grand public, car assez complexe, mais pourtant essentiel. On y retrouvait des aspects politiques, géopolitiques, industriels, environnementaux, technologiques, sociaux, financiers, historiques, militaires.

En parallèle, j'étais en stage dans le secteur de la défense et plus précisément au sein d'un département travaillant sur des problématiques relatives aux "minerais de conflit". La validation de mon année universitaire étant sanctionnée par la rédaction d'un mémoire de stage, j'ai alors choisi d'écrire sur les questions que soulèvent les métaux et terres rares pour les grands groupes.

À la sortie du stage et une fois mon mémoire fini, j'ai voulu "creuser" le sujet en partant d'un constat assez simple : il s'agissait, et il s'agit toujours, d'un sujet qui n'est pas assez traité en Europe alors que nos "rivaux" (USA / Chine, etc.) font plus que simplement s'y intéresser puisqu'ils ont développé des "doctrines" sur les métaux rares. Il me semblait donc important de modestement participer à la sensibilisation sur ce sujet en écrivant ce livre.

En amont, pouvez-vous nous préciser ce que l'on entend par métaux rares et terres rares ? Où sont-ils majoritairement extraits et pourquoi n'y a-t-il pas plus de gisements ?

Il est essentiel de clairement définir ces termes, car on assiste à beaucoup d'abus de langage et parfois des confusions.

Les métaux rares représentent une quarantaine d'éléments du tableau périodique. Ils sont produits à de faibles tonnages et sont nécessaires à un grand nombre d'industries. Ils sont généralement présents à l'intérieur des minerais classiques. On les extrait, par exemple des mines de zinc, de cuivre ou encore de nickel.

Les terres rares sont une catégorie de métaux rares, elles sont aux nombres de 17. On les regroupe souvent sous cette même dénomination, car elles font partie - pour quinze d'entre elles - de la famille des lanthanides et on les retrouve souvent ensemble dans des gisements. Paradoxalement, ce qu'on entend dire souvent sur les terres rares, c'est qu'elles ne sont pas rares et qu'il y en a partout. Si le constat est vrai, la teneur des gisements en terre rare est souvent très faible et donc difficilement exploitable. De plus, les terres rares sont généralement couplées avec du Thorium, ce qui en complexifie l'extraction. Enfin, les terres rares ne sont pas toutes aussi critiques, certaines sont très courantes comme le cérium d'autres beaucoup moins comme le praséodyme.

Les métaux stratégiques sont des métaux définis comme indispensables par des entreprises ou des États, car leur souveraineté en dépend. Ils concernent des secteurs à enjeux vitaux.

Les métaux critiques sont ainsi nommés par référence à la situation qui serait la nôtre s'ils venaient à manquer. Ils font l'objet d'un suivi et d'une classification pointilleuse de la part du BRGM et de la Commission Européenne.

Enfin, les métaux (ou minerais) de conflits sont des métaux dont une partie -minoritaire- est issue de territoire sous tension. On parle des "3TG" (pour Tantalum, Tungsten, Tin and Gold) auxquels s'ajoute souvent le Cobalt. Ils sont qualifiés de critiques, car leur exploitation peut participer au financement de groupes armés, ou reposer sur le travail d'enfants dans des mines artisanales illégales. La région au centre de l'attention est notamment la République Démocratique du Congo, et tout particulièrement la province du nord Kivu, région frontalière du Rwanda et de l'Ouganda. L'enjeu principal de l'approvisionnement en minerais est de parvenir à mettre en place une traçabilité efficace afin de respecter les règles de conformités internationales.

Bien entendu ces définitions ne sont exclusives les unes des autres et un métal (ou minerai) de conflit peut être un métal stratégique et critique.

La localisation des mines dépend beaucoup de nos connaissances actuelles des sous-sols, surtout des sous-sols profonds, lesquelles ne sont malheureusement pas très bonnes. Géographiquement, les métaux rares ne sont pas répartis uniformément sur la surface de la planète. L'exemple le plus frappant est le monopole de l'Afrique du Sud sur les platinoïdes (excepté pour le palladium qui est aussi largement extrait en Russie). Ce monopole représente un avantage immense à l'heure du développement de l'usage de l'hydrogène et donc des électrolyses, consommatrices de platine ou palladium.

On pourrait aussi citer l'étendue de sel du Salar d'Uyuni en Bolivie pour ses ressources en lithium, ou les gisements de niobium au Brésil.

La Chine, quant à elle, possède de nombreuses exploitations sur son territoire ou dans d'autres pays, notamment africains, pour lesquels elle extrait ou raffine. Elle bénéficie par ailleurs d'une position de monopole sur les terres rares.

Quelles sont les industries qui en consomment le plus et sous quelle forme ? On pense spontanément aux smartphones ou aux batteries des voitures électriques, mais j'imagine qu'il y a des métaux rares dans beaucoup d'autres produits ?

Encore une fois, il faut être rigoureux sur la distinction terminologique entre terres rares et métaux rares. Les "métaux rares", dont font partie les terres rares, sont présents dans toutes les industries. On peut prendre l'exemple du niobium, métal dont la production est dominée par le Brésil, qui sert en grande partie pour la fabrication d'acier ou de superalliages.

D'autres métaux rares ont des utilisations plus technologiques. C'est par exemple le cas pour l'indium, sous-produit du zinc, qui permet la réalisation des écrans à cristaux liquides (écrans dits "LCD"), lesquels se distinguent par leur finesse et sont par ailleurs particulièrement adaptés aux fonctions tactiles. On le retrouve aussi dans les panneaux photovoltaïques. C'est un métal sur lequel la Chine a une position dominante.

Concernant les terres rares à proprement dit, on les retrouve dans l'industrie de pointe et les nouvelles technologies, notamment les aimants permanents, tout comme dans des activités plus "classique" comme le polissage.

En ce qui concerne la présence ou non de terres rares dans les batteries des voitures électriques, il n'y a pas de terres rares, mais d'autres métaux rares (cobalt, nickel, manganèse, cuivre...). Ce sont les moteurs de voitures électriques qui utilisent des terres rares, tout particulièrement dans les aimants permanents. S'il fallait faire une estimation, c'est près de 90% des voitures électriques qui ont des moteurs synchrones à aimants permanents, c'est le cas des e-208, Golf et consorts. Notez cependant que certaines s'en passent, c'est notamment le cas de la Zoé et de son moteur synchrone à rotor bobiné, ou du model S de Tesla et de la Audi e-Tron qui utilisent des moteurs à induction.

La tendance n'est pourtant pas figée et Tesla a récemment décidé d'utiliser des moteurs à aimants permanents pour ses nouveaux modèles. La Tesla Model 3 par exemple est équipée dans tous ses formats d'un moteur à aimant permanent à l'arrière, lequel a un meilleur rendement et est plus compact. Il est possible d'ajouter un moteur à induction à l'avant dans la configuration "Dual Motor" afin de bénéficier de 4 roues motrices.

Il convient de préciser que certains composants des voitures thermiques nécessitaient déjà des terres rares avant l'avènement du véhicule électrique. C'était notamment le cas des moteurs d'essuie-glaces, des haut-parleurs ou indirectement des vitres dont le polissage nécessite d'utiliser des terres rares.

Lire la suite en page 2 : Les entreprises qui achètent des composants savent-elles qu'ils contiennent des métaux rares ? / Ces métaux sont devenus un enjeu économique majeur et donc un enjeu politique. Avez-vous étudié ces questions? / Les prix flambent et la Chine joue de son pouvoir. Comment la France et ses entreprises peuvent-elles s'assurer une sécurité d'approvisionnement en termes de quantité et de prix ?
En page 3 : Pourquoi la transition écologique entraîne-t-elle une augmentation de la consommation de métaux rares ? Cela paraît paradoxal... / C'est en soi une catastrophe puisque l'extraction des métaux rares est une plaie pour l'humain et l'environnement... / Que préconisez-vous pour sortir de cette dépendance aux métaux rares... et à la Chine? Vous préconisez le recyclage : pourquoi n'est-il pas exploité aujourd'hui? Et s'il l'était, suffirait-il à alimenter la demande qui ne cesse d'augmenter ?
En page 4 : L'Union européenne et la France ont pourtant pris des mesures pour obliger les industriels à recycler leurs déchets électroniques ... / Quels moyens de substitution aux métaux/terres rare ? Des tests sont-ils en cours chez certains industriels ? / Comment les achats peuvent-ils concilier achats de métaux rares et politiques RSE mise en avant par les grands groupes ?


Les entreprises qui achètent des composants savent-elles qu'ils contiennent des métaux rares ?

Si la présence de métaux rares dans des composants est connue, la situation est bien différente concernant l'identification des types et quantités de métaux. Ces informations ont pourtant une importance capitale puisqu'un approvisionnement défaillant peut avoir de graves répercussions pour l'entreprise. Cette identification est pourtant trop souvent délaissée aux sous-traitants sans aucune forme de contrôle et fait peser un risque conséquence sur les entreprises.

L'identification de la composition exacte et de la provenance précise est une étape nécessaire qui représente un travail important, car en plus de s'être internationalisées, les supply chain se sont allongées et divisées entre différents fournisseurs. La visibilité sur l'amont est souvent réduite au sein des entreprises.

Dans certains secteurs avec une maturité achat reconnue, on a su développer cette transparence. Quelques équipementiers automobiles -français notamment- ont réussis à clarifier cette supply chain : ils connaissent les métaux utilisés, leur provenance et diversifient leurs approvisionnements dans une optique de sécurisation, mais aussi de gestions des coûts.

Avant de se lancer dans ce genre de processus, il est nécessaire, pour l'entreprise, de savoir ce qu'elle va rechercher prioritairement. Une entreprise en BtoC donnera peut-être plus d'importance aux métaux ayant un risque de provenir de zones de conflit, car l'impact sur son image pourrait être terrible. Alors qu'une entreprise en BtoB pourrait privilégier la sécurisation et la diversification de son approvisionnement ou de celui de ses fournisseurs stratégiques.

Ces métaux sont devenus un enjeu économique majeur et donc un enjeu politique. Avez-vous étudié ces questions?

J'aborde ce sujet dans le livre au sein d'un chapitre géopolitique dédié, traitant des questions de domination, monopole et de dumping des différents pays.

Selon moi, avant d'être une question écologique, politique ou d'approvisionnement, l'enjeu derrière ces métaux rares est le transfert de technologie. Nous nous dirigeons vers des révolutions, numérique et environnementale, qui sont et seront les sources d'emplois de demain. Les métaux sont au coeur de ces révolutions et de formidables leviers stratégiques afin de développer l'industrie d'un pays ou d'une région.

La Chine occupe une place toute particulière dans les filières des métaux rares et son rôle n'est plus celui de simple extracteur minier. Avec ses investissements en Afrique et sa remontée dans la chaîne de valeur, la Chine est désormais dans une position dominante. Depuis quelques années elle est à la fois le premier extracteur de terres rares et le premier importateur de ces minerais, car elle est le principal pays à savoir les transformer.

Certains spécialistes américains soulignent le fait que rouvrir des mines de terres rares aux USA ne servirait pas à grand-chose. En effet, une fois extraites, les terres rares partiraient en Chine afin d'y être transformées, car, nous n'avons pas à l'heure actuelle les moyens technologiques et le savoir-faire pour procéder nous-mêmes à cette transformation. En laissant un tel avantage à la Chine les économies occidentales se sont placées dans une situation de dépendance dont il est nécessaire de s'extraire.

Les prix flambent et la Chine joue de son pouvoir. Comment la France et ses entreprises peuvent-elles s'assurer une sécurité d'approvisionnement en termes de quantité et de prix ?

Concernant les terres rares, les prix sont relativement stables (à l'exception de la période qui a suivi l'accident diplomatique de 2010/2011 entre la Chine et le Japon). Le maintien de prix bas par la Chine permet de limiter l'émergence de mines concurrentes. Les projets miniers ont des besoins d'investissement gigantesque, on parle de centaines de millions d'euros qui s'étalent sur de nombreuses années. Cependant les spécialistes anticipent une augmentation dans le temps du prix de certaines terres rares, notamment les 4 utilisées pour les aimants permanents (néodymes, dysprosium, terbium, praséodyme).

Côté métaux rares, l'intégralité des métaux rares sont à des prix plancher actuellement exception faite des platinoïdes. Parmi les platinoïdes, un seul voit son prix diminuer, il s'agit du platine suite au "dieselgate" et aux politiques de réduction des moteurs diesel. À l'inverse, le palladium utilisé dans les catalyses de voitures essence continue de voir son prix augmenter.

Pour sécuriser son approvisionnement, une entreprise doit :

- Connaître les métaux rares qu'elle utilise et la provenance précise : c'est la problématique de l'identification déjà évoquée ci-dessus. L'objectif de cette identification est de pouvoir négocier en connaissance de cause et savoir quels métaux sécuriser ;

- Contractualiser l'approvisionnement quand c'est possible ;

- Utiliser des outils de couverture comme des forwards permettant aux entreprises de se protéger. On voit aussi certains acheteurs de métaux de base qui demandent à leur fournisseur d'inclure dans leur contrat des garanties d'approvisionnement de métaux rares pour lesquels, ils sont du coup moins regardant en termes de prix ;

- Développer l'achat responsable en attribuant un faible quota d'achat (5% du volume total) à des entreprises de recyclage de métaux rares européenne ou française. Le prix du métal sera peut-être plus cher, mais le circuit sera plus court et permettra de développer la filière. La limite de cette approche reste que tous les métaux rares ne se recyclent pas et le choix sera limité pour les entreprises ;

- Créer des partenariats à long terme. L'engagement de partenariat à long terme me semble incontournable pour traiter la question. Il faudrait avoir une centrale d'achat regroupant les industriels français de la défense, ou des industries électriques et électroniques qui investissent et développe à l'international des partenariats avec l'aide du gouvernement français et achète en commun ces métaux rares afin de sécuriser l'approvisionnement. Le poids de ce groupement pourrait permettre de développer et soutenir des projets complets hors de Chine, comment on l'a vu avec l'entreprise Lynas en Australie. Le poids d'une centrale d'achat de ce type pourrait permettre d'améliorer la sécurité d'approvisionnement et de mieux prendre en compte la RSE dans la Supply Chain.

Mais, l'une des meilleures solutions pour les acheteurs reste de challenger en interne les équipes d'ingénierie afin de réduire l'utilisation des métaux rares les plus critiques quand c'est possible.

Enfin, dans la situation actuelle, beaucoup de métaux rares sont à des prix particulièrement bas, ce qui peut être une opportunité pour constituer des stocks stratégiques (comme il en existe pour le pétrole). La Corée et le Japon, n'ont pas hésité à réaliser des stocks stratégiques nationaux de certains métaux rares pour faire face à une potentielle rupture d'approvisionnement. L'idée peut marcher pour la France, mais à condition que les industries locales soient capables de convertir ces stocks de métaux en produits semi-finis (ce qui n'est pas souvent le cas actuellement).

Cet objectif de sécurisation des stocks de métaux rares peut aussi être atteint en s'appuyant sur des mécanismes financiers et notamment boursiers. C'est le cas du projet Gallium mené par Vincent Donnen.

Lire la suite en page 3 : Pourquoi la transition écologique entraîne-t-elle une augmentation de la consommation de métaux rares ? Cela paraît paradoxal... / C'est en soi une catastrophe puisque l'extraction des métaux rares est une plaie pour l'humain et l'environnement... / Que préconisez-vous pour sortir de cette dépendance aux métaux rares... et à la Chine? Vous préconisez le recyclage : pourquoi n'est-il pas exploité aujourd'hui? Et s'il l'était, suffirait-il à alimenter la demande qui ne cesse d'augmenter ?
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Pourquoi la transition écologique entraîne-t-elle une augmentation de la consommation de métaux rares ? Cela paraît paradoxal...

La transition écologique, mais aussi la transition numérique et l'accroissement démographique ainsi que le développement de pays émergent augmente les besoins de tous les métaux.

L'augmentation de l'utilisation des métaux rares résulte de certains changements de consommation : ainsi, si les ventes de voiture électrique font diminuer l'utilisation de combustibles fossiles, elles font augmenter celle de batteries et de moteurs électriques et créent donc un besoin croissant de métaux rares. L'électricité pour faire avancer ces voitures peut venir de sources renouvelables comme des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, ce qui génère une immobilisation de métaux rares sur leur durée de vie.

"L'effet rebond" explique aussi l'augmentation de la consommation de métaux rares. Il s'agit d'une théorie selon laquelle une partie du gain énergétique réalisé par des progrès est perdue, car il y a une augmentation de la consommation en parallèle. On peut prendre l'exemple de la mise en place de trottinettes électriques partagées. Peu d'études existent sur le sujet et le Business Model de ces entreprises aura le temps de s'améliorer, cependant des premières recherches soulignent l'impact environnemental de la fabrication de ces trottinettes (notamment à cause des métaux), du rechargement (qui nécessite de les collecter avec un camion) et de leur courte durée de vie, sans parler du recyclage. De plus, les trottinettes électriques ont relativement peu remplacé les déplacements en voiture, mais plutôt la marche ou les transports en commun.

La problématique des besoins croissants en métaux rares prend racine dans un problème de société beaucoup plus vaste, nos habitudes de consommation. Il est nécessaire de repenser l'usage des biens de consommation. Pourquoi acheter une voiture électrique pesant plus de deux tonnes pour des déplacements du quotidien quand une Renault Zoé suffirait ?

C'est en soi une catastrophe puisque l'extraction des métaux rares est une plaie pour l'humain et l'environnement...

Les mines, surtout quand elles sont mal gérées, ont des impacts environnementaux terribles. Les différentes étapes nécessitent des produits chimiques qui ravagent les nappes phréatiques et l'extraction déforme durablement le paysage. Il est nécessaire que ces activités soient encadrées avec rigueur.

Dans notre imaginaire, les mines sont associées à la pollution, cela reflète bien la réalité, car l'extraction des métaux est une activité polluante et dévastatrice, tout comme l'utilisation de charbon, de pétrole ou de gaz.

Il faut quand même souligner qu'une voiture électrique, en France, sur l'ensemble de son cycle de vie, rejette beaucoup moins qu'une voiture thermique, essentiellement grâce à notre mix nucléarisé. Même en Allemagne, avec les centrales à charbon, la voiture électrique reste plus intéressante que la thermique, même si la différence est bien plus légère.

Pour aller vers des énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire nous aurons besoin de beaucoup de métaux, de base ou rares et donc de les extraire ou de les recycler quand c'est possible. Et, effectivement, il faudra beaucoup de vigilance et une réglementation stricte pour que cela ne se fasse pas au détriment de l'humain et de l'environnement.

Que préconisez-vous pour sortir de cette dépendance aux métaux rares... et à la Chine?

Je vois mal un retour en arrière, le monde est lancé dans une course au développement et au progrès technique et les métaux rares ont une place centrale.

Alors, comment réduire notre dépendance aux pays producteur ou transformateur de ces métaux ? Avant même de se pencher sur cette question, il convient de se demander qui est ce nous, s'agit-il de l'Europe ou de la France ?

L'idée, la plus classique serait de relancer les mines. Certains pays nordiques l'on fait, voire n'ont jamais arrêté. Ils promeuvent une notion de mine responsable, moins dommageable pour l'environnement. La mine possède un avantage indéniable, c'est un fantastique levier d'emploi et de progrès technique. En ce qui concerne la France, notre code minier n'a pas évolué, malgré de nombreuses promesses des différents gouvernements et tout projet se fait bloquer dès qu'une opposition locale se manifeste.

Le refus de la population locale de voir apparaître des projets miniers peut se comprendre en termes d'impact environnemental. La question sous-jacente est cependant, acceptons-nous de le faire autre part, tant que c'est loin de chez nous et que ça ne nous impact pas ? Pour ensuite consommer des produits fabriqués grâce à ces mines. On fait face à un problème de cohérence morale.

De plus, en France, il faudrait refaire la cartographie, car nous ne connaissons pas les sous-sols profonds. Entre le temps de les cartographier, de réaliser les études conceptuelles, de viabilité, de préfaisabilité et de faisabilité, de mettre en place le financement, d'obtenir les autorisations et enfin de produire et d'extraire les premières ressources, une vingtaine d'années peuvent passer. Et, in fine pour n'obtenir que certains métaux rares.

Dans notre cas, la réduction de cette dépendance aux métaux rares et à la Chine avec des ressources minières propres risque de ne jamais voir le jour.

Côté européen des projets importants de métaux rares existent en Suède ou au Groenland entre autres et des étapes clés doivent encore être franchies. Mais le spectre chinois est présent, avec des investissements dans les sociétés gérant ces projets. Parfois, on peut regretter notre manque de souveraineté.

Dans un environnement mondial tendu, en rupture avec de nouveaux acteurs prenant des positions dominantes, il faudrait que l'Europe se recentre autour d'une souveraineté régionale et fasse preuve de protectionnisme.

Vous préconisez le recyclage : pourquoi n'est-il pas exploité aujourd'hui? Et s'il l'était, suffirait-il à alimenter la demande qui ne cesse d'augmenter ?

Je ne préconise pas le recyclage en soi comme une action isolée, mais comme un des axes d'une stratégie globale. En effet, le recyclage pose selon moi plusieurs problèmes. Tout d'abord, recycler a toujours un coût. Théoriquement, tout est recyclable, mais ce coût, qu'il soit économique ou environnemental est parfois prohibitif. Dans ces conditions, il vaut mieux prévenir que guérir, en l'occurrence, il faut d'abord utiliser le moins de ces métaux rares. Pour cela il existe :

- Le Life Cycle Assesment, qui permet de comptabiliser l'ensemble des impacts d'un produit sur la totalité de sa durée de vie, "from cradle to grave", du berceau à la tombe pour les anglais.

- L'écoconception (éco-design), qui consiste à développer un produit réduisant l'ensemble de ses impacts environnementaux et en définissant déjà la manière de le valoriser en fin de vie. (Réutilisation, réemploi, recyclage). En pensant le produit dès sa conception, il est alors possible de récupérer bien plus de matière qu'avec "seulement" un recyclage en fin de vie. Apple a présenté il y a quelques années un robot nommé Daisy, lui permettant de recycler ses smartphones et d'en retirer tous types de métaux et matériaux. En plus, la firme de Cupertino a annoncé pour son iPhone 12 que l'ensemble des aimants permanents étaient recyclés. Coup de génie ou de communication, je ne sais pas, mais la mise en place d'un système d'écoconception favorisant le recyclage est un travail compliqué, qui prendra des décennies avant d'être étendu à la majorité des produits.

Autre problème posé par le recyclage : il est très difficile d'organiser la filière de métaux rares à cause de l'inélasticité de leur offre. Les métaux que l'on recycle actuellement sont ceux présents en grande quantité comme le cuivre ou le nickel qui sont des métaux de base, ou ceux ayant une valeur économique importante, comme le platine, l'argent ou l'or. Les autres sont trop compliqués à recycler ou/et ne rapportent pas suffisamment.

Parmi les métaux laissés de côté, on retrouve beaucoup de métaux rares. Si demain nous recyclons la majorité de notre cuivre, de notre zinc et de notre nickel, le nombre de mines diminuera. Les métaux rares qui se trouvent dans le zinc, le nickel, et le cuivre ne seront pas recyclés et ne seront plus produits. Leur valeur augmentera. Mais comme des métaux rares comme l'indium représentent une faible teneur des gisements de zinc, une augmentation des prix ne suffira pas à remettre en production les mines de zinc.

Une autre limite est l'usage dispersif des métaux lorsqu'ils sont incorporés dans des produits chimiques et dans des biens du quotidien (on peut aussi s'interroger sur l'échelle nano dans la micro-électronique). L'utilisation de ces métaux représente une perte sèche, car il est impossible de le récupérer une fois les produits utilisés.

Enfin, le recyclage des alliages peut se révéler d'une extrême complexité.

Lire la suite en page 4 : L'Union européenne et la France ont pourtant pris des mesures pour obliger les industriels à recycler leurs déchets électroniques ... / Quels moyens de substitution aux métaux/terres rare ? Des tests sont-ils en cours chez certains industriels ? / Comment les achats peuvent-ils concilier achats de métaux rares et politiques RSE mise en avant par les grands groupes ?

L'Union européenne et la France ont pourtant pris des mesures pour obliger les industriels à recycler leurs déchets électroniques ...

Les "mines urbaines" ou D3E (Déchets d'Équipements Électroniques et Électriques) sont un vrai enjeu, la teneur des métaux rares dans nos smartphones et autres outils électroniques du quotidien est plus élevée que dans les filons des mines.

Il se développe au niveau mondial une géopolitique des déchets. On a récemment vu la Chine et des pays d'Asie du Sud-Est renvoyer les déchets - plastique notamment- aux pays occidentaux en refusant d'être nos poubelles. Le refus des déchets plastiques de la part des pays d'Asie du Sud-Est a montré à quel point nos sociétés sont incapables de traiter ces déchets.

Derrière ces pressions sur les déchets classiques, d'autres pays, Japon en tête s'activent en coulisse. Le Japon s'est rendu compte de sa dépendance importante aux métaux rares chinois. Le pays du soleil levant en tant que pays isolationniste fait face à la problématique des ressources limitées sur son territoire. Mais tout comme la Chine, le Japon possède une capacité de projection stratégique à long terme dans une optique de souveraineté, même si cela implique des pertes financières à plus court terme.

Le Japon, en plus de collecter admirablement bien ses D3E sur son sol, n'hésite pas à siphonner ceux de certains pays européens. Une grande partie de nos D3E sont exportés vers le Japon, permettant à ce dernier de récupérer les métaux les composants.

Quels moyens de substitution aux métaux/terres rare ? Des tests sont-ils en cours chez certains industriels ?

Si la substitution était simple, elle serait mise en place plus souvent. Elle permettrait de réduire les coûts et de s'adapter à la hausse de certains métaux. Substituer un métal par un autre demande des investissements en R&D conséquents. De plus, le passage à une échelle industrielle, quand il est possible, prend du temps.

Substituer ces métaux rares, et les terres rares tout particulièrement est un défi énorme. Certaines personnes préconisent de substituer une terre rare par une autre quand elles ont des propriétés similaires. L'idée étant de prendre la terre rare la moins critique.

Un bon premier point pour les acheteurs est d'abord de se tourner vers les départements d'ingénierie, afin de voir la nécessité de chaque métal dans les produits. L'autre point et de les challengers sur la part de ces métaux. Certains industriels ont demandé à leurs départements d'ingénierie de diminuer la part du néodyme (autour de 30%) dans les aimants de terres rares, afin de réduire le besoin global de l'entreprise et de se protéger d'une éventuelle pénurie de ce métal. Il y a aussi eu des travaux menés afin de concentrer le dysprosium nécessaire dans les aimants permanents d'éoliennes afin de pouvoir en diminuer la quantité totale.

Nous avons des exemples de substitution, comme le choix de Renault pour sa Zoé ou la volonté de Tesla de se passer du cobalt pour ses batteries.

Les éoliennes terrestres, ont pour une partie, réussi à se passer de l'utilisation de terres rares dans leur moteur. L'ADEME le souligne dans son dernier rapport. Reste la question de l'Offshore, utilisant principalement des aimants, nécessitant moins de maintenance.

Les chercheurs de leurs côtés travaillent sur des solutions technologiquement avancées, mais non réalisables à court terme à une échelle industrielle.

La question que je me pose est comment les industriels peuvent-ils se protéger de la demande de nouveaux acteurs sur leurs métaux stratégiques? C'est une situation qu'on a vue dans l'aéronautique avec le ruthénium, prévu pour créer des superalliages, mais qui a été freinée, car l'explosion de la production de disques durs a saturé l'offre. Certains industriels pourraient être sous la menace de l'arrivée d'une autre grosse industrie sur les métaux rares qu'ils utilisent.

Comment les achats peuvent-ils concilier achats de métaux rares et politiques RSE mise en avant par les grands groupes ?

Les questions de RSE vont concerner dans un premier temps les métaux de conflits avec des programmes de surveillance de conformité, notamment avec les nouvelles réglementations européennes sur les 3TG prévus pour 2021. Une bonne traçabilité des métaux rares utilisés sera indispensable.

L'autre action qui me semble nécessaire pour les acheteurs est, comme dit avant, d'allouer une faible partie de leurs quotas d'achats à des recycleurs locaux, en filière courte, même si le prix d'achat est supérieur, pour permettre à cette filière de se développer.

Et puis finalement, comme mot de la fin, afin de réduire nos émissions, limiter le transfert de technologie, assurer notre souveraineté et gérer ce monde complexe et incertain, ne devient-il pas indispensable de développer des supply chain globales au niveau d'un pays, d'une région ou d'un continent ?

 
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