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Extraction de minerais: Vers un réveil des États miniers ?

Criticité et dépendance rebattent les cartes des chaînes de valeur. Les pays fournisseurs exigent transformation locale, partenariats équilibrés et création de valeur sur leur sol. Une redéfinition stratégique des supply chains s'impose tant aux grands acheteurs industriels et qu'aux États.

Publié par Denica Tacheva le | Mis à jour le
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Extraction de minerais: Vers un réveil des États miniers ?
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La transition énergétique a déclenché une ruée vers les minerais critiques : lithium, cobalt, cuivre, terres rares... Conséquemment, les pays producteurs, longtemps cantonnés au rôle de simples fournisseurs de matières premières, réclament désormais leur part de valeur dans les supply chains dédiées et une émancipation d'un modèle de dépendance hérité de l'époque coloniale.

Le modèle "mine-export-usine" montre ses limites. Les États producteurs imposent davantage de conditions : transformation locale, création d'emplois, transfert de technologies, exigences ESG. Et cette bascule rebat les cartes pour les grands groupes miniers et les États importateurs, sommés de revoir leurs chaînes d'approvisionnement, leurs partenariats et leurs logiques d'investissement.

Transformation locale nécessaire

Le premier signal fort émane des terrotoires. Les États africains exigent que la valeur reste chez eux. " Le concept d'une Afrique qui se situe seulement au début de la chaîne de valeur doit changer", tranche Themba Mkhwanazi, vice-président du Conseil des minéraux d'Afrique du Sud à l'occasion d'une conférence organisée le 5 mai à Paris par l'OCDE dédiée à l'extraction de minerais et à l'évolution de sa chaîne de valeur. Une déclaration lourde de sens dans un contexte où le continent détient 80 % des réserves mondiales de platinoïdes et de chrome, 47 % du manganèse et près de la moitié du cobalt mondial.

Certaines filières déjà très centralisées sont sous tension. Le raffinage du cobalt ou du lithium, historiquement concentré en Chine, devient un maillon stratégique que les pays producteurs veulent rapatrier. La République démocratique du Congo, par exemple, cherche à développer ses propres capacités de transformation du cobalt, forçant les acteurs comme Glencore ou Trafigura à envisager des partenariats industriels locaux.

Dans cette dynamique, les infrastructures sont vues comme des catalyseurs de transformation. Le corridor du Lobito, soutenu par l'Union européenne, illustre bien cette logique. Il ne s'agit plus seulement de relier les mines aux ports, mais de créer un écosystème permettant la transformation locale. Themba Mkhwanazi insiste : " Le développement doit aller au-delà des portes des mines. "

En effet, ce basculement concerne de nombreux pays historiquement exportateurs comme l'Arabie saoudite. Dans le cadre de sa stratégie minière, le royaume entend rompre avec le rôle de simple pourvoyeur de matières premières. " Nous ne voulons pas être un simple fournisseur. Nous avons une stratégie claire pour devenir une plateforme régionale intégrée qui traite la transformation et l'innovation ", a déclaré Turki Al-Babtain, vice-ministre du développement minier d'Arabie saoudite. Sa position résume un mouvement global. Les matières premières deviennent des leviers de souveraineté industrielle, et non de simples biens d'exportation.

Des fournisseurs sous pression ?

Pour les fournisseurs de matières premières, cette nouvelle donne relève du défi. Ils ne peuvent plus se contenter d'extraire. Ils doivent co-construire les chaînes de valeur avec les pays producteurs. Concrètement, cela signifie mobiliser du capital, partager des technologies, et parfois accepter des logiques moins rentables à court terme. L'Union européenne, par exemple, a compris que son accès aux minerais critiques dépendait désormais de sa capacité à proposer des partenariats équilibrés. " Ce n'est pas seulement une question de sécuriser nos approvisionnements, explique Henrik Hololei, directeur général de la mobilité et des transports à la Commission européenne. Il faut aussi garantir que les pays producteurs bénéficient d'une meilleure redistribution de la valeur."

Cela change fondamentalement les relations contractuelles. Le simple contrat d'approvisionnement est remplacé par des accords multipartites, avec des clauses de formation, d'investissement local, et d'accompagnement réglementaire. L'UE a signé 14 partenariats stratégiques, intégrant des feuilles de route détaillées et des objectifs de transformation sur les territoires miniers.

Exploration, midstream, formation... des filières en mutation ?

Les filières du cuivre et de l'aluminium évoluent également. Dans les chaînes de valeur, cela correspond en particulier aux phases de raffinage et de séparation. Benjamin Gallezot, délégué Interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, l'affirme : " Il faut investir dans les midstreams, le raffinage et le recyclage. Nous avons lancé en France une unité de recyclage du cuivre, mais cela se fait aussi dans nos projets à l'international. "

Les fournisseurs, eux, doivent désormais s'engager sur la formation des talents locaux. " Il y aura un manque de compétences techniques", prévient Benjamin Gallezot. La France collabore déjà avec plusieurs pays africains pour former des ingénieurs en géologie, métallurgie ou ESG, indispensables pour faire tourner ces nouvelles usines locales.

Autre tendance à noter, celle de remettre au goût du jour l'exploration. " Trop peu de pays ont cartographié leur sous-sol au regard de l'enjeu mondial que cela représente ", pointe Benjamin Gallezot. La France ou le Japon participent ainsi au financement de campagnes d'exploration en Afrique ou en Asie centrale. Le passage d'une logique extractiviste à celle de co-développement est en marche.

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