L'énergie est bien plus qu'une seule ligne de dépense
La consommation énergétique se résume parfois à une simple facture. Mais cette dépense peut cacher des enjeux sociétaux et environnementaux qui invitent à une réflexion durable dans le contexte d'urgence climatique actuel... Tout demeure une question de priorités.
Je m'abonneL'énergie peut être une dépense bien plus conséquente qu'on ne le pense. Elle représente le second poste, après le traitement des salaires, de la SNCF par exemple. Une dépense financière, mais pas seulement. "Longtemps, la réflexion en matière d'énergie n'a pas été poussée plus loin que le coût. Dorénavant, les directeurs achats s'y intéressent de plus près ; certains pour réduire les incertitudes quant à la volatilité des prix de l'énergie, d'autres pour satisfaire à leur responsabilité sociétale", énonce en préambule Jürgen Leinmüller, dirigeant de Victanis.
Effectivement, la donne change, le marché de l'énergie aussi. "Les tarifs des énergies renouvelables ont largement diminué ces dernières années et vont devenir plus compétitifs encore durant la prochaine décennie", résume Jürgen Leinmüller. Ouvert, le marché de l'énergie compte à présent une myriade d'acteurs qui sont en mesure de proposer une offre verte en propre ou par l'intermédiaire d'un certificat de garantie d'origine (CGO), qui atteste que la production d'électricité contribue à réduire les émissions de CO 2. "Certains fournisseurs sont spécialisés sur le créneau des énergies renouvelables et/ou se veulent proposer une offre globalement vertueuse ; comme Enercop qui, s'appuyant sur un modèle à l'échelle régionale comptant onze coopératives au total, peut concourir à un approvisionnement local ", avance Valéry Hergott, co-fondateur de Riposte verte.
Le 20 octobre dernier, Akuo, Boralex, Nass & Wind, Reden Solar, Tenergie, Valorem et VSB énergies nouvelles officialisaient le lancement, avec le fournisseur Plüm Energie, de l'Électricité Verte d'Origine Contrôlée (EVOC). Soutenus par Qwant, ces sept producteurs indépendants d'énergie renouvelable veulent par l'intermédiaire de ce label garantir à leurs futurs clients une énergie exclusivement renouvelable et produite sur le sol français. Concrètement, il n'est plus complexe à l'heure actuelle de jouir d'une électricité moins polluante. Il peut suffire de se rapprocher d'un fournisseur d'énergie. Aller plus loin dans la démarche peut amener à contracter directement auprès des producteurs, voire à autoproduire son énergie. Néanmoins, il ne faut pas non plus vouloir aller trop vite, "la démarche devant être progressive et calibrée aux besoins", modère Jürgen Leinmüller.
Interlocuteur unique ?
Il n'y a pas de solution idéale, si ce n'est celle qui sied avec la politique de l'entreprise et ses engagements. Dans tous les cas, elle doit débuter par une étude approfondie de la consommation énergétique du groupe, et notamment de ses infrastructures, mais aussi de ses occupants. Elle peut ainsi s'accompagner d'une sensibilisation interne afin de réduire les gaspillages potentiels. Avant de se tourner vers les énergies propres, "il est impératif de veiller à optimiser ses consommations par l'adoption d'écogestes notamment", avertit Valéry Hergott.
Ensuite, les actions vont dépendre des objectifs que se fixe l'entreprise. La première étape, la plus simple et la plus fréquente, consiste à ajouter une option "verte" sur son contrat d'énergie actuel. "On rencontre régulièrement des clients qui arbitrent en faveur de 10 % d'énergie verte depuis leur contrat avec un surcoût économique jugé acceptable. Au-delà, une mission sociétale peut venir contrebalancer l'écart financier", rapporte Bastien Marrast, conseiller énergie chez Sollis. À cette occasion, il peut être opportun d'identifier et de comparer les offres disponibles. Et de s'orienter vers un acteur qui cultive une philosophie semblable à celle de son entreprise. Lorsque l'énergie figure parmi les postes stratégiques, s'approcher en direct des producteurs est une possibilité à envisager afin de sécuriser ses approvisionnements et ses tarifs.
Initiés par les géants de la tech (Apple, Facebook...), les contrats d'achats d'électricité conclus sur le long terme - les Power Purchase Agreements (PPA) - commencent à faire des émules en France et plus largement en Europe. Mercedes en a signé un en Pologne avec un producteur éolien. Le groupe Boulanger s'est engagé sur un accord de partenariat exclusif avec Voltalia d'une durée de 25 ans pour une puissance de 5 mégawatts. Sécurisant durablement la rentabilité de son exploitation, le producteur est en mesure de s'engager sur des tarifs fixes, et ce sur une longue période. "C'est une chance d'obtenir des prix inférieurs et invariables sur le long terme, mais surtout de connaître avec certitude l'origine de l'électricité produite", admet Jürgen Leinmüller. Un poids stratégique alloué à l'énergie peut également conduire à la produire soi-même via l'autoconsommation.
Se montrer plus autonome
L'installation de panneaux solaires apparaît souvent la plus indiquée dans l'industrie ou le tertiaire, d'après Sylvain Viellepeau, directeur développement B to B chez EDF ENR. "L'éolien ne va se justifier que pour des besoins très conséquents, d'autant que le projet de mise en oeuvre est beaucoup plus long que pour un projet photovoltaïque qui peut être conduit sur 12 voire 18 mois". Installé sur Guyancourt (78), le siège de Bouygues Construction compte ainsi 21 500 m² de panneaux photovoltaïques de dernière génération installés sur les terrasses, les toitures et dans une ferme construite pour l'occasion.
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Les panneaux solaires peuvent être installés en sol, depuis une toiture ou sur les ombrières de parking. "Cette dernière possibilité se développe fortement car elle permet de s'affranchir des contraintes relatives au bâtiment, d'octroyer une forte visibilité au projet et d'offrir un confort aux usagers qui sont ainsi à l'abri de la chaleur et de l'humidité. Au sol, il faut jouir du foncier nécessaire sur une très longue période. Pour équiper les toitures de panneaux solaires, encore faut-il qu'elles soient suffisamment résistantes pour supporter un poids de 25 kilos supplémentaires par m²", souligne Sylvain Viellepeau. Le tout est de parvenir à bien déterminer ses besoins pour dimensionner le projet en conséquence. "L'installation de panneaux solaires n'est pas judicieuse lorsque les besoins sont irréguliers ou qu'ils répondent à une saisonnalité précise. Actuellement, un "bon" taux d'autoproduction avoisine les 30 % de sa consommation totale ; il est voué à progresser avec l'amélioration du stockage de l'énergie notamment", estime Sylvain Viellepeau.
Se rapprocher de cabinets spécialisés en énergie et en environnement est recommandé. Ils vont identifier les options potentielles, calculer les rendements associés à escompter et mesurer les coûts d'installations. "Le plus délicat reste la mise à l'échelle ; l'autoproduction n'étant pas forcément autoconsommée, mais revendue en totalité ou en partie à des tiers ou directement sur le réseau, par le mécanisme des tarifs de rachat par exemple", avertit Bastien Marrast. Le retour sur investissement peut être assez variable puisqu'il va dépendre du taux d'ensoleillement du site et de l'investissement. Côté équipement, "Comptez a minima entre 100 et 120 K euros pour un générateur solaire de 100 Kilowatts-crête (kWc), entre 250 et 300 K euros pour 250 kWc", donne en exemple Sylvain Viellepeau. Sachez que le générateur est disponible en location avec option d'achat, moyennant un contrat établi sur 8 à 15 ans avec EDF ENR notamment. "Dans ce cas, le montage financier permet d'assurer un équilibre positif ; les coûts étant épongés par les économies dégagées", informe Sylvain Viellepeau.
Autre solution à entrevoir, "la possibilité de se connecter sur les réseaux de chaleur ou de froid existants dans les grandes villes autour de sa zone d'exploitation", suggère Valéry Hergott. Le siège de Bouygues Construction exploite ainsi 75 sondes de géothermie placées à 100 mètres de profondeur pour utiliser la température de la terre comme ressource naturelle. Plus rares encore, des grands groupes commencent à investir directement dans des projets d'énergies propres, comme Google qui signait un accord au début de l'année pour acquérir une centrale solaire de dix mégawatts dans la ville de Tainan (Taïwan) ; connectant directement les panneaux solaires à son centre de données installé dans le comté de Chuanghua.
En bref, le spectre de solutions envisageables n'a pas fini de s'étoffer. Il reste fort à parier que les projets d'autoconsommation collective vont se faire plus nombreux dans les prochaines années avec l'amélioration du stockage de l'énergie et la montée des enjeux RSE. Entre autres.
Témoignage : "L'énergie ne doit plus être uniquement traitée sous l'angle de la performance achat"
En 2018, la consommation d'énergie annuelle du groupe SNCF avoisinait les 17 Térawatts-heure (dont neuf en électricité, soit l'équivalent de la production d'un réacteur nucléaire) pour un coût évalué à 1,2 milliard d'euros. "Nous avons pris conscience que l'énergie ne devait plus être uniquement traitée sous l'angle de la performance achat compte tenu de notre consommation et des enjeux environnementaux et sociétaux. Surtout, nous avons une vraie volonté de nous engager dans la lutte pour le climat", énonce Olivier Menuet, directeur énergie du groupe SNCF. En réponse, une politique d'énergie responsable a été mise en place. "D'ici 2025, notre électricité devra être issue à 45 % de l'énergie renouvelable." La consommation électrique est amenée à se verdir, mais aussi à se réduire de 20 % à l'horizon 2025. La solarisation progressive des actifs est une autre des mesures envisagées. "Nous voulons produire notre propre énergie renouvelable avec un objectif prioritaire qui est de l'auto-consommer", ambitionne Olivier Menuet. Une ferme solaire au sol, qui comporte dix-sept hectares de panneaux solaires, a ainsi été mise en activité sur un terrain abandonné de la gare de Surdon (61). Elle génère 7,8 Gigawatts-heure annuels, soit l'équivalent de la consommation électrique (hors chauffage) de 3 150 foyers. Sur Lille, la toiture d'un bâtiment en construction, dédié à la maintenance des trains, a accueilli 9000 m² de panneaux solaires pour un investissement de 1,5 million d'euros. "Le ROI est de 10 ans, voire moins si le prix de l'électricité continue de grimper." Autre tournant pour la SNCF, la signature en juin dernier par SNCF Énergie, dont Olivier Menuet est le président, d'un contrat avec Voltalia. "C'est le premier accord français d'énergie verte qui a été conclu sur 25 ans à prix fixe. Reposant sur 143 mégawatts-crête, soit 4 % de nos besoins électriques ferroviaires, il nous confère un tarif très significativement inférieur au prix du marché." La SNCF prévoit de garantir 25 % de sa consommation via le mécanisme du Power Purchase Agreement (PPA). Sa politique d'énergie verte ne se cantonne pas à l'électricité. D'ici 2021, le biocarburant à 100 % de colza sera employé pour réduire les émissions de CO 2 , des trains hybrides et hydrogènes devraient entrer en circulation dès 2022-2023.
Témoignage : "Notre métier ne consiste pas à faire du trading sur le marché de l'énergie verte"
Depuis 2014, l'énergie est à 100% verte au sein des entités d'Axa France, conformément à sa politique RSE. "Il en sera de même dans tous les pays où le groupe se prévaut d'une présence d'ici à 2025" , indique Sandrine Lefèvre, directrice des achats indirects d'Axa France. Récemment, elle signait un contrat sur deux ans afin de ne pas faire face à la volatilité des prix sur le marché de l'énergie propre. "Ce n'est pas notre métier que de faire du trading sur le marché de l'énergie verte", rappelle Sandrine Lefèvre. L'enseigne s'appuie sur les Certificats de garantie d'origine pour valider les sources d'approvisionnement. Elle souligne néanmoins que la traçabilité de ce dispositif demeure perfectible. "Nous voulons réduire l'opacité afin d'avoir la certitude de ne consommer que de l'énergie produite en France ou du moins en Europe. Nous aimerions également connaître la source d'approvisionnement, c'est-à-dire savoir si c'est de l'énergie solaire ou éolienne par exemple". En parallèle, Axa France mène des actions afin de réduire sa consommation énergétique. En 2019, elle choisissait ainsi de se dessaisir des trois bâtiments les plus énergivores, investissant dans trois bâtiments à Haute qualité environnementale (HQE). Au final, elle voyait sa consommation globale réduite de 30% sur l'année 2019. "Cela permet d'absorber le surcoût de l'énergie verte, de l'ordre de un à deux euros selon les années par kilowattheure." Et depuis avril, la toiture de l'un des cinq bâtiments abritant le siège social d'Axa France (Nanterre), s'est vu doté de 540m ² de panneaux photovoltaïques pour une puissance de 89 Kilowatts-crête. "Cette production solaire représente désormais 4% de la consommation du bâtiment et a déjà permis de réduire nos achats d'énergie de l'équivalent de 80 00 euros en six mois de production". Mis en oeuvre par le propriétaire des locaux Icade, ce pilote va être étendu à d'autres bâtiments à partir de 2020. Et pourrait être dupliqué dans d'autres villes. Se voulant moins gourmande en CO2, Axa France réfléchit aussi à tendre vers une flotte automobile résolument plus verte.