"Etre start-up friendly, c'est exprimer la volonté de construire une relation respectueuse et gagnant/gagnant avec les start-up"
Ngan Nguyen a remporté le Prix Jeune acheteur / Meilleur mémoire de master 2 achats lors des Trophées Décision Achats pour son travail sur: "Définition et mise en oeuvre du sourcing et pilotage de la relation avec les startups au sein de la direction achats d'un grand groupe de service". Rencontre.
Je m'abonneQu'est-ce qui vous intéresse dans la fonction d'acheteur et qui vous donne envie d'y faire carrière ?
Tout d'abord je tiens à remercier Décision Achats et le Conseil National des Achats d'avoir donné l'occasion aux étudiants de venir s'exprimer lors d'un événement professionnel aussi important que les Trophées Décision Achat.
Lors de ma première expérience professionnelle dans la distribution, j'ai adoré optimiser mes achats de promotions pour répondre aux objectifs de performance des ventes. La gestion de la relation fournisseurs m'a également beaucoup plu. Dans une logique de continuité, mon choix de me diriger vers le métier d'acheteur s'est ainsi établi. Je me suis inscrite au Mastère Spécialisé Gestion Achats Internationaux et Supply Chain à l'Essec Business School. Cette formation m'a permis de mieux comprendre cette fonction extrêmement riche à mon sens dans la variété des produits/services que l'on peut acheter, dans la technicité des analyses et en contact avec les acteurs internes et externes de l'entreprise.
Ces richesses font que l'acheteur ne s'ennuie jamais au travail, il est sans cesse challengé au quotidien et cela m'est important. C'est aussi une fonction de plus en plus stratégique où la performance des achats participe activement à la réussite de l'entreprise.
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Pourquoi avez-vous choisi ce sujet de mémoire ?
Au premier semestre 2017, j'ai eu l'occasion d'effectuer mon stage d'achats innovation auprès de Maxime Genestier, secrétariat général de la direction achats du Groupe Crédit Agricole SA. J'ai été également accompagnée par Alain Alleaume, mon directeur de thèse professionnelle et enseignant historique de notre formation. J'ai eu comme mission la mise en place d'un logiciel SURM (Start-up Relationship Management) édité par la start-up Yoomap. Il s'agit d'une plateforme d'open innovation permettant aux grandes entreprises de gérer leurs relations avec les start-up, de l'identification d'une opportunité à sa mise en oeuvre sur le terrain. En parallèle, je participais à la gestion de la relation fournisseur avec la start-up Early Metrics, l'agence de notation des jeunes entreprises innovantes. Mon sujet de mémoire s'est donc porté sur cette relation entre les grands groupes et les start-up. Mes projets étant un cas d'étude adéquat pour approfondir les enjeux liés à cette problématique. En concertation avec mes tuteurs, nous sommes convaincus des bénéfices que ce sujet innovant et d'actualité peut apporter à la fonction achats.
Quel diagnostic faites-vous des pratiques actuelles et comment avez-vous procédé pour le dresser ?
Les start-up représentent aujourd'hui une réelle source d'opportunités pour les grands groupes d'accéder aux nouvelles technologies ou de réduire les coûts. En ce qui concerne leur direction achats, elles constituent une nouvelle catégorie de fournisseurs à appréhender. Ainsi, mon mémoire s'attache à préparer le terrain pour les acheteurs dans l'élaboration d'un processus d'achats avec ces jeunes pousses innovantes. La réflexion débute par une analyse des spécificités d'une start-up afin de faciliter les choix stratégiques de collaboration. L'incertitude fondamentale sur la pertinence du concept, la capacité à trouver les clients et le rôle crucial des fondateurs pour mener à bout le projet sont les éléments fondamentaux de la réussite d'une start-up.
Selon Joseph Alois Schumpeter (1882-1950), les innovations sont des inventions qui ont séduit le marché. W. Chan Kim et R.Mauborgne, les auteurs du concept de la stratégie Océan Bleu parlent du couple Innovation-Valeur (Innovation qui crée de la valeur pour les clients et l'entreprise). Ces réflexions permettent à l'acheteur de se poser les bonnes questions face à un nouveau concept développé par une start-up rencontrée.
L'analyse de maturité d'une start-up consiste à évaluer une start-up dans le temps selon les critère d'exclusivité, de risque d'échec, de prix et de délai en fonction des niveaux de développement de son produit et de son business. Elle peut servir également à la gestion de portefeuille de plusieurs start-up en même temps.
Dans un écosystème start-up de plus en plus densifié avec de très nombreux acteurs, une cartographie complète et une méthodologie prédéfinie permettent de réaliser un sourcing efficace et optimiser le time-to-start-up.
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Le Président de la République a annoncé, lors de sa visite au salon Vivatech 2017, la création d'un fonds pour l'investissement dans les start-up de 10 milliards d'euros. Il s'agit de l'une de ses 5 mesures phares en faveur des start-up dans son programme du quinquennat qui montrent une volonté de favoriser l'écosystème de start-up en France et représentent une opportunité pour les acteurs qui s'y trouvent. Selon Maddyness, magazine incontournable des start-up, la France en compte pas loin de 10000 et on y trouve un peu plus de 230 incubateurs au total. Selon le Rapport de "Global Startup Ecosystem Ranking 2017" par Startup Genome, Paris est classé à la 11e place.
Une fois l'écosystème start-up identifié et cartographié, deux méthodologies de sourcing peuvent être utilisées : le PUSH (aller chercher la start-up dans son écosystème à travers les visites de salon, de conférences par exemple) ou le PULL (faire venir les start-up à travers les appels à compétences ou la création de concours d'idée ou les infrastructures de type incubateurs)
Le time-to-start-up varie en fonction de la méthodologie choisie et représente un levier de gain de temps dans la course vers la sélection du champion.
Enfin la relation achats/ start-up peut s'établir avec le rôle clé de l'acheteur dans la contractualisation, la gestion de risques et la gestion de projet d'innovation au sein de l'entreprise.
Trois typologies de relations sont identifiées : POC (Proof of concept, expérimentation dans le cadre d'un cas d'usage) / Pilote (test en condition réelle dans un périmètre limité) / Partenariat (relation contractuelle)
Le pilotage de projet achats innovation se réalise en définissant le sponsor, le budget et l'équipe projet composée d'acteurs issus des métiers/ innovation, de la DSI, des services juridique, communication et des achats.
Que préconisez-vous pour que les acheteurs soient davantage startup-friendly?
Si "eco-friendly" signifie respectueux de l'environnement, être "start-up friendly" constitue une manière d'exprimer la volonté de construire une relation respectueuse et gagnant/gagnant avec les start-up.
Lors de notre voyage d'études en décembre 2016 à Singapour, l'occasion s'est présentée de visiter au sein du laboratoire de recherche IPAL (Image Pervasive Access Lab) un appartement expérimental au service de l'amélioration du quotidien des seniors. Il est équipé dans les moindres recoins de capteurs qui transmettent en temps réel des données à analyser par des systèmes d'intelligence artificielle. Je me souviens toujours d'avoir dit au directeur du laboratoire que "J'ai l'impression d'avoir changé de siècle depuis la visite". Cette rencontre a complètement changé ma perception du monde dans lequel nous évoluons et a révélé mon appétence pour l'innovation. Première préconisation : avoir un déclic pour l'innovation.
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La collaboration avec les start-up représente de nombreux enjeux pour les acheteurs. Elle permet à l'entreprise d'accéder aux nouvelles technologies et l'aide dans sa transformation digitale. Elle crée des leviers supplémentaires de coût, de délai d'exécution, d'exclusivité, autant d'arguments pour persuader les clients internes et challenger les fournisseurs déjà en place.
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Depuis la vague de création d'entreprises innovantes en début des années 2000 liée à la bulle internet, beaucoup d'entre elles ont réussi et sont devenues des entreprises technologiques et des fournisseurs normaux de nos jours. Ainsi, si nous suivons le courant, les start-up aujourd'hui vont devenir nos fournisseurs de demain. Plus tôt nous les appréhendons, plus faciles seront nos tâches de demain. La conduite de changement aujourd'hui aide l'organisation à se préparer pour surfer sur les futures vagues d'innovation/ start-up. Deuxième préconisation : comprendre les enjeux de collaborer avec les start-up.
En effet la manière dont l'acheteur travaille avec les start-up peut être différente d'une relation fournisseur classique. Je cite ma propre expérience de stage que j'ai beaucoup appréciée. Quand je suis arrivée chez Crédit Agricole SA. en tant qu'assistante achats innovation, mon premier travail consistait non pas à acheter mais à aller " vendre " la solution Yoomap auprès des utilisateurs potentiels des différentes filiales du Groupe. Seulement après que tout le monde soit convaincu de son intérêt, le processus de contractualisation a été entamé. L'acheteur dans ce cas a pris une double casquette de vendeur/ acheteur, sans oublier sa capacité d'être stratège dans l'identification en amont des acteurs en interne susceptibles de recevoir une telle proposition innovante. " Créateur d'use-case, matchmaker entre la start-up et le client interne, facilitateur contractuel, chef de projet et risk manager " sont d'autres exemples de rôles que l'acheteur peut avoir à endosser. Troisième préconisation : s'adapter
Plusieurs directions achats ont déjà entrepris des actions concrètes sur le sujet de collaboration avec les start-up. Je pense au Groupe BPCE avec son dispositif "Startup Pass", au portail web "Innover avec le Groupe PSA" ou encore le "Kit contrats startup" de la SNCF, etc. Pour les autres directions qui hésitent encore, elles peuvent d'ores et déjà rechercher des retours d'expériences d'autres entreprises tout en collaborant avec les start-up sans attendre en utilisant l'approche test & learn qui consiste à expérimenter une solution technologique innovante d'une start-up selon le schéma POC-Pilote-Partenariat. Dans un second temps une stratégie et des KPIs sont à préciser. Quatrième préconisation : test & learn
Cinquième préconisation : la création d'un label "Start-up friendly" par des directions achats me semble une idée intéressante à considérer pour trois raisons : Faciliter le partage des bonnes pratiques entre acheteurs/ Faire savoir aux start-up la volonté de collaboration / S'obliger à définir et respecter les règles du jeu pour avancer.
"To be or not to be start-up friendly" l'acheteur décidera.