Quelle transformation des achats d'innovation de défense aux Etats-Unis ?

.Les acheteurs comme leurs prescripteurs et clients internes sont unanimes sur les lourdeurs et freins administratifs rencontrés pour réussir à répondre efficacement à ces nouveaux défis. Sans donner leur avis sur les choix politiques récents, ils soulignent que cela va avoir un impact, sans le détailler en public. Ils reconnaissent aussi la valeur positives des nouveaux dispositifs réglementaires et organisationnels pour fluidifier les achats d'innovation et préparer le passage à l'échelle des innovations, tout en soulignant que s'il y a quelques réussites notoires, il y a aussi de nombreux échecs, et qu'il reste encore beaucoup à faire.

L'innovation, une question de culture et de management avant tout ?

Le plus intéressant, et transférable directement à un contexte hors USA, est la conscience partagée d'un nécessaire changement de culture dans les acquisitions de défense. Cela commence par une nouvelle posture face aux risques Achats. Généraux, amiraux et responsables des services étatiques d'acquisition et d'innovation de défense ont souligné le besoin de sortir d'une approche binaire du risque qui conduit à l'éviter plutôt que le gérer. Aujourd'hui le vrai risque, celui qui compte, est l'inaction. Le risque de ne pas livrer la capacité à temps est ce qu'il y a de plus important - quitte à ce que le produit livré ne soit pas parfait du premier coup. Le risque doit être vu comme une étape d'apprentissage plutôt qu'un échec.

Le changement passe également par une culture managériale favorable à l'innovation. Les officiers généraux ont ainsi souligné que l'innovation n'est pas qu'affaire de procédures ou de technologies, mais surtout de management. En pratique, ils proposent de valoriser ceux qui abaissent les obstacles, plutôt que ceux qui suivent scrupuleusement les règles.

Former d'abord, ancrer ensuite et enfin devenir acteur

Enfin, ce changement s'accompagne de multiples initiatives de formation favorisant l'innovativité individuelle comme collective pour l'ensemble des acteurs de l'acquisition de défense. Cela se traduit par le parcours de formation en ligne « Innovatve to win » proposée par la DAU (Defense Acquisition University), par des travaux de recherche-action dans le cadre de formations continues des marins à la Naval Postgraduate School, ou par l'initiative ICAP de la DIU (Défense Innovation Unit), l'agence dédiée aux relations avec les start-up, et de la DAU.

L'ICAP (Immersive Commercial Acquisition Program) est un programme de formation par l'immersion et l'action centrée sur les Achats-Innovation qui sera lancé en octobre 2025. Destiné à des professionnels expérimentés du DoD (Department of Defense) et travaillant sur les achats, ce programme combinera cours virtuels et projets réels tutorés sur 1 année. Ces projets seront des vrais projets d'achats avec des partenaires technologiques innovants qui sont conduits avec l'accompagnement d'un expert des contrats de la DIU. Et le programme se clôturera par un projet de fin d'études. Celui-ci devra être, pour chaque participant, un plan de formation pour leur organisation d'origine, tiré de leur connaissance de celle-ci combinée à leur expérience nouvelle et aux enseignements qu'ils auront tirés du programme ICAP. L'objectif est donc d'aguerrir les participants aux techniques d'achat innovant mais aussi d'en faire des instruments du changement.

Tout ici est histoire de culture, de management de formation.

Pour aller plus loin :

Romaric Servajean-Hilst est directeur académique du MAI Executive Education de Kegde BS. Il est aussi chercheur associé au Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique et entrepreneur. Ses travaux portent sur le management de l'innovation collaborative en B2B et sur les changements qu'elle nécessite au sein des organisations. Il est aussi l'auteur des tribunes suivantes:

-"Si vous ne couplez pas l'IA avec une gestion des priorités différentes, celle-ci n'est pas utile"

-Comment les achats sont-ils intégrés à l'innovation collaborative

-"Achetons" cela ne rime pas encore avec "innovons"... pas encore !