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Bruno Crescent, directeur des achats d'EDF : " L'acheteur doit faire preuve d'humilité et de pédagogie "

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Bruno Crescent, directeur des achats d'EDF : ' L'acheteur doit faire preuve d'humilité et de pédagogie '

Professionnalisation des pratiques achats, collaborations gagnant-gagnant avec les prescripteurs et les fournisseurs, etc., le patron des achats d'EDF, Bruno Crescent, a su asseoir la légitimité de sa direction en interne comme en externe.

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En 12 ans d'existence, la direction achats d'EDF a largement su imposer sa marque en interne. Qu'est-ce qui explique un tel succès ?

B. C. : Lorsque j'ai pris la tête des achats d'EDF en 2002, j'avais pour premier objectif de structurer cette direction qui venait tout juste d'être créée. En faisant appel, dès le départ, à un spécialiste des achats, la volonté de la gouvernance d'EDF était d'installer une vraie fonction achats, efficiente et professionnelle, en appui aux différents métiers du groupe. Cela n'allait pas complètement de soi car il y a toujours des résistances quand une direction achats est créée au sein d'une grande entreprise. Aussi, pour assurer la professionnalisation de notre fonction et sa valorisation auprès des clients internes, deux prérequis prévalaient : accorder le temps nécessaire et faire preuve d'humilité.

Qu'entendez-vous par "humilité" ?

Pour s'imposer comme un véritable apporteur de solutions, l'acheteur doit savoir être pédagogue et rester humble. Typiquement, chez EDF, ce n'est certainement pas lui qui va apprendre aux opérationnels les enjeux et les contraintes liés au nucléaire ! Donc, même si des acheteurs, forts d'une expertise technique, sont désignés sur chaque famille d'achats, ils ne prennent en aucun cas la place des prescripteurs dans la définition des besoins. D'autant que ces derniers, en charge de produire et de distribuer l'électricité, assument des impératifs prégnants, notamment techniques, de sûreté ou de continuité de service. D'où la nécessité de comprendre leurs exigences, en étant à leur écoute et en favorisant un dialogue constructif, pour élaborer ensemble des stratégies d'achats ambitieuses, sans s'interdire de repenser les besoins. Une fois qu'une telle approche est intégrée dans les pratiques, on évite toute tension pouvant altérer la relation entre acheteurs et clients internes. Ce qui constitue un facteur de succès non négligeable.

Pourquoi cette relation est-elle si stratégique ?

Pour une raison évidente : dans un groupe industriel à forte culture technique et d'ingénieurs, comme l'est EDF, il est primordial d'instaurer une relation de bonne intelligence avec les prescripteurs, favorisant la compréhension mutuelle et la bonne complémentarité. Cette relation doit reposer sur un travail en binôme avec une parfaite répartition des missions et des tâches. Du côté des prescripteurs, la juste expression des besoins, notamment techniques, et pour les acheteurs, la gestion optimale du processus de contractualisation. Mais encore faut-il que chacun respecte le rôle de l'autre. Pour les acheteurs, il s'agit d'éviter de bouleverser de manière brutale les habitudes ou de remettre en cause les prérogatives des clients internes, sans pour autant se faire raconter des carabistouilles ! Car les exigences des opérationnels (fiabilité, sécurité...) ne doivent pas se transformer en alibis ou en "faux motifs" de leur part. Aussi, il appartient aux acheteurs d'analyser et de savoir faire le tri, de manière subtile mais impartiale, parmi les exigences formulées, en recourant à la pédagogie, à la psychologie et parfois à l'humour, très utile au quotidien !

Quels principaux leviers avez-vous privilégié au cours des dernières années pour professionnaliser la direction des achats ?

Nous avons tout naturellement procédé par étapes. Avec, tout d'abord, la rationalisation des différents panels fournisseurs : suppression des références "dormantes" ou actions de sourcing, afin de disposer, pour chaque famille d'achats, d'un panel adapté à nos besoins et d'une mise en concurrence efficace. Avec, en parallèle, la professionnalisation de la fonction : mise en place de processus robustes et normés - dans le respect de la directive européenne 2004/17-CE qui encadre nos achats -, sans oublier des procédures sous assurance qualité et des cursus de formations.

Nous avons ensuite travaillé à la généralisation de leviers de performance, tels que la "mieux-disance", les synergies groupe, le pricing - qui vise à favoriser une décomposition des coûts transparente - ou le partenariat productivité avec les ­fournisseurs. Ce dernier s'inspire des pratiques de l'automobile, avec pour objectif de faire gagner en performance les deux parties tout au long de ­l'exécution d'un contrat, et de se partager les gains générés.

Comment se structurent aujourd'hui les achats d'EDF ?

Notre direction, rattachée à la finance, est organisée en quatre domaines, selon les grands métiers d'EDF : les achats de production et d'ingénierie (construction et entretien des centres de production nucléaires, thermiques et hydrauliques), les achats d'informatique et de télécommunications, les achats de matériels du réseau de distribution d'électricité, et les achats tertiaires et de prestations (achats généraux, immobilier, déchets et produits chimiques, prestations intellectuelles, R & D...). Pour favoriser un dialogue de haut niveau avec les prescripteurs, un responsable stratégie d'achats (RSA) a été nommé pour chaque famille. Chacun de ces RSA élabore, en lien avec les prescripteurs et les acheteurs, des plans stratégiques annuels à court et moyen termes, en associant, le cas échéant, les filiales du groupe.

Par ailleurs, dès 2004, nous avons mis en place des actions de synergies avec nos filiales à l'échelle internationale. Cette coopération de tous les jours - qui est désormais entrée dans nos modes de fonctionnement quotidiens - porte notamment sur les appels d'offres, la mutualisation des panels de fournisseurs, le partage d'outils, la consolidation de données achats dont les savings, etc. J'ai personnellement en charge l'animation de la filière achats au niveau du groupe. Les synergies s'exercent en favorisant la complémentarité des compétences, tout en veillant à préserver une approche locale et de proximité dans les domaines qui s'avèrent pertinents.


Quels sont vos objectifs en matière de réduction de coûts ?

Le groupe met en oeuvre des plans de productivité et la direction achats est challengée sur les gains au niveau des prix, où nous obtenons des résultats très significatifs. Néanmoins, on ne peut procéder à une politique de réduction des coûts pure et dure dans des secteurs stratégiques comme les nôtres (nucléaire, distribution d'électricité...). Surtout dans un groupe comme EDF qui exerce une mission de service public avec de fortes exigences en termes de qualité et de fiabilité. De par le caractère "emblématique" de notre entreprise, nous nous devons d'être tout autant exemplaires en matière de gestion de la relation fournisseur.

Quelle est votre démarche pour favoriser une relation fournisseur exemplaire ?

Je milite pour une collaboration durable, transparente et gagnant-gagnant avec nos partenaires, notamment stratégiques. Car un acheteur responsable doit d'abord s'intéresser au niveau de marge de ses fournisseurs. Pour que tous nos collaborateurs soient convaincus et imprégnés de cette philosophie, j'ai souhaité que nous nous inscrivions, en 2014, dans une démarche de labellisation "Relations fournisseurs responsables". Ce label, délivré par la Médiation inter-entreprises, vise à distinguer les sociétés qui font preuve de relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs, notamment sur le respect des délais de paiement. Voilà une démarche, riche en symbole, largement révélatrice de notre ambition : celle de professionnaliser toujours plus la filière achats d'EDF, dans le respect de ses environnements et écosystèmes.

Comment EDF renforce sa collaboration avec les PME ?

Au regard du cadre juridique et administratif contraint dans lequel nous évoluons, et compte tenu du principe de mise en concurrence, gérer l'équilibre entre grands groupes et PME, entre fournisseurs internationaux et français, est un de nos enjeux premiers. Si les PME représentent désormais pas moins de 20 % de nos achats directs, c'est parce que nous avons su mener, en amont, diverses actions pour favoriser la collaboration avec elles. Ainsi, EDF a été l'un des premiers signataires, en 2005, du Pacte PME, charte d'engagement des grands groupes visant à améliorer les relations avec les petites entreprises. Preuve que la collaboration avec les PME innovantes est également l'une de nos priorités : nous avons organisé, en décembre 2013, avec la direction de la R & D du groupe - et en partenariat avec le Comité Richelieu - un networking auquel ont pris part 125 start-up. De plus, nous avons ouvert, courant 2014, un "guichet" unique on line favorisant l'accès des PME innovantes à nos marchés. Un service clés en main qui les aide à trouver en un clic le bon interlocuteur pour déposer leur offre de services.

Quelle est votre démarche en matière d'achats responsables ?

Elle se structure autour de plusieurs axes. Tout d'abord, la signature d'une "Charte développement durable" avec l'ensemble de nos fournisseurs. Ensuite, la collaboration avec les secteurs protégés et adaptés s'impose comme un levier important, avec un objectif de contractualisation annuel de 500 unités bénéficiaires d'ici à 2015. En 2013, le montant de nos achats solidaires - qui incluent également les commandes aux structures d'insertion par l'activité économique - s'est élevé à 11 millions d'euros. Pour parvenir à un tel objectif, il n'y a pas de recette miracle, si ce n'est conserver, encore une fois, l'humilité, la pédagogie, la générosité et la compréhension nécessaires. C'est ce qui donne toute sa noblesse au métier d'acheteur de notre époque.

Biographie

Bruno Crescent, 64 ans, est diplômé de l'École polytechnique de Lausanne. Il a commencé sa carrière en 1975 au sein d'Elf Aquitaine, où il a occupé les fonctions d'ingénieur commercial, de chef de produits, puis de directeur général du GIE Génétrans. À partir de 1985, il s'est imposé à la tête des achats de diverses entreprises : Calberson, Sceta (filiale de la SNCF) ou encore Lear Automotive. C'est en 2002 qu'il a rejoint EDF comme directeur achats et de l'immobilier. Bruno Crescent est aujourd'hui directeur achats du groupe.



 
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