Travel Management Company : vers une stratégie de reconquête
Alors que la reprise reste timorée dans le voyage d'affaires, le paysage des TMC n'en finit plus de se recomposer. Comment ces dernières redéfinissent leurs offres et quelles sont les nouveaux services pour les voyageurs d'affaires ?
Je m'abonne"On n'a jamais eu autant besoin de nous, et pourtant on n'a jamais perdu autant d'argent." C'est avec ce constat ironique que Yorick Charveriat, vice-président et directeur général France d'Amex GBT, décrivait le contexte très singulier du voyage d'affaires des derniers mois, à l'occasion de sa participation à la 2ème édition du Grand Live organisé en début d'année par CDS Groupe sur les tendances du secteur. Le constat reste délicat. "Nous sommes aujourd'hui à 35 % des activités d'avant-crise sanitaire", résume-t-il.
Des cartes rebattues
Autant dire que la reprise est timide pour les acteurs du secteur. Pourtant, de nouveaux besoins émergent et s'affirment au sein des entreprises, et les TMC semblent bien placés pour relever ces défis. "La pandémie nous a appris à être plus agile. Dès qu'un basculement en télétravail redevient nécessaire, nous nous adaptons désormais très vite en étant très réactifs par rapport aux souhaits des clients. Travel Vitals, notre nouvelle plateforme d'informations liées aux conditions sanitaires fournit des données mises à jour en temps réel", ajoute Yorick Charveriat.
L'heure est au renouveau pour les TMC. Des levées de fonds historiques ont secoué le secteur et les rachats spectaculaires se succèdent, à l'image du rapprochement entre Amex GBT et Egencia ou encore de TripActions et Reed & Mackay. Pendant que les grands comptes sabrent leurs budgets voyage pour des raisons économiques et écologiques, les PME, représentant jusque là un marché peu intermédié semblent prêtes à se tourner davantage vers les TMC. Selon le cabinet de conseil EPSA, 50% des entreprises françaises ne font pas appel aux services d'une TMC à l'heure actuelle, laissant entrevoir la possibilité d'un relais de croissance important pour les années à venir.
Les PME : nouvel eldorado des TMC ?
Pour Bertrand Poey, directeur France Agences de Voyages chez Amadeus, "les PME constituent le pan de l'économie le plus résilient. Bon nombre d'entre elles souhaitent se tourner vers des agences pour gagner en maîtrise et en fiabilité, la covid-19 ayant eu un effet de sensibilisation sur ce plan. Elles veulent s'assurer que le voyageur arrive en temps voulu, sans aléas, de façon confortable. Par ailleurs, le contexte de déplacement plus difficile provoque un coût accru des voyages d'affaires, et incite à mieux contrôler les dépenses. L'expertise des TMC peut être précieuse dans ce but."
Le marché semble très fragmenté, mais prometteur. L'obligation de porter assistance à ses collaborateurs est beaucoup entrée dans les consciences récemment. "Cette sensibilisation incite les PME à se réformer dans la manière de gérer les déplacements des collaborateurs. Les prises de décision dans les PME sont bien plus rapides que dans les grands comptes, ce qui fait que l'adoption de nouvelles solutions peut être bien plus rapide que ce que l'on pense", confirme Yorick Charveriat. Signe des temps qui changent : TripActions, largement positionné sur le créneau des PME aux Etats-Unis, investit massivement en Europe à l'heure actuelle. "Après le Royaume-Uni il y a environ un an, nous avons lancé nos activités dans de nouveaux pays tels que la France ou l'Allemagne. Notre force est d'avoir une proposition de valeur pour des PME souhaitant une solution simple pour leurs voyages d'affaires", décrit Zahir Abdelouhab, vice-président Europe du Sud chez TripActions.
En route vers la TMC du futur
A la faveur de la crise sanitaire, la RSE devient désormais un sujet concret, avec des demandes toujours plus fréquentes au sein des entreprises. "La possibilité de filtrer les avions par taux de CO2 au sein des outils suscite un intérêt croissant, tout comme le fait de faire apparaitre des pastilles d'hôtels jugés "bons élèves" en matière d'écoresponsabilité", remarque Yorick Charveriat. L'enjeu de la maîtrise des coûts fait aussi partie des défis d'avenir. "Dans une étude que nous avons menée auprès de 250 travel managers en 2021, nous avons constaté qu'ils sont 57% à mentionner une augmentation des coûts. Il y a une nécessité forte de disposer de contrôles accrus à ce niveau, et les TMC doivent aussi proposer de nouveaux services allant dans ce sens", assure Bertrand Poey. Autre virage jugé inévitable : la proposition d'offres innovantes en accord avec l'organisation d'événements hybrides, avec des infrastructures adaptés à ces cas de figure.
Personnalisation et expérience utilisateur
Zahir Abdelouhab estime qu'un nouveau business modèle est en train de naître pour les agences de voyages : "le rôle de la TMC est en pleine redéfinition : le client à adresser est plus que jamais le voyageur. Les solutions par le passé ont souvent été mises en place pour les entreprises, en négligeant le fait que le collaborateur en déplacement est le premier utilisateur. Il faut des usages les plus complets possibles et les plus plaisants possibles, en phase avec ceux qu'on connaît dans la vie privée. Le but premier doit être de s'assurer de l'adoption par les collaborateurs."
Il s'agit d'évoluer vers une personnalisation et une expérience utilisateur bien plus créatrice de valeur. Concrètement, le but est d'améliorer le ciblage avec des recommandations mieux adaptées aux profils des clients. "L'enrichissement des contenus avec le standard NDC est une vraie valeur ajoutée pour les TMC. En fonction des politiques voyage, on doit pouvoir proposer des offres plus détaillées, avec davantage de profondeur", estime Bertrand Poey.
La personnalisation est également "incontournable", pour Yorick Charveriat. "Il est très compliqué de parler à tous les clients de la même manière. Les priorités RSE sont différentes, tout comme les enjeux financiers ou l'importance des déplacements dans l'activité exercée. Par le passé, les TMC se ressemblaient beaucoup. Le nouveau contexte et les développements actuels axés sur les approches personnalisées accentuent les différences entre les acteurs."
Nouvelles technologies pour une nouvelle flexibilité
Les technologies intelligentes transforment la gestion des voyages d'affaires. Les applications mobiles permettent aux voyageurs de gérer leurs itinéraires, de suivre leurs dépenses et de rester en contact avec leur entreprise en temps réel. Les plateformes de réservation intègrent désormais des informations sur les politiques de voyage de l'entreprise, facilitant ainsi la conformité. L'automatisation des tâches administratives permet également aux gestionnaires de consacrer plus de temps à des aspects stratégiques. Cette incursion digital en terres de voyages d'affaires s'explique par une anticipation des risques nécessaires mis en lumière par les effets de la pandémie de COVID-19. Les entreprises reconnaissent désormais l'importance de politiques de voyage adaptables qui tiennent compte des changements soudains dans le monde. Les voyageurs apprécient également la possibilité de modifier leurs plans sans pénalités excessives.
L'apport est également de l'ordre de la relation client avec la mise à disposition de chatbots intelligents, capable de répondre à des requêtes variées à tout moment, mais aussi d'ordre humain. Pour être constructif, l'accompagnement humain doit se faire en cohérence avec le digital. "80% de nos ressources sont des agents qui communiquent par téléphone. Si une crise se produit comme un nouveau variant ou une éruption volcanique qui empêche tout trafic aérien, nous ne pouvons pas adapter les ressources humaines en conséquence. Le temps de procéder au recrutement, la vague difficile serait passée. Il faut donc des outils et des processus adaptés", illustre-t-il. La possibilité de gérer des modifications de réservation directement par des messageries instantanées est par exemple une solution très agile.
La diversification des services est également une clé des développements à venir pour les TMC, comme des offres VIP, Meeting & Events, ainsi que le consulting, visant par exemple à aiguiller le client dans sa stratégie fournisseurs.
La lumière au bout du tunnel ?
Le spécialiste du voyage d'affaires Amadeus a publié en janvier dernier les résultats d'une vaste étude portant sur le marché fortement chamboulé des TMC. Certaines conclusions ne sont pas forcément rassurantes : 63% des interrogés pensent que le volume global des voyages d'affaires restera inférieur à celui d'avant la crise sanitaire de la covid-19, notamment en raison de la complexité accrue des voyages et des préoccupations liées à la durabilité environnementale. Ils sont par ailleurs 77% à penser que la vidéoconférence remplacera les réunions internes en présentiel.
Mais d'autres observations sont synonymes d'espoir. 49% des interlocuteurs soulignent un passage à "la gestion des voyages" pour presque tous les déplacements professionnels, en raison du risque accru et de la complexité des voyages dans un contexte de pandémie, suggérant que les voyages des PME et des PMI organisés avec la technologie sont une opportunité croissante pour le secteur. L'étude d'Amadeus précise qu'une TMC a rapporté que 75% de ses nouveaux clients n'utilisaient pas d'agence précédemment. Le devoir de diligence est par ailleurs identifié comme la première exigence des clients en matière de voyages d'affaires. 65 % des répondants assurent que les entreprises accordent une importance accrue à ce domaine.