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Les stratégies de 9 décideurs achats face aux risques grandissants

Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Les stratégies de 9 décideurs achats face aux risques grandissants

9 des 10 personnalités en lice pour le trophée du Décideur Achats de l'année se sont réunies pour échanger sur un sujet qui les préoccupe tout particulièrement en ces temps de pandémie : les risques. Ou comment anticiper plutôt que réagir.

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"Les phénomènes de risque vont grandissants" : dès ses premiers mots, Jean-Michel Mardelle, directeur achats de Fleury Michon, a donné le ton de la table-ronde qui a réuni 9 des 10 décideurs achats en lice dans le cadre des Trophées Décision Achats en ce mois de juillet. Pendant un peu plus d'une heure, les 10 personnalités ont échangé autour des risques auxquels ils doivent faire face et des stratégies mises en place pour y répondre au mieux.

Jean-Michel mardelle

Jean-Michel Mardelle - après avoir parlé entre autres risques de la volatilité des prix et des pénuries mais aussi du futur des matériaux plastiques - a bien souligné le challenge qui est assigné aux décideurs achats face à ces sujets : "Les directions générales nous demandent de plus en plus de travailler en prévoyance et pas par réaction. Il nous faut prévenir en diversifiant les zones géographiques, les fournisseurs mais aussi les solutions techniques". Selon lui, les stratégies achats nécessitent de plus en plus souvent une remise à plat.

Le défi de la relocalisation

Emeline Gasiglia

Emeline Gasiglia, directeur achats du groupe Seb, a elle aussi constaté un renforcement de risques tels que la disponibilité des matières premières et des transports ainsi qu'un manque de capacité de production de certains des fournisseurs. "Il nous faut aussi suivre le risque sous-jacent d'une potentielle dégradation économique de nos fournisseurs car ils sont aussi fortement impactés par ces problématiques de pénurie et d'augmentations de prix des matières", a-t-elle ajouté. Pour faire face à ces risques, des mesures supplémentaires de sécurisation des approvisionnements ont été mises en place ainsi qu'un process plus robuste de gestion de crise.

Très vite, la solution de la localisation et de la relocalisation est avancée par les différents décideurs achats présents. A commencer par Jean-Michel Mardelle qui cite l'exemple du développement par Fleury Michon d'un élevage de porcs bio plein air en 2020. "Nous l'avons monté en partenariat avec une entreprise régionale qui maîtrise la filière. La relation d'engagement avec les fournisseurs doit être forte sur ces sujets car les investissements peuvent être longs", a-t-il mis en garde. "Des nouvelles pratiques d'élevage ont été définies sur une filière 100% française". Des conditions contractuelles particulières ont par ailleurs été définies afin que le groupe soit prioritaire.

Max Rossigneux

Max Rossigneux, directeur achats de la Monnaie de Paris, s'est quant à lui consacré ces dernières années à relocaliser tout ce qui était du domaine du possible. "Nous sommes allés chasser les sous-traitants européens de l'aéronautique ou de l'automobile. Nous avons délocaliser des ingénieurs qui ont passé deux/trois mois sur site pour accompagner le développement de ces nouveaux fournisseurs", a-t-il décrit.

Stéphane Faustin-Leybach

Stéphane Faustin-Leybach, directeur achats du groupe NAOS, annonce réaliser déjà 65% de ses achats en France et près de 90% en Europe. L'objectif étant de sécuriser les achats stratégiques et de masse. "Privilégier les chaînes courtes nous permet de mieux maitriser les risques et la traçabilité en cas de pénurie, mais aussi de favoriser l'emploi local, d'être moins tributaire du transport tout en réduisant notre empreinte carbone", a-t-il déclaré. Cette relocalisation ne se limite pas aux fournisseurs de rang 1 : Stéphane Faustin-Leybach l'étend aux rangs 2 et 3. Il accompagne par ailleurs ce travail de relocalisation par de la réinternalisation : "Nous sommes en train de conduire un projet de soufflage des flacons de lotion dans notre usine afin d'éviter de transporter des flacons vides. Intégrer la chaîne de valeur de nos produits dans nos usines nous permettra de gagner en autonomie".

Michel Biéro

Dans les rayons de Lidl, les produits sont à 72% made in France "Les consommateurs souhaitent du made in France et ils ont raison. C'est à nous de faire en sorte de trouver des produits d'un rapport qualité / prix optimal avec le volume nécessaire pour approvisionner nos 1570 supermarchés", a mis en avant Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing chez Lidl. Une stratégie qui s'accompagne du souci de rémunérer le travail agricole à sa juste valeur. "Le secteur doit rémunérer correctement pour stopper la mise en difficultés des familles engagées pour nourrir la France. Sinon demain nous devrons importer du poulet du Brésil et ce n'est pas ce que nous voulons", a-t-il insisté. Le groupe a ainsi mis en place des contrats qui prennent en compte le coût de production de l'éleveur.

Pierre Villeneuve

Pierre Villeneuve, directeur achats de la plateforme régionale des achats de l'État en Bretagne, a opté quant à lui pour la bonne localisation plutôt que la relocalisation. Cela consiste en une connaissance la plus fine possible de sa supply chain afin d'anticiper les risques de pénuries. "Notre risque est de ne pas pouvoir respecter l'échéance de certains travaux à cause de ruptures de certains éléments comme les huisseries, l'isolation ou le bois. Nous anticipons donc cela via une cartographie des risques et en demandant à nos fournisseurs de réfléchir à leurs propres risques et de constituer des stocks", a expliqué Pierre Villeneuve.

Lire la suite en page 2 : Cap sur l'innovation / Impact sur les équipes


Cap sur l'innovation

Au sein du groupe Michelin, on ne relocalise pas mais on développe de nouvelles activités. Par exemple, une unité industrielle de bio-butadiène (le butadiène est le produit à partir duquel sont fabriqués les élastomères de synthèse) est en train de se monter en France.

Hélène Paul

"Ce projet se fait en partenariat avec d'autres acteurs afin de développer une nouvelle filière de matériau durable", a indiqué Hélène Paul, directrice achats du groupe Michelin. Le groupe a également créé une joint-venture avec l'équipementier Faurecia autour du producteur Symbio afin de produire des piles à combustible pour les voitures à hydrogène

L'innovation est donc un moyen de faire face à certains risques émergents."Vis-à-vis de la question du plastique, nous agissons sur une réduction de la résine brute dans nos principaux contenants. Pour préparer l'avenir, nous venons de constituer un consortium de quelques sociétés locales de la cosmétique appuyé par la région Sud et le Cosmed (association professionnelle de la filière cosmétique en France - NDLR), afin de tester des solutions en remplacement du plastique, ceci auprès de nombreuses sources d'innovation mondiale ; nous bénéficierons d'une priorité si l'une d'elle permettait une alternative au plastique", a raconté Stéphane Faustin-Leybach.

Cette innovation passe donc par un partenariat avec ses fournisseurs qui se traduit souvent par un réel accompagnement de ces derniers. "Nous faisons monter en compétence nos fournisseurs afin qu'ils soient en capacité de nous livrer avec la flexibilité qui va bien", a révélé Stanislas Landry, directeur achats groupe d'EDF.

Nathalie Saint-Martin

Chez Faurecia, un plan d'action est co-défini avec les fournisseurs afin de les aider à être plus résilients face à des conditions de marché extrêmes. "Dans un contexte complexe et incertain comme nous le vivons actuellement, la proximité avec notre écosystème est essentielle. Par exemple, nous organisons des échanges réguliers entre l'exécutif Faurecia et nos fournisseurs pour discuter des tendances de marché et réfléchir ensemble à la création d'écosystèmes innovants", a raconté Nathalie Saint-Martin, directrice des achats de Faurecia. Elle dit s'attacher à la performance à court terme, cruciale, mais aussi à l'innovation qui permettra au groupe d'atteindre son ambition de neutralité CO2 à 2030.

Pierre Villeneuve a invité à accepter le droit à l'erreur sur ce type de projets innovants. "Nous avons mis en place une filière de peinture à base d'algues dont les résultats étaient moins bons que prévus. Mais cela a permis de développer des entreprise et des emplois", a-t-il souligné. Toujours en termes d'innovation, le directeur achats de la plateforme régionale des achats de l'État en Bretagne travaille avec un laboratoire d'innovation afin d'anticiper, grâce à une outil d'intelligence artificielle, quels achats seront nécessaires dans le cadre de travaux à 3, 5, voire même 10 ans.

Impact sur les équipes

Pour répondre aux risques grandissants, les décideurs achats sont aussi en train de revoir la constitution de leurs équipes."Pour faire avancer les achats et couvrir les aléas des risques, il faut changer les profils notamment sur les achats stratégiques, c'est-à-dire chez nous les matières premières", a témoigné Max Rossigneux. Son problème : le sentiment de rechercher le mouton à 5 pattes, c'est-à-dire des personnes qui ont un niveau de compétence fort dans les matériaux achetés tout en ayant un profil de développeur. "Nous essayons donc de faire monter en compétences achats des ingénieurs qui travaillent déjà dans nos usines", a-t-il rapporté.

Le groupe Michelin a contourné ce problème en constituant des binômes. "Les acheteurs de matières premières travaillent en partenariat avec des personnes spécialistes des matériaux ; sur les achats industriels, ils travaillent avec quelqu'un de l'ingénierie", a-t-elle indiqué.

Stanislas Landry

Stanislas Landry a lui aussi opté pour cette solution des binômes, afin d'identifier les leviers de valeurs en amont de la contractualisation : "Les acheteurs travaillent en binôme avec les prescripteurs et des business analysts accompagnent les acheteurs et les category managers afin de mener des études de marché et de donner des éléments de costing et de pricing. Mon objectif est d'anticiper", a-t-il raconté.

De par sa position de membre du conseil d'administration du CNA (Conseil national des achats), Jean-Michel Mardelle observe des évolutions au sein des directions achats de différentes entreprises, dont il a fait part lors de cette table-ronde. Au niveau des équipes, il commence à voir apparaître des statisticiens et prévisionnistes au sein des équipes achats. "Il s'agit de véritables spécialistes en achats à terme qui travaillent sur les positions futures des cours des matières premières à l'échelle internationale", a-t-il précisé.

Eric Bouret, CPO de Bouygues Construction, également nominé au Trophée du Décideur Achats de l'année, n'a pu participer à ces échanges, mais son portrait est à lire ici.

 
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