"Nous devons davantage travailler en mode collaboratif avec nos fournisseurs"
Rencontre avec Christophe Gourlay, CPO de Alstom, qui travaille sur deux axes forts : le développement d'écosystèmes fournisseurs fiables pour accompagner la croissance de l'entreprise et la digitalisation des achats pour délivrer plus de valeur ajoutée.
Je m'abonneQuels sont vos principaux enjeux aujourd'hui ?
Alstom a connu ces cinq dernières années une croissance très importante à l'international. Nous avons ouvert des nouvelles lignes sur tous les continents et notre priorité est d'accompagner cette croissance, en particulier dans des pays où le secteur ferroviaire connaît une forte demande tels l'Afrique du sud et l'Inde. Notre secteur travaille en collaboration avec nombre de fournisseurs - que ce soit pour les sièges, les freins, les câbles, etc. - et il est important de nous assurer de la mise en place d'un écosystème de fournisseurs partout où nous sommes présents, pour nous accompagner dans nos projets, en respectant les impératifs de localisation. Aux Etats-Unis, nous avons par exemple remporté un contrat très important pour construire la première ligne à très grande vitesse et nous devons nous assurer d'avoir un panel fournisseurs adapté et en ligne avec le "Buy American Act". Nous sommes très connectés aux projets de l'entreprise et les achats doivent s'assurer de leur bonne exécution. La priorité est la performance économique de ces fournisseurs, mais aussi la performance qualité et délai.
L'entreprise prend des engagements en termes de livraisons de ses produits auprès de ses clients finaux, et les pénalités prévues au contrat sont en général conséquentes... Il est évident que nous devons nous assurer que nos fournisseurs nous délivreront leurs produits en temps et en heure. Un simple retard peut décaler l'ensemble du projet. Nous avons une mesure très forte de la performance sur le "on time in full" (OTIF) de nos fournisseurs. Nous devons renforcer et consolider les panels dans tous les pays où nous avons de gros contrats et une base industrielle très forte.
Et si nous voulons réussir dans le cadre de nos projets, nous devons certainement travailler davantage en mode collaboratif avec nos fournisseurs et développer plus de solutions gagnant-gagnant. C'est un axe fort de développement pour les achats. Un autre enjeu majeur concerne la partie digitalisation qui compte parmi les grands axes de réflexion pour améliorer notre performance.
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La digitalisation... qu'est-ce que ce concept représente pour vous et où en êtes-vous aux achats ?
Le digital est au coeur de notre stratégie aujourd'hui. Que ce soit pour l'efficacité de nos moyens de production, ou pour la connectivité des solutions que nous proposons à nos clients. C'est vraiment l'un des axes principaux de développement et d'amélioration de la performance achats que nous souhaitons mettre en oeuvre. Nous ne partons pas de la feuille blanche car nous avons déjà beaucoup d'outils digitaux implémentés, mais nous avons défini une feuille de route métier.
Notre objectif est de rendre l'entreprise la plus efficace et productive possible et d'apporter à l'ensemble de la communauté achats les outils transactionnels les plus efficaces, les plus flexibles et qui leur permettent le plus d'autonomie possible. Il faut, par exemple, qu'ils aient la possibilité de valider les commandes achats en situation de mobilité, sur leur smartphone. Nous sommes en cours de déploiement de ce projet.
Nous sommes en train de finaliser l'implémentation de la brique e-contract pour négocier, rédiger et signer en ligne des contrats avec nos fournisseurs ; pour faciliter la contractualisation à nos acheteurs. Ce module est développé conjointement avec le département juridique. C'est lui qui définit le cadre contractuel que l'on va utiliser pour l'ensemble de nos marchés. Il nous incombe de nous assurer de l'intégration de ces contrats dans l'outil qui doit nous permettre de gagner en flexibilité et en rapidité, sur l'ensemble des négociations. Bien évidemment, lorsqu'il y a des modifications à apporter dans les contrats, elles se font toujours en collaboration avec les équipes juridiques. Nos acheteurs ont des connaissances dans ce domaine, mais ils ne peuvent pas prendre de décision juridique sans s'appuyer sur le département concerné.
En mobilité, il est également important que nos acheteurs aient accès à toute la partie données et reporting sur leur performance, mais surtout à celle de leurs fournisseurs. La partie data analytics est donc un axe de travail. Alstom travaille aussi sur l'identification des tâches sans valeur ajoutée pour les automatiser. Nous mettons en place des POC pour valider des phases d'automatisation dans le processus, avec l'aide de robots (RPA). Nous musclons aussi l'outil de e-procurement. Nous réfléchissons à la possibilité d'interfaces avec des places de marché. Nous avons des pilotes en cours.
Tous ces projets ont pour objectif de simplifier notre process P to P et d'améliorer notre relation fournisseurs. Ils vont en particulier nous permettre de nous assurer du bon déroulement de nos paiements fournisseurs. Point plus global, nous réfléchissons actuellement à la mise en place d'un portail fournisseurs SRM et d'un portail achats interne. Tous ces développements sont prévus par la feuille de route sur trois ans.
La digitalisation des achats va-t-elle, selon vous, modifier en profondeur l'organisation achats ?
Il ne s'agit pas d'une remise en cause profonde de la fonction, mais d'un support structurant qui nous permettra de la rationaliser et de l'optimiser. Cela aboutira à recentrer l'activité des équipes sur le coeur de métier, là où il y a de la valeur ajoutée. La digitalisation permet de faciliter le travail collaboratif, notamment à distance car nos sites sont sur plusieurs continents.
Comment travaillez-vous avec les fournisseurs sur le sujet de l'innovation ? À quel point partagez-vous vos enjeux et problématiques avec eux ?
Le secteur de la mobilité est en pleine transformation. D'une part, des nouvelles technologies, telles que le train à hydrogène, sur lequel nous sommes pionniers, sont développées pour répondre aux attentes de nos clients et des passagers pour une mobilité plus propre. D'autre part, les progrès dans le domaine du digital nous permettent de proposer des solutions toujours plus efficaces pour la mobilité - Alstom travaille par exemple sur les trains autonomes, ou encore les batteries. Concrètement, pour nous l'objectif est de développer, en partenariat avec les fournisseurs, des projets communs qu'Alstom puisse ensuite intégrer dans ses solutions futures. Nous pratiquons l'innovation ouverte, mais il y a là, très clairement, un axe d'amélioration. Nous devons travailler davantage avec nos fournisseurs pour les impliquer en phase amont, dans les développement pré-projets, de façon à intégrer ces axes d'innovation dès le départ dans nos solutions produits/projets.
Pour travailler sur des innovations avec nos fournisseurs, nous n'avons pas un mode de fonctionnement privilégié, cela dépend des fournisseurs qui peuvent être des grands acteurs du ferroviaire aussi bien que des PME locales. Nous sommes agiles et flexibles dans notre capacité à travailler avec un tiers.
Afin de favoriser les échanges sur des opportunités de développements, nous organisons régulièrement des "rencontres tech" ou des journées fournisseurs en région, sur les différents sites Alstom, avec les achats, les équipes ingénierie, les équipes de développement pour créer des échanges tournés vers l'innovation développée par nos fournisseurs.
À quel niveau les achats interviennent-ils dans la phase "développement de produits" ?
Les achats, chez Alstom, sont positionnés très en amont. Nous intervenons dès la discussion, au sein des plateformes produits. Les achats sont partie prenante dans la définition du produit, avec l'implication des fournisseurs, en suivant des objectifs de coût, de performance qualité. Les achats sont partie prenante des réponses aux appels d'offres et nous y impliquons nos fournisseurs sur des solutions nous permettant de répondre à ces appels d'offres. Il nous faut, dans certains cas et dès ce stade, être en capacité de faire des pré-business awards sélection de fournisseurs avant même de savoir si nous avons remporté l'appel d'offres.
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Prenons le cas de la batterie pour bus électrique que nous avons développée avec une société française, Forsee. Depuis quelques années, Alstom s'est lancé dans le développement d'un bus électrique, Aptis. Nous venons de remporter un certain nombre de marchés en France avec ce produit, notamment à Strasbourg et Paris. Dans le cadre de ce développement produit, nous avons donc élaboré un partenariat avec Forsee pour un composant structurant : la batterie. Ils nous ont amené leur solution innovante, leur connaissance du monde du bus et nous ont permis d'optimiser notre solution de bus électrique. Lorsque le projet concerne des produits standards, nous ne sommes pas dans cette situation, puisque les fournisseurs sont déjà intégrés à notre panel et font partie intégrante de nos solutions produits.
La RSE est-elle un sujet prégnant chez Alstom et quels sont vos grands axes de travail sur ce sujet ?
Notre stratégie achats responsables repose sur un engagement mutuel avec nos fournisseurs et sous-traitants qui promettent de respecter les principes et les valeurs de la charte éthique et de développement durable sur laquelle nous les engageons. Cette charte, qui est propre à Alstom, repose sur un grand principe : évaluer et accompagner fournisseurs et sous-traitants sur leurs performances. Ils doivent nous fournir des produits éco-conçus, respectueux de l'environnement et socialement responsables, produits dans un cadre de travail sûr, avec une forte connotation EHS. Quand ils interviennent, ils doivent respecter scrupuleusement les règles d'EHS.
Nous nous efforçons de développer des relations étroites et équilibrées avec les start-up, les PME et les entreprises employant des personnes en situation de handicap, dans un contexte de présence nationale et internationale. Alstom est membre fondateur de Pacte PME et signataire de la charte relations fournisseurs responsables.
Alstom est également engagé dans une démarche d'amélioration continue avec des indicateurs de cette démarche pour nos fournisseurs. Nous avons développé des programmes de formation achats responsables obligatoires en interne pour nos acheteurs et responsables qualité fournisseurs qui sont en capacité d'auditer les entreprises avec lesquelles nous travaillons. Ils ont une grille d'évaluation très précise sur la partie RSE. Nous travaillons aussi avec Ecovadis pour évaluer nos fournisseurs.
La RSE est la colonne vertébrale des achats de Alstom, mais aussi de l'entreprise. En 2015, nous avons été partie prenante, avec d'autres acteurs du ferroviaire de la création de "Railsponsible", initiative en faveur de la RSE dans le domaine du ferroviaire, qui réunit aujourd'hui 12 grands opérateurs européens. L'objectif est de développer une plateforme d'évaluation commune afin de mesurer la performance RSE dans le domaine du ferroviaire et de mettre en place des grands programmes pour s'assurer qu'il y a une cohérence d'ensemble dans le développement d'activités RSE au sein de la filière.
Comment intégrez-vous la fin de vie des produits ? Participez-vous à l'économie circulaire ?
Nous sommes à 98 % de recyclabilité de nos trains. Avoir un taux de recyclabilité élevé est une exigence des opérateurs. Cette question est dans nos cahiers des charges. Alstom doit démontrer qu'il a des trains qui atteignent ce niveau. Ces contraintes de déconstruction et de recyclabilité sont partagées avec les fournisseurs des différents composants.
Nous ne réutilisons pas nous-mêmes les matériaux recyclés pour de nouveaux trains. Ce n'est pas un objectif actuel car nous sommes sur des produits qui ont des durées de vie de plus de 30 ans, donc il est extrêmement compliqué de planifier la réinjection de matériaux recyclés dans nos cycles de développement de produits. Par contre, nous nous efforçons de favoriser la rénovation des matériels.
La durée de vie importante de nos trains nous contraint d'ailleurs à être très vigilants sur la qualité dans la durée. Nous devons nous assurer que nos fournisseurs seront en support en cas de défaillance d'un matériel, et qu'ils tiendront leurs engagements, tant dans les phases de mise en service que pour la suite des opérations. Dans la phase de garantie, les achats doivent contribuer à la croissance de fiabilité ; s'assurer que tous nos produits vont atteindre le niveau de qualité attendu. Il faut que chacun des composants constituant le train atteigne ses objectifs de qualité et de durabilité. Chaque fournisseur doit démontrer qu'il a atteint les objectifs de qualité qui lui ont été alloués pendant sa phase de garantie.
Lire la suite en page 3 : Comment mesurez-vous la performance achats et sa valeur ajoutée ? - A votre avis, comment la fonction achats est-elle perçue par la finance, chez Alstom ?
Comment mesurez-vous la performance achats et sa valeur ajoutée ?
Nous avons mis en place, il y a quelques années, une feuille de route métiers pour suivre la performance des achats. Le principe de cette feuille de route de maturité achats est le suivant : nous avons défini un référentiel pour l'amélioration continue pour notre scope achats, de la stratégie aux offres, pour la gestion de projets, mais aussi pour la sélection et la gestion de nos fournisseurs. Au sein de cette feuille de route, nous intégrons une évaluation annuelle des équipes achats sur trois dimensions : les outils et des process ; la performance globale et le mode de fonctionnement des équipes et en particulier de tout ce qui porte sur l'aspect collaboratif. Cette activité apporte un support au niveau des process et des activités opérationnelles à travers un réseau d'experts qui est là pour supporter les différentes équipes achats d'Alstom au niveau monde.
Nous disposons d'une panoplie d'indicateurs opérationnels partagés avec la finance, mais aussi avec les autres métiers de l'entreprise, au niveau mondial, et réalisons une évaluation annuelle. Nous suivons bien évidemment les économies réalisées de près. Nous avons une méthodologie et un outil dédié qui permettent de "capturer" ces économies générées tout au long du cycle, de la phase d'offre à la phase projet. Nous avons des indicateurs qui mesurent, lors des cycles de développement, l'état d'avancement du développement produit, de la phase de conception à l'industrialisation.
À votre avis, comment la fonction achats est-elle perçue par la finance, chez Alstom ?
D'une façon générale, la fonction achats est vue comme une fonction opérationnelle au coeur de la performance d'Alstom car nous intervenons sur la performance, pour les achats directs, au travers de nos offres, de nos produits et de nos projets ; mais aussi pour les achats indirects dans l'efficience et la compétitivité de l'entreprise. Nous sommes intégrés à l'ensemble du cycle de compétitivité de l'entreprise avec la finance, bien sûr, mais aussi avec tous les acteurs de l'entreprise : ingénierie, supply chain, manufacturing, qui soutiennent les projets qui vont délivrer nos solutions à nos clients.
Organisation de la direction achats de Alstom
Alstom est une société de projets qui a une organisation par grandes régions géographiques qui consolident le P&L de l'entreprise. Notre organisation achats est en adéquation avec l'organisation d'Alstom, donc elle s'articule autour de deux grands pilier. Le premier gère les commodités globales autour de six grands domaines (les grandes commodités globales). Le deuxième pilier regroupe six grandes directions achats de région qui gèrent au quotidien les activités achat dans les projets. En termes de ratios, 25% des effectifs achats sont dédiés à la gestion des commodités, quand 75% des équipes achats sont basées en région pour une totalité de 900 personnes.
Nous avons ensuite des fonctions transverses qui ont pour mission d'animer et contrôler l'activité achats; pour s'assurer de sa performance, de son amélioration continue et pour gérer les risques fournisseurs. Ainsi qu'une activité dédiée à la définition de nos stratégies achats pour les produits qui sont en phase de développement que l'on essaie de standardiser au maximum avec l'implication de nos fournisseurs.
Alstom - fiche entreprise
Activité : acteur de la mobilité
Chiffre d'affaires : 8,1 milliards d'euros
Nombre de salariés: 36 300 personnes
Dépense achats : 4,6 milliards d'euros facturés
Effectif achats: 900 personnes