Rex Achats: Naos et Clarins à l'épreuve de la traçabilité et de la transparence
Les directions achats de Clarins et Naos veulent savoir d'où viennent vraiment leurs matières, jusqu'à la parcelle ou au fournisseur de rang 4. Une ambition portée par une logique de coopération inédite entre concurrents du secteur cosmétique, et soutenue par des outils structurants. Rex achats à l'occasion des Universités des Achats dont la matinale d'ouverture s'est tenue le 17 juin.

« On n'achète pas un prix, on achète une origine, une filière, une relation », introduit Julie Belin Declerck, directrice des achats directs de Clarins, ne parle pas en abstraction. À travers la plateforme Transparency One, déployée dans le cadre du projet collaboratif TRASCE pour traceability alliance for sustainable cosmectics, l'entreprise remonte désormais la chaîne de ses approvisionnements bien au-delà de ses fournisseurs directs avec comme objectif de mieux tracer, qualifier et sécuriser à la fois les formules mais aussi les emballages. Rappelons que TRASCE est un consortium de 18 entreprises dans le secteur des cosmétiques. L'initiative fédère entre autres Chanel, Clarins, Nuxe, L'Oréal ou encore L'Occitane en Provence et Dior.
« La carte importe peu. Ce qui compte, c'est de cartographier », renchérit Stéphane Faustin Leybach, directeur achats de Naos. dit-il, en référence à une maxime d'Eisenhower. Comprendre d'où proviennent les matières premières, les matériaux ou les composants devient une exigence stratégique, à la fois pour maîtriser les risques, anticiper les évolutions réglementaires et renforcer la résilience opérationnelle.
Blockchain, transparence et confidentialité maîtrisée
Chez Clarins, une première plateforme blockchain avait été lancée en interne. Mais la logique monoclient limitait son efficacité. Avec Transparency One, outil commun à 18 acteurs du secteur, une dynamique collective s'installe. Les fournisseurs y déclarent la composition de leurs produits, leur site de production, puis intègrent à leur tour leurs propres fournisseurs. Une chaîne ascendante s'enclenche, jusqu'à offrir une vision claire des origines géographiques et industrielles des composants.
Confidentialité, règles antitrust, encadrement par Deloitte et la FEBEA... Tout est bien évidemment réalisé dans les règles de l'art. Les fournisseurs peuvent choisir le niveau de détail partagé - de la mention du pays à l'identification complète du site et de ses sous-traitants. Aucun acteur ne voit les données de ses pairs, de surcroît. « Il s'agit d'un effort structuré, mais respectueux des sensibilités concurrentielles », précise Julie Belin Declerck.
Investir pour éviter le coût du chaos
Chez Naos, la montée en puissance est rapide. 50 partenaires sont d'ores et déjà intégrés à la plateforme. Une centaine de fournisseurs seront onboardés d'ici la fin d'année, permettant de cartographier avec précision 1 500 articles. L'investissement est conséquent- jusqu'à 300 000 euros par an en ressources et licences - mais jugé nécessaire. « Ce coût est négligeable comparé à celui d'un scandale ou d'une rupture d'approvisionnement sur une matière sensible », tranche Stéphane Faustin Leybach.
Les gains sont nombreux. La granularité des données permet aussi de repenser les circuits, de privilégier les filières courtes, d'identifier les redondances ou de repérer les dépendances cachées. L'initiative TRASCE représente ainsi un levier de performance autant que de conformité. Côté fournisseurs, l'intégration à ce dispositif leur permet également de réduire leurs procédures pour montrer patte blanche auprès de leurs clients. La fatigue fournisseur en est ainsi réduite.
Le collectif comme levier d'intelligence achat
Au-delà des outils, c'est toute une philosophie d'achat collective n'est pas neuve. À travers Cosmed Achats, un réseau d'acheteurs du secteur, Naos a mis en commun les achats non stratégiques d'une centaine de PME depuis près de 20 ans. « Ce que j'achetais seul pour 35 000 euros avec un fournisseur d'achats de classe C, rentre aujourd'hui dans un achat de 400 000 euros adressé collectivement», prend pour exemple Stéphane Faustin-Leybach avec l'exemple de son fournisseur Lyreco. L'effet de levier ne se limite pas au prix. Bien évidemment.
La collaboration inter-entreprises au sein de la filière cosmétique ne s'arrête pas là. L'achat peut bien évidemment entraîner du surstock voire du gaspillage. Ce faisant, une plateforme chez Naos permet la revente ou le don des surplus d'emballages ou de matières premières. Plutôt que de détruire, les entreprises valorisent les invendus, dans un esprit d'économie circulaire. « Nous avons créé une alternative vertueuse à la destruction », explique le directeur achats de Naos.
Une fonction achats en quête de maturité collective
L'intelligence collective ne se décrète pas, elle s'anime. Pour ce faire, ces démarches s'accompagnent de formations, de partages d'indices et d'analyses de marché, d'outils mutualisés. Elles répondent aussi à l'isolement des acheteurs, notamment dans les petites structures. « On ne gère pas les achats de souveraineté de la même façon dans un grand groupe ou une PME », observe Stéphane Faustin Leybach.
À travers ces expérimentations, Clarins et Naos démontrent que la transformation des achats ne passe pas uniquement par la digitalisation ou la RSE. Elle passe aussi, et surtout, par l'intelligence collective, l'audace méthodologique et une vision étendue de la responsabilité des entreprises.
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