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[Interview] Jérôme Guandalini (Auchan) : les challenges de la fonction achats en Russie

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[Interview] Jérôme Guandalini (Auchan) : les challenges de la fonction achats en Russie

Directeurs des achats indirects d'Auchan Russie depuis 2012, Jérôme Guandalini jongle avec une culture différente. Ses défis: la professionnalisation de son équipe et la structuration des process achats.

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Comment s'organise votre direction achats indirects?

La direction des achats indirects d'Auchan Russie est transverse aux différents métiers de la société. Mon équipe intervient en support des trois business units du groupe présentes en Russie, soit 84 hypermarchés sous Auchan, Auchan City ou Nasha Radouga, 150 supermarchés Atak et 20 galeries commerciales gérées par Immochan. Quand j'ai intégré le poste, en 2012, la direction des achats indirects travaillait quasi exclusivement pour les hypermarchés: il a donc fallu jeter des ponts entre les métiers, ce qui est la vocation de notre organisation.
Mon équipe de 17 personnes est répartie en trois pôles. Les sept membres du "category management" gèrent chacun un périmètre (consommables commerce, mobilier, produits techniques ou transport-logistique...). Notre nomenclature achats est structurée en 12 grands domaines, 50 catégories et 150 sous-catégories. Quatre personnes gèrent les investissements sur des constructions neuves ou des rénovations. Enfin, le pôle "outils et pilotage de la performance": il gère la suite Ariba, le support des magasins pour les passations de commande et pilote les indicateurs de performance de l'équipe, et ceux de bonne gestion des frais des magasins, à travers des reportings mensuels.

Quels challenges avez-vous relevés à votre prise de poste?

Ils concernent la prise en compte et l'appropriation de la culture russe, particulière à certains égards. Le challenge de taille a été, et demeure, la­ ­professionnalisation de mon équipe. En Russie, il n'existe pas de filière ou de cursus dédiés aux achats: il y a donc un déficit de bons profils d'acheteurs, sur le marché. J'ai pris le parti de choisir des collaborateurs jeunes, qui n'ont pas forcément un long bagage en achats, mais que je forme à mes méthodes et à ma vision. Je crois au coaching et à la formation de binômes dans les équipes, plus efficaces, selon moi, que des formations de plusieurs semaines.
Un de mes soucis a été de remettre mon équipe au coeur du dispositif commercial, car la clé de la réussite est de rencontrer les clients internes en magasin afin de récupérer du feedback sur la qualité des solutions proposées. J'impose à mes catégories managers, et cela fait partie de leurs objectifs annuels, deux visites de magasin par mois, et pas seulement à Moscou.

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Vous parlez de culture : existe-t-il des spécificités touchant votre fonction, en Russie?

Ici comme ailleurs, il est nécessaire de mettre en place des process achats extrêmement précis, structurés, traçables et contrôlables, et de s'assurer que les décisions sont partagées. Ainsi, ce n'est jamais une seule personne qui prend une décision, mais un collège. Autre outil, la suite complète d'Ariba, déjà en place à mon arrivée, limite les risques de dérives dans les process d'Appel d'offres et structure nos procédures.

C'est à l'initiative de la direction achats indirects dans son ensemble qu'un process commun pour toutes nos DAI a été créé : celui-ci est une description détaillée de chaque étape, de l'expression de besoins à la contractualisation et au suivi qualité. L'ensemble est supporté par la plateforme d'e-sourcing, électronique et traçable, depuis le cahier des charges jusqu'aux remises d'offres et aux contrats. Le parti pris est qu'il y ait une nette séparation entre la prescription et l'achat: dans chaque projet de sourcing, il y a donc des prescripteurs bien identifiés, responsables de l'expression des besoins, et un acheteur qui pilote et manage l'ensemble du projet achats.
En fin d'appel d'offres, nous avons mis en place une commission, à laquelle l'acheteur présente ses travaux. La décision est partagée avec le prescripteur et des parties prenantes neutres, dont la direction de la sécurité garante du respect des règles d'éthique et de sécurité au sein de l'entreprise, et qui covalide systématiquement les choix et les décisions.

Existe-t-il d'autres différences culturelles?

La question culturelle est une question de fond. Ainsi, j'ai dû adapter mon mode de management. Les équipes russes ont besoin, d'une manière ­générale, de sentir l'autorité et le professionnalisme du chef. Il faut donc s'habituer à appliquer un mode de management plus directif. Autre différence: la gestion du temps. Les Russes sont beaucoup moins dans l'anticipation que les Français. Depuis que je suis en Russie, je gère mon agenda à la semaine, et non plus avec trois ou quatre semaines d'avance, car la pratique locale veut qu'il y ait plus de souplesse et de réactivité.
J'ai également été étonné par la nécessité de tout formaliser par écrit: il y a ce besoin de se protéger ou de prouver que l'on a fait les choses correctement. Enfin, dans la culture russe, il existe une difficulté à assumer ses erreurs, contre laquelle nous luttons au quotidien. Ces paramètres paraissent anodins, mais c'est un kaléidoscope à prendre en compte pour bien s'intégrer et travailler efficacement.

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Quelles relations entretenez-vous avec vos fournisseurs?

La notion de relations partenariales à long terme est souvent un peu étrangère à la culture russe, ainsi que celle de négociation concertée. Je ­m'attache à faire de la pédagogie auprès de nos 1200 fournisseurs actifs pour leur inculquer cette vision de partenariat qui s'inscrit dans la durée, et de courbe d'apprentissage.
Dès que cela est possible, nous développons du sourcing local. C'est, bien sûr, dans notre intérêt, par rapport à la forte volatilité du rouble, mais également car la logique d'Auchan est de s'inscrire dans le tissu économique local et de se revendiquer entreprise russe sur le sol russe. Nous sommes le plus gros employeur étranger sur le territoire. La dépréciation du rouble nous a incités à revoir rapidement nos stratégies de sourcing et parfois même nos prescriptions, avec, dans certains cas, un niveau d'exigence un peu plus faible, afin de pouvoir miser sur une fabrication russe. C'est le cas, par exemple, des armoires froides des magasins, historiquement en provenance de la zone euro, et qui pèsent lourd sur les budgets d'investissement. Nous accélérons le sourcing russe sur cette catégorie, et espérons aboutir dans les mois qui viennent.
La taille du pays, hors normes, nous oblige à trouver le bon équilibre entre la massification et des achats au plus près des magasins. C'est une analyse à faire au cas par cas, en fonction de la typologie du marché fournisseurs et des profils de produits achetés, dans une réflexion constante sur l'impact de la logistique et de la présence de proximité par rapport aux coûts de possession.
Ainsi, par exemple, pour les prestations de nettoyage, nous travaillions historiquement avec trois grands acteurs nationaux. La stratégie que j'ai mise en oeuvre a été de rééquilibrer le portefeuille de fournisseurs, entre des fournisseurs nationaux, incontournables et ayant une force de frappe sur laquelle on peut compter, et régionaux, qui viennent les challenger en termes de qualité et d'efficacité.

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À quand une relation fournisseurs "exemplaire"?

J'ai été sensibilisé, lors de mon précédent poste au sein d'Accor, aux relations responsables avec nos fournisseurs. En Russie, nous sommes très loin de cette problématique et cela ne faisait pas partie de mes priorités. J'essaie, déjà, d'implémenter des outils pour mieux maîtriser des éléments qui paraissent basiques, en France, comme le taux de dépendance. La question nous animera dans les deux ou trois ans qui viennent.

D'autant que nous avons encore des catégories d'achats - nettoyage, gardiennage, transport, traitement des déchets -, sur lesquelles nous sommes dans une économie grise, voire noire. Travail dissimulé, évasion fiscale: 80% des sociétés de nettoyage sont touchées. Il n'y a pas de recette miracle, car nous ne pouvons pas garantir un zéro défaut sur ces questions. Gérer le risque signifie se prémunir contractuellement du fait que notre responsabilité soit engagée, mettre en place des contrôles vis-à-vis des magasins pour élever notre niveau d'exigence et nous méfier des phénomènes de changement d'entités juridiques.

Quels sont vos projets pour 2015?

Continuer à faire monter en compétence mon équipe, avec le challenge, cette année, de les faire basculer du rôle d'acheteurs à celui de managers achats, afin qu'ils aient une vision transversale des process, de l'amont - comment animer son prescripteur, être exigeant sur le cahier des charges - à l'aval - le suivi qualité des solutions et de la relation fournisseurs.
En termes de projets de sourcing, nous devons relever trois gros challenges, cette année: nous lançons un grand plan d'efficience énergétique, décliné sur la consommation énergétique, l'achat d'énergie et l'investissement dans des équipements moins énergivores. Deuxième grand sujet, compliqué car jamais centralisé: la maintenance technique. Les magasins ont la main dessus depuis 12 ans et chacun a fait preuve de "créativité". Il y a, ici, un vrai challenge de prescription. On estime un gain potentiel de 20 à 25%.
Enfin, les prestations de logistique et le transport, sur lesquels nous mettons en place des logiques collaboratives avec la direction transport-logistique, avec l'implémentation, à la suite d'un appel d'offres traditionnel d'enchères inversées, pour attribuer les lots aux différents soumissionnaires.

Biographie
Jérôme Guandalini, 47 ans, a débuté sa carrière par du management opérationnel dans l'hôtellerie. Au sein d'Accor, il a occupé une première fonction transverse support, liée à un projet de déploiement informatique, avant d'entrer à la direction des achats, en 2003. Après un cursus HEC sur les achats internationaux et le management de la supply chain, en part time, il a été nommé directeur des achats techniques. Depuis septembre 2012, il est le directeur des achats indirects du groupe Auchan, en Russie.

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