Pénuries, sécurisation des approvisionnements... une chance pour les acheteurs !
La crise sanitaire mondiale a propulsé les entreprises françaises et mondiales dans un monde de rareté et de pénurie. La fonction achats doit faire face à de nouveaux défis pour assurer la bonne rentabilité de l'entreprise et garantir une réponse "en temps et en heure" aux clients.
Je m'abonneMais c'est aussi l'opportunité pour les acheteurs de prendre "enfin" leur place "stratégique" au sein de l'entreprise en modifiant leurs pratiques et leur culture achats. Dans cette période difficile, sécuriser ses approvisionnements et contrôler ses coûts nécessitent une vraie "révolution" de la fonction achats. Comment repenser et animer la fonction pour répondre à ce nouvel environnement ?
L'ère de l'acheteur "cost- killer", la suprématie du "c" et du juste à temps ... c'est du passé !
Pendant plus de trente années, les acheteurs se sont souvent "lamentés" d'un manque de reconnaissance de leur fonction. Ils devaient faire face et gérer la pression financière pour dégager des gains, l'ardente obligation d'améliorer la qualité du produit et la difficulté à mettre en mouvement des prescripteurs "opérationnels" jugés trop conservateurs. L'image de "Cost Killer" leur collait à la peau et était mal vécue.
C'était pourtant le bon temps dans lequel le D, du fameux triptyque QCD (Qualité, Coût, Délai) avait quasiment été effacé de la mémoire de cette génération d'acheteurs. Le "juste à temps" et les stocks "zéro" étaient le dogme. La concurrence des fournisseurs internationaux, des pays à bas coûts était féroce et les usines du monde entier tournaient à plein régime. Les transports maritimes et aériens étaient fluides, "rapetissaient" les distances et ramenaient le fret à un coût négligeable. Enfin, la quasi- absence de sensibilité au bilan carbone rendait le job de l'acheteur "easy" et "royal !" C'était le temps de l'acheteur "roi", du "fournisseur" aux ordres et donc de l'achat facile ! (Daniel Prévost – La vérité si je mens 2)
Le grand retour du D
Patatras ! GAME IS OVER ! Les vagues et successions de confinement ont cassé la machine.
Du monde de l'opulence et du gaspillage, nous avons basculé dans un monde de la rareté et de la pénurie : énergies, matières premières, emballages, main d'oeuvre, fret maritime, tout manque ! Les prix explosent et les délais s'allongent. C'est le grand retour du D !
Pendant la pandémie, les citoyens "consommateurs" et les experts de tous bords se sont émus et inquiétés de l'absence de masques, puis de vaccins, puis de seringues ...
Nous n'avions pas prévu et pas assez stocké !
Ainsi à l'approche de Noël, nous avons redouté une pénurie de livres, de consoles, de baskets, de Mac voire de nains de jardin en Grande Bretagne. L'ONU s'est émue et s'est alarmée du risque de ruptures de préservatifs pour les pays en voie développement. Quant au citoyen lambda des pays développés, qui peut encore acheter une voiture neuve, il s'étonne de devoir attendre six mois.
Le manque et les retards de livraison des composants électroniques mettent à l'arrêt les usines des constructeurs automobiles. Le monde syndical s'inquiète et s'émeut de ce chômage partiel "subi" tout autant par les directions que par les ouvriers. Certaines usines de production sont reconverties en usine de reconditionnement de véhicules d'occasion et le marché de la seconde main explose !
Trois clés pour sécuriser vos approvisionnements
Messieurs, Mesdames, les Acheteurs : Où êtes-vous ?
"N'ayez pas peur" ! "Enjoy, it's your time"!
Le pouvoir tant attendu et espéré est à portée de main. Prenez-le !
Mais comment procéder ?
Nous sommes entrés dans l'ère de la maturité des achats, de l'intelligence, de la négociation et de la contractualisation équilibrée. Seuls les plus subtils s'en sortiront !
Pour mener à bien vos objectifs, je vous propose 3 leviers à activer.
1. Redéfinir sa stratégie achats
Pour redéfinir votre stratégie achats, je vous suggère plusieurs points de réflexion :
Challenger la stratégie en place intégrant les possibilités de relocalisation partielle, d'internalisation de certains services et l'intégration verticale.
Redéfinir les niveaux et la gestion des stocks tampons chez les fournisseurs, sur site.
Rééquilibrer la répartition locale vs internationale et sourcer de nouveaux fournisseurs.
2. Développer une relation "saine" avec les fournisseurs
Si désormais et pour encore quelques années, le pouvoir a effectivement basculé du côté des fournisseurs, nous entrons globalement dans une ère de l'équilibre des "armes" entre fournisseurs et acheteurs.
La pression sur les prix bas et le "chacun pour soi" ont fait passer au second ordre, quelques bonnes pratiques, souvent connues de tous les acheteurs, et qu'il est bon aujourd'hui de rappeler:
Comprendre et intégrer les enjeux des fournisseurs
Les hausses des prix, des matières premières et de l'énergie les impactent aussi. L'acheteur se doit d'intégrer ces impacts réels dans ses négociations et les révisions de prix pour permettre la survie et le développement des fournisseurs.
Revenir à une relation “gagnant- gagnant”: adaptation de la pression fournisseurs à sa situation de force (et de faiblesse) ; prise de conscience de sa position de faiblesse et dans ce cas, évolution des contrats vers des contrats de longue durée avec révision automatique des prix ; partenariats long terme avec les meilleurs fournisseurs avec partage des gains et des pertes, ...
Afin de développer une relation fournisseurs stable et fructueuse, l'intelligence, la subtilité et le courage des acheteurs vont être enfin sollicités !
3. Essentiel pour le manager achats : défendre ses convictions et accompagner son équipe dans cette transition
Guerre des talents, envie de télétravail, souhaits d'évolution rapide, équilibre pro/ perso, demande voire exigence de sens et de cohérence, vous devez vous aussi faire face à la pénurie des collaborateurs à potentiel.
Pour réussir, le manager achats doit prendre le leadership, conduire la révolution et soutenir ses équipes et ses convictions.
Rappel de quelques bonnes pratiques pour ce nouveau défi
Être ambitieux mais réaliste : Définissez des objectifs clairs et atteignables pour les Acheteurs et faites-les valider par la direction générale, parfois au prix de quelques batailles ...
Faire confiance, déléguer et soutenir l'équipe Achat : Donnez le pouvoir de proposition et d'action aux équipes, libérez les énergies dans un cadre donné. Challengez, soutenez et valorisez-les. Elles obtiendront des résultats et vous seront fidèles !
Piloter les résultats, tous les résultats: Soyez transparents, mettez en avant les gains, mais aussi les hausses limitées. Les coûts évités et la non-rupture de la chaine d'approvisionnement et de production relèvent souvent d'une plus haute performance que les simples gains financiers.
Dans ce cadre, fortement soutenues et valorisées, les équipes achats pourront :
- Aider, rassurer et créer puis développer une vraie "intimité" avec les prescripteurs
- Analyser et mettre sous contrôle les risques fournisseurs
- Sécuriser réellement les approvisionnements
- Accompagner les projets de relocalisation industrielle
- Contribuer à l'innovation, à la décarbonation et au projet RSE de l'entreprise.
Il faudra certes savoir "vendre en interne" et rendre acceptable quelques hausses auprès des directions générales et directions financières !
Mais c'est au prix de cette révolution culturelle et managériale que la fonction achats prendra sa place stratégique dans les structures de nos entreprises, à l'égale de la fonction commerciale.
Quel challenge passionnant et enthousiasmant ! La tempête s'est levée, la mer est formée mais le bon capitaine est courageux et à bon pied, bon oeil ! A bon entendeur !
Par Hervé Pasquet, directeur général et responsable de la pratique achats chez Quaternaire