Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

Fonction Achat : Il est temps de changer de dénomination !

Publié par le | Mis à jour le
Fonction Achat : Il est temps de changer de dénomination !

La fonction Achat est à l'aube d'une nouvelle ère permettant de s'extraire définitivement d'une image négative de « cost killer ». Elle porte désormais des valeurs environnementales, sociales, sociétales et collaboratives fortes. Explications et proposition.

Je m'abonne
  • Imprimer

De la même façon que certaines entreprises changent leur nom à une étape clef de leur développement pour modifier leur image, il est temps que la fonction Achat change de nom. Nous proposons trois explications à la nécessité de changer de dénomination.

Pourquoi changer de dénomination ?

reconnaître un métier et non une pratique

En français, la terminologie « achat » est indifféremment utilisée pour un consommateur faisant ses courses comme pour un professionnel. Cela ne favorise pas la reconnaissance de l'achat en tant que « métier » à part entière, requérant des compétences spécifiques. En effet, tout un chacun a déjà négocié un canapé (avec succès !) et se sent légitime dans ses aptitudes d'acheteur. Ce problème est moins prégnant dans les entreprises anglophones, où la fonction Achats est majoritairement nommée « Procurement ». Ce terme n'est jamais utilisé par des particuliers pour désigner l'action de faire ses courses. La terminologie française génère confusion et incompréhension nuisibles à l'image de sérieux, de professionnalisme d'un métier complexe et stratégique. Le paroxysme de cette incompréhension a eu lieu lors de l'élection Miss France 2021 (totalisant 8,8 millions de téléspectateurs !) durant laquelle Miss Poitou-Charentes déclare à propos de sa profession : « Et oui, être acheteur c'est un métier ! » Concédons qu'il s'agirait d'une déclaration inimaginable par une Miss dont le métier est expert-comptable ou vendeur...

Acheter est en voie de disparition

Dans un monde où six des neuf limites planétaires sont déjà franchies, où le seuil de 1,5 °C de réchauffement pourrait être atteint dès 2030, acheter devient anachronique.

Comme nous le détaillons dans notre article paru dans Décision Achats de septembre 2023, la fonction achat n'a plus pour mission régalienne d'acheter.

Acheter est du ressort de l'ancien monde, caractérisé par l'obsolescence programmée et par l'économie linéaire consistant à « extraire, fabriquer, acheter, consommer, jeter ».

Entrer dans l'économie circulaire permet de concilier écologie, économies et sécurisation des risques de pénuries de matières. L'économie circulaire ouvre de nouvelles voies pour une performance durable comme nous le détaillons dans notre dernier livre blanc [1].

Parmi ces nouvelles voies, l'entreprise peut participer à une symbiose territoriale. Plutôt que d'acheter elle se coordonne avec son écosystème local pour échanger, mettre en commun. Les résidus, les coproduits, les déchets des unes deviennent les ressources des autres. Par exemple, la chaleur fatale d'une entreprise est récupérée pour fournir de l'énergie aux autres. L'enjeu pour les achats est d'identifier les écosystèmes locaux et de les animer.

Les entreprises peuvent aussi partager leurs d'équipements sous-utilisés, leurs stocks excédentaires. C'est ce que fait ShareMat pour le matériel du BTP. Aux achats de sourcer les bonnes plateformes, voire de les co-créer et d'orchestrer ces écosystèmes de mutualisation.

Plutôt que d'acheter, une autre voie consiste à réemployer, avec la création de « ressourceries » internes comme celle de la SNCF. Plutôt que d'investir, le retrofit de machines industrielles (remise à niveau et modernisation) est économiquement et écologiquement plus intéressant. Cela a été utilisé par Renault dans son usine de Cléon.

Le recyclage ouvre aussi de nouvelles perspectives. Par exemple, 1 tonne de plastique recyclé permet d'éviter 2.29 tonnes de CO2. Cela crée aussi 7 fois plus d'emplois que de l'enfouissement. Avec l'élargissement des REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) et la loi AGEC (loi Antigaspillage pour une Économie Circulaire), il est urgent que les achats développent et animent de nouveaux écosystèmes circulaires, de collecte, de tri, de recyclage, de valorisation...

Posséder est dépassé

Acheter signifie posséder, or, selon le World Economic Forum, d'ici à 2030, « tous les produits seront des services » en B2C. Nous observons la même tendance en B2B : avec l'économie de la fonctionnalité, nous entrons dans l'ère de l'usage, de la « servicisation » et non plus de la possession.

Pourquoi acheter un compresseur et immobiliser des capitaux lorsqu'il n'est utilisé que quelques heures par chantier ? Pourquoi ne pas acheter un nombre de m3 d'air ?

Dans l'économie de la fonctionnalité, comme le fournisseur conserve la possession du produit, ses intérêts et ceux de l'acheteur convergent enfin : le fournisseur ne cherche pas à vendre plus de produits, il cherche à allonger leurs durées de vie, à augmenter leurs performances à l'usage, à réduire leurs consommations énergétiques... In fine ce sont moins de produits manufacturés, moins de matières extraites, moins de rebuts...

Si la terminologie « achat » nous semble à la fois confuse pour des professionnels et anachronique compte tenu des enjeux planétaires, quelle serait la dénomination idoine ?

Manageur des Ressources Externes : une dénomination dangereuse

En s'inspirant de la mue réussie des « Gestionnaires du personnel » en « Manageurs des Ressources Humaines », les professionnels des achats se dénomment de plus en plus « Manageurs des Ressources Externes ». Mais une telle appellation nous semble dangereuse.

En effet, la performance achats est avant tout conditionnée par le management des parties prenantes internes. 75 % des coûts des produits et services et 80 % de leur empreinte environnementale sont déterminés par les choix internes effectués lors de la phase de conception. La participation active des acheteurs au coeur des réseaux internes de prises de décisions sur les spécifications, leur capacité à challenger les cahiers des charges conditionnent les performances futures. De la même façon, vouloir peser sur un marché fournisseur est difficile sans adhésion préalable de l'ensemble des entités, divisions, pays au sein d'un groupe. Il faut d'abord convaincre, en interne, toutes les parties prenantes que leurs besoins « spécifiques » pourraient être harmonisés sans perdre en qualité, puis faire en sorte qu'ils adhérent aux contrats groupes, qu'ils respectent les procédures achats... Faire évoluer les spécifications internes, faire adhérer les parties prenantes internes à une stratégie achats sont les conditions sine qua non de la performance de la fonction. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles, les experts en achats soulignent, avec à propos, que les négociations les plus compliquées sont le plus souvent celles en interne et non celles en externe, avec les fournisseurs.

En synthèse, il est dangereux de s'affirmer manageur des ressources externes lorsque sa performance est avant tout conditionnée par sa capacité à manager l'interne. Avec une telle dénomination, des clients internes, business partners, seront légitimes pour transmettre des spécifiques techniques fermées, pour s'engager en direct auprès de certains fournisseurs... et demander ensuite aux acheteurs d'aller manager les ressources externes en prétextant qu'« il n'y a plus qu'à » !

Quelle nouvelle dénomination ?

Selon, nous la fonction Achats a trois challenges clés sur les prochaines décennies

  • Contribuer à la performance économique de l'entreprise
  • Diminuer son empreinte environnementale tout en augmentant son impact social
  • Protéger l'entreprise des risques (géopolitiques, pénuries...)

Pour relever l'ensemble de ces challenges, la fonction achats va devoir muer en Manageur des écosystèmes. Telle est la dénomination que nous proposons

Qu'est-ce qu'un écosystème ?

Un écosystème trouve ses origines dans l'écologie. « Il s'agit d'une communauté d'êtres vivants au sein d'un milieu qui interagissent entre eux et avec ce milieu ».

L'écosystème transcende les dimensions interne - externe, c'est un tout en interaction. Il s'agit de la caractéristique même de la fonction « achat » : favoriser le développement des interactions au sein de l'entreprise et avec les parties prenantes de son environnement.

En quoi « Manageur des écosystèmes » correspond-il aux trois missions clés de la fonction ?

Poursuivons la définition, « Les composants de l'écosystème développent un dense réseau d'interdépendances, d'échanges d'énergie, d'informations et de matières permettant le maintien et le développement de la vie ».

Premièrement, la finalité de la fonction est bien de maintenir et de développer la vie de l'entreprise. Sa mission originelle a toujours été de contribuer à la santé financière, économique de l'entreprise, pour garantir sa pérennité dans son environnement concurrentiel et financer l'avenir.

Deuxièmement, ce développement se doit d'être durable et responsable, en phase avec les engagements du Pacte Vert européen. Le fait que la dénomination « écosystème » ait ses racines en écologie, affirme le rôle déterminant de la fonction en termes d'impacts environnementaux et sociaux.

Pour diminuer l'empreinte environnementale tout en augmentant l'impact social de l'entreprise, le manageur des écosystèmes va devoir de plus en plus intégrer l'économie circulaire. Or, les symbioses territoriales, les plateformes de partage, les filières de recyclage, de valorisation, l'économie de la fonctionnalité nécessitent toutes le développement et l'animation d'écosystèmes complexes, en référence à la définition : « le développement de réseaux d'interdépendances, d'échanges d'énergie, d'informations, de matières... ».

Le manageur des écosystèmes va devoir créer des interdépendances fortes entre des parties prenantes internes et des fournisseurs, des centres de recherche, des ONG (comme le fait la Direction Achats de L'Oréal pour créer des filières d'agriculture et socialement inclusive), voire des concurrents (comme le font les Direction Achats de Danone, Nestlé, Suntory pour soutenir la startup Carbios dans le recyclage enzymatique du plastique). Ce dernier point permet de souligner le rôle clé du manageur des écosystèmes dans l'innovation. En tant que manageur des écosystèmes, favoriser l'innovation est dans son ADN, puisque l'innovation émerge justement de l'imbrication de réseaux d'échanges internes et externes, de la multiplicité des interactions au sein d'écosystèmes différents.

Troisièmement, s'agissant de la protection des risques (géopolitiques, ruptures d'approvisionnement...), le manageur des écosystèmes va devoir reconfigurer, avec ses business partners internes, les supply chains mondiales. Ses missions vont indubitablement consister en la création de nouveaux écosystèmes de fournisseurs, avec des enjeux de relocalisation, de réindustrialisation, de « friend shoring », d'approvisionnements zone pour zone... Pour prévenir les pénuries de matières critiques, son rôle va être de développer de nouvelles filières, de nouveaux écosystèmes de recyclage, comme le demande l'Europe avec le « Critical Raw Materials Act »...

En conclusion, la dénomination « manageur des écosystèmes » nous semble beaucoup plus représentative des missions de la fonction, que « manageur achat ». Elle nous semble aussi bien plus valorisante. Par ailleurs, elle nous paraît plus systémique que « manageur des ressources externes ». Cette dénomination, en étant plus restrictive, nous semble potentiellement risquée pour la fonction. Notre objectif n'est pas de susciter des polémiques mais de donner matière à penser. Il est grand temps, selon nous, de trouver les mots justes. Comme le souligne l'académicien Léopold Sédar Senghor « Il suffit de nommer la chose pour qu'apparaisse le sens sous le signe ». Quel sens voulons-nous donner à notre fonction ?

A propos de l'autrice : Natacha Tréhan est docteur en Sciences de gestion, Maître de Conférences en Management des Achats Université Grenoble Alpes, Chercheur au laboratoire CERAG, Membre du Conseil d'Administration du CNA (Conseil National des Achats), Responsable pédagogique du master DESMA de Grenoble IAE-INPG. Natacha Tréhan est notamment l'autrice de Economie circulaire : ouvrir de nouvelles voies grâce à la fonction Achats. Livre Blanc Ivalua (2023)

 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page