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On n'est pas dans le monde des Bisounours....

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
On n'est pas dans le monde des Bisounours....

C'est sans langue de bois que les intervenants au forum de fin d'année des élèves du master 2 GPLA de Paris Saclay ont parlé de relations fournisseurs et de sourcing à l'international, tels qu'ils se pratiquent. En égratignant au passage des grands et beaux principes pas toujours appliqués...

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"La relation de confiance privilégiée entre fournisseurs et donneur d'ordres ? Je n'ai jamais vu cela. La relation commerciale est toujours un bras de fer et seule la compétition vous permet de rester en vie. L'entreprise étendue décrite comme une synergie entre une société et ses fournisseurs... c'est dans le monde des Bisounours." Etonnement dans les rangs des élèves du master II GPLA de l'Université Paris-Saclay, réunis avant l'été, à l'occasion de leur forum annuel. A la tribune, Jean-Claude Barberan, ex-directeur achats de Sagemcom souriait. Conscient d'avoir tapé un peu fort. Mais il a voulu casser ce mythe très en vogue du fournisseur partenaire que beaucoup mettent en avant. A ses côtés, cinq autres intervenants ont opiné. "Je ne connais pas de partenariat gagnant-gagnant. Je ne connais que des partenariats gagnant-perdant ou perdant-perdant", a alors avancé Stéphane Paillot, ex-CPO du groupe Bel, à présent directeur général du business BtoB. "On n'est pas dans une relation amoureuse. Il y a toujours des conflits d'intérêts. Il s'agit de relations commerciales dictées par des enjeux business où chacun essaie de tirer la couverture à soi". Le clou est définitivement enfoncé. Et la marraine de la promotion de faire une moue désabusée. Elle venait justement d'achever une longue plaidoirie pour l'éthique dans les affaires. La réalité, Françoise Odolant, responsable du pôle acheteurs, Chartes et Label à la Médiation des Entreprises, la connaît bien. Elle a donc longuement parlé de relations fournisseurs équilibrées et d'achats responsables à ces professionnels en devenir.

Après une entrée en matière quelque peu "provoc", nos décideurs ont nuancé leur propos sur le thème "C'est l'intérêt qui pousse au partenariat, ce n'est pas l'idée qu'on se tire ensemble vers le haut", selon Bertrand Duviquet, responsable des achats offshore de EDF Renouvelables, mais "il est possible d'établir des relations commerciales constructives où chacun trouve son intérêt", comme l'a affirmé Stéphane Baillargeau, CPO de la BU Engie France Renouvelables. Exit donc le terme de partenariat qui met mal à l'aise. Parlons relation commerciale privilégiée.

La "qualité" de la dite relation commerciale, a précisé Jean-Claude Barberan, varie en fonction des enjeux: "Il y a deux cycles de vie dans l'industrie: des cycles courts pour des produits qui durent 12 à 18 mois, et des cycles beaucoup plus longs pour des produits qui ont des durées de vie conséquentes. Pour les cycles courts, on a besoin d'être dans le dur, dans la compétition pure et dans ce cas, le partenariat n'a pas sa place. Pour les cycles longs, on a besoin de pérenniser son business, aussi sommes-nous là obligés d'asseoir une bonne relation fournisseurs." Donc "Les partenariats sont signés pour faire face à un risque, surtout à un risque de pénurie. On ne signe que pour s'inscrire dans la durée et on essaie de s'en sortir pas trop mal sur les prix."

Parce que oui, chers élèves, dans le gagnant-perdant, le gagnant n'est pas toujours le donneur d'ordre. Le grand méchant donneur d'ordre qui impose ses conditions est un autre mythe que nos invités ont déconstruit. Il leur arrive de subir. Ni noir, ni blanc. Le rapport de force est notamment inversé dans le cadre de la fameuse quête de l'innovation. "Le donneur d'ordre est en demande et c'est le fournisseur qui détient la clé", a souligné Stéphane Paillot. Le binôme doit alors concevoir un mode de collaboration qui convienne aux deux parties. La co-construction, notamment, qui est un vrai partenariat commercial unissant grand comptes et startups ou PME, a ainsi tendance à s'étendre. Etant bien précisé que l'acheteur n'a pas le monopole de l'innovation, qui est portée par la R&D, le marketing et l'innovation. "Il n'est qu'un maillon de la chaîne", a souligné Jean-Claude Barberan.

Lire la suite en page 2 : "Soyons humbles sur ce que l'on essaie d'imposer aux autres"


"Soyons humbles sur ce que l'on essaie d'imposer aux autres"

Les élèves ont ensuite emmené nos intervenants sur le sujet du sourcing à l'international. "Quels sont les outils permettant de vérifier la fiabilité d'un fournisseur dans un pays étranger qui n'impose pas les mêmes normes et règlementations?"- Quels sont les risques et les opportunité - "Comment s'assurer qu'un pays dit à risque présente des opportunités qui justifient de prendre des risques?", etc. Là aussi, les réponses ne furent pas aussi tranchées que l'auraient sans doute souhaité ces jeunes professionnels. Car tout est affaire d'appréciation et de mesure. "Il n'y a pas de réponse universelle. il n'y a que des réponses sur mesure sur des sujets particuliers", a souligné Eric Seassaud, directeur juridique de Vinci Construction. D'autant que, comme l'a indiqué Stéphane Baillargeau, il existe des cas de figure différents de sourcing qui n'induisent pas la même appréciation et gestion des risques: "soit vous sourcez dans un pays étrangers pour faire utilisation de cet approvisionnement en France, soit vous sourcez à l'international car vous faites du business en local. L'acceptation des risques et la gestion fournisseurs ne seront, de fait, pas les mêmes."

S'il s'agit d'un sourcing pour approvisionner la France, "Vous devez être en mesure de vérifier votre chaîne logistique fournisseurs jusqu'au bout du monde et vous en portez la responsabilité juridique. Le risque peut conduire à ne pas faire appel à certains fournisseurs mais ce sujet est managérial; c'est la direction générale qui doit s'en saisir", a précisé Eric Seassaud. S'il s'agit de s'implanter en local pour y créer une activité économique, il faudra considérer des risques autres que ceux liés à la RSE ou à la sécurisation des approvisionnements: "Quel que soit le pays, vous allez être confrontés à des environnements normatifs qui vont créer des contraintes. Il faudra aussi considérer les environnements locaux car, pour y travailler, il vous faudra, par exemple, déployer une série de mesures de sécurité dont le coût doit être identifié avant la passation de contrat", a commenté l'avocat. Et Christophe Marie, consultant achats chez Nicestha, de rappeler les basiques :"Il faut bien partir du besoin, aller chercher l'ensemble des contraintes, pour vérifier la faisabilité d'un projet et savoir s'entourer d'experts du pays; de tiers de confiance", a t-il conseillé. En plus d'experts, il ne faut pas hésiter à utiliser le réseau des ambassades, les acteurs économiques déjà implantés dans le pays, a commenté Stéphane Paillot, "et solliciter les fournisseurs que vous avez dans d'autres pays et qui connaissent ce territoire".

Une chose est sûre: à l'international, les acheteurs seront des caméléons, - "ce sera à vous de vous adapter et pas aux autres à s'adapter à vous" - qui ne devront jamais perdre de vue le fait que "la perception occidentale des choses est minoritaire dans le monde", a précisé Bertrand Duviquet. "L'international rend humble", a abondé Stéphane Baillargeau. Il ne faut pas arriver avec trop de certitudes. Soyons humbles sur ce que l'on essaie d'imposer aux autres. Si vous tentez d'appliquer in extenso les clauses habituelles, vous risquez de repartir avec zéro fournisseur. Ce n'est pas pour autant qu'il faut tout accepter". Lui préfère nettement la démarche consistant à accompagner un fournisseur local dans le cadre d'une démarche d'amélioration continue. Et mieux vaut, dans ce cas avoir des équipes en local pour suivre cette évolution, ont souligné nos décideurs.

A l'international, le risque est, par essence protéiforme. L'acheteur, ont conseillé nos décideurs, a intérêt à ouvrir grand les yeux et l'esprit pour comprendre le monde et tenter d'anticiper les crises. "L'acheteur doit être un observateur. Il doit lire, s'informer pour avoir un niveau d'information suffisant sur les zones où il opère. Pour envisager les risques potentiels et comment s'en arranger", a souligné Guy Elien, professeur de stratégie achats à l'Université Paris-Saclay. Tout en restant humble, là aussi. Car bien malin celui qui anticipera les crises météorologiques ou géopolitiques qui, a minima, joueront sur les échanges commerciaux, et au pire, mettront toutes les stratégies à bas. Et si crise il y a, "L'acheteur participe à la recherche de solutions, légales, mais pas simples. C'est rarement manichéen, mais c'est ce qui fait la beauté du métier", selon Stéphane Paillot.

 
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