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Vers des circuits relocalisés

Publié par le | Mis à jour le
Vers des circuits relocalisés

Gestion du risque fournisseur, sécurisation des approvisionnements, impératifs RSE... Les bonnes raisons à l'origine des relocalisations semblent nombreuses, mais les difficultés d'arbitrage rendent la démarche complexe et incertaine.

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Si les départements achats connaissent depuis quelques années de fortes mutations, la réduction des coûts s'affiche toujours comme la priorité reine. Selon l'édition 2023 de l'étude AgileBuyer / CNA portant sur les priorités des directions achats, elle est l'objectif n°1 pour 66 % des répondants. Et le contexte inflationniste ne fait que renforcer ce constat qui traverse les décennies, puisque ce chiffre est augmentation de 10 points par rapport à l'an passé. La relocalisation d'activités est l'une des nouvelles armes en vogue dans ce but : s'approvisionner plus près offre de meilleurs délais et permet de gagner sur des transports toujours plus coûteux à l'heure actuelle.

49 % des responsables d'achats envisagent désormais une relocalisation suite aux crises successives que traverse l'économie. Cette tendance appelée aussi le friendshoring vise généralement à orienter ses approvisionnements vers des territoires plus proches géographiquement, ou plus proches en termes de stabilité politique, de partage de valeur, de priorités RSE ou de conformité. La sécurisation des approvisionnements les personnes interrogées figurent également parmi les premiers bénéfices de cette reconfiguration de la supply chain.

« Le coût des approvisionnements notamment nécessite de trouver des sources plus proches. Les coûts des matières premières, des carburants, la réduction des intermédiaires coûteux sont ainsi une motivation forte », indique Lionel Dindjian, Directeur France de Mail Boxes Etc, spécialiste des acheminements de colis à destination des entreprises. Il mentionne également « les raisons RSE qui gagnent du terrain. La promotion du transport lent, pour des raisons aussi bien écologiques qu'économiques, devient plus importante : la mutualisation des transports, rendant les coûts moins importants et l'impact carbone moins lourd, joue en faveur d'une relocalisation. »

Redonner du sens et à retrouver de la maîtrise dans le fonctionnement économique

Dans l'étude AgileBuyer / CNA, le bénéfice environnemental est cité en deuxième position des motivations principales des relocalisations, après la sécurisation. En 2023, 70 % des directions achats ont des objectifs en lien avec la RSE. Mais alors que leur fonction contribue à une stratégie RSE globale pour 32 % d'entre elles, elles sont 68 % à ignorer l'empreinte carbone de leurs achats. Une information pourtant essentielle pour fixer un cap crédible en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Pour Grégoire Bleu, dirigeant de la société Upcycle, la démarche de relocalisation consiste avant tout à redonner du sens et à retrouver de la maîtrise dans le fonctionnement économique : « relocaliser, c'est motiver les salariés, redonner vie à des savoir-faire, évoluer en intégrant de l'apprentissage continu. Au-delà des questions RSE dont on parle beaucoup, la prise de conscience de la fragilité des modèles économiques à l'occasion de la crise du covid-19, a été à l'origine de ce changement. Les projets de relocalisation sont d'abord le fruit d'un constat du danger que peut représenter la dépendance à des pays tiers dont on ne partage pas forcément les convictions et avec lesquels les collaborations économiques peuvent vite s'effriter. »

Alain-Bernard Duvic, directeur associé en charge des supply chains chez le spécialiste du conseil en management Kepler consulting, estime que la tendance au friendshoring « existe déjà depuis plusieurs années, le covid n'ayant été qu'un facteur accélérant. Un de nos clients dans l'agroalimentaire devait développer une très grande usine ailleurs et, suite aux réflexions et événements récents, ce sera finalement en France. Ses motivations sont économiques, visent à donner du sens sur un plan RSE et à se positionner comme un acteur local. Une vaste zone regroupant l'Europe et l'Afrique du nord est aujourd'hui concernée par ce phénomène de relocalisation. »

Si le mouvement n'est pas encore un phénomène massif, il peut le devenir. « Nous travaillons avec des clients pour lesquels les importations se transforment rapidement. Ils ont tendance à avoir des sources d'approvisionnement plus proches, des circuits plus rapides », remarque Lionel Dindjian.

Repenser le raccourcissement de la chaîne d'approvisionnement signifie aussi se projeter dans un avenir à long terme avec de nouvelles règles, de nouvelles priorités, au-delà des actions possibles à court ou moyen terme. « Il faut pour cela des ressources importantes, d'investissements, d'innovation et de soutien public pour ne plus être dépendant de productions lointaines, à l'image des batteries et des extractions minières qui y sont liées. A l'heure actuelle, il est possible de faire revenir localement 5 % des achats des PME françaises », relativise Isabelle Carradine, Associée spécialiste de la transformation de la fonction Achats au sein de PwC France et Maghreb.

Dans certains secteurs d'activité, la relocalisation devient plus facilement une réalité, et certains acteurs en font d'ores et déjà un atout démarquant, comme le distributeur Manutan. « 98 % de nos produits viennent de fournisseurs européens. Il y a plusieurs bonnes raisons d'opter pour la relocalisation, y compris le volet environnemental. Nous poursuivons nos réflexions sur ce sujet quant à la pertinence des achats en fonction des origines des produits. On se focalise aussi sur l'amont, non pas uniquement sur l'aval de la supply chain, en étudiant également les taux de chargement des containers et la question de la mutualisation afin de rendre notre positionnement le plus soutenable possible sur un plan économique », Marine Varret, Responsable RSE Offre et Supply Chain de Manutan.

Une pondération difficile à clarifier

Pour Grégoire Bleu, opérer un tel repositionnement est « inévitablement une prise de risque. » Chaque cas semble unique et chaque décision soumise à de nombreux facteurs délicats à maîtriser. « Les critères économiques, l'impact environnemental, le type de service fourni, les relations avec le client sont autant d'éléments à prendre en compte, tout comme les temps d'élaboration, les délais administratifs », indique Alain-Bernard Duvic. Cette année, on constate parmi nos clients l'impact concret de décisions prises en 2021. L'une de nos entreprises clientes, dans l'agroalimentaire, vient de revoir totalement sa chaîne d'approvisionnement, avec l'implantation d'une usine qui vient d'être décidée. Celle-ci ne sera opérationnelle qu'en 2026. D'autres exemples témoignent des durées importantes à prendre en compte, comme le cas de Sanofi pour qui la relocalisation de certaines productions et acheminements de médicaments se traduit par deux années de redéploiement au moins.

Ce type de projet se traduit parfois par des dégradations de certaines situations : un autre de nos clients qui a relocalisé en Europe de l'Est une partie de sa production, étant auparavant en Asie du sud-est, s'est rendu compte de l'augmentation importante du nombre de camions qu'il devait utiliser. Cet aspect a été sous-estimé et a aujourd'hui pour effet un impact carbone plus négatif.

Des modèles d'analyse sont utilisés en intégrant des paramètres exogènes, pour aider à la prise de décision. Les éditeurs logiciels actuels proposent déjà des fonctionnalités intégrant les historiques des achats et différents critères visant à mieux arbitrer. Sur les modèles de prix, certaines nouveautés intègrent des analyses de scénarios possibles, comme les impacts probables des mois à venir si Taïwan doit fermer ses frontières. « Cet aspect se développe fortement dans le bâtiment, où il est particulièrement intéressant », illustre Isabelle Carradine.

Lionel Dindjian souligne que la gestion des incertitudes gagnera sans doute en pertinence grâce aux nouvelles technologies, notamment sur le caractère durable de la pertinence de prendre une décision de réorientation stratégique en matière de supply chain. « Attention toutefois à ne pas déstabiliser les économies. Les grandes entreprises profiteront bien plus de ces innovations que les autres organisations. Les différences entre grandes et petites structures risquent ainsi de s'accroître fortement. »

Vers de nouvelles fonctions pour les directions achats

Coût, qualité, délai. Ce triptyque a longtemps résumé le travail quotidien des acheteurs. Aujourd'hui, la gestion du risque est l'une des activités centrales au sein des directions achats, si bien qu'elle occupe l'essentiel du temps de travail pour certains d'entre eux. Les difficultés d'approvisionnement et l'envolée des prix ont exacerbé cette tendance. Les politiques de relocalisation, qui visent à mieux maîtriser un certain nombre de processus, semblent s'accompagner d'une redéfinition du rôle des acheteurs. « Demain, il s'agira de composer avec une gestion de risque qui soit la plus automatisée possible, pour que l'acheteur puisse à nouveau se consacrer davantage aux achats à proprement parler, avec par exemple des plans d'amélioration continue avec les fournisseurs, ou l'amélioration du panel de fournisseurs grâce aux données », décrit Isabelle Carradine.

Le souci de rapprocher les différents acteurs de sa filière conduit de plus en plus à la création d'écosystèmes au sein de groupements d'entreprises, comme l'a déjà fait Renault. Objectif : mieux répondre aux défis actuels et mieux gérer la traçabilité, l'inflation, les garanties d'approvisionnement, les risques fournisseurs, la responsabilité sociétale et écologique. « L'idée de ces écosystèmes est d'échanger un maximum d'informations en permanence sur de multiples sujets. L'acheteur devient ainsi un acheteur augmenté, connecté en temps réel à sa filière. Le groupe Orange a à son tour annoncé début 2023 la création d'un tel regroupement d'acteurs autour de lui », poursuit Isabelle Carradine.

 
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