Recherche
Mag Décision Achats
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine
En ce moment En ce moment

Quand la crise sanitaire affecte durablement les achats

Publié par le - mis à jour à
Quand la crise sanitaire affecte durablement les achats
© Athitat Shinagowin

La crise de la Covid-19 a obligé les achats à réagir rapidement pour répondre à des enjeux à court terme de rupture d'approvisionnement ou de trésorerie. Mais cette crise va avoir des conséquences plus durables sur la direction achats et même, créer des possibilités de se réinventer.

Je m'abonne
  • Imprimer

Nous avons longuement parlé à travers nos articles des impacts de la crise sanitaire sur la fonction achats, les adaptations qui ont été nécessaires, les nouvelles pratiques qui se sont mises en place... Mais est-ce que certaines de ces transformations vont se prolonger au-delà de la crise ? Est-ce que la Covid aura des conséquences à long terme sur la direction des achats ?

Une meilleure structuration des process

La réponse est assurément oui. Première évolution qui va modifier durablement les achats : le travail à distance. Pour Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer, la crise actuelle a augmenté la culture de l'écrit, du fait du travail à distance. "Derrière cette nouvelle culture de l'écrit, qui va perdurer, se trouve un respect plus important des process. Ce qui est idéal pour obliger les prescripteurs à mieux respecter les procédures", note-t-il. Grégory Wanlin, directeur associé d'Enabling Procurement, observe aussi cette meilleure structuration des process: "Comme il n'est plus possible de se rendre dans le bureau de ses collègues, les projets sont plus cadrés et des process qui avaient tendance à être oubliés sont remis au goût du jour".

L'obligation de travailler à distance va également permettre d'avancer dans la digitalisation des directions achats. C'est le constat qu'a fait Ludovic Beribos, associé et directeur des opérations chez Epsa: "Les entreprises bien digitalisées se sont montrées plus résilientes. La crise a permis d'accélérer certaines transformations digitales qui avaient du mal à se mettre en place dans les entreprises, notamment autour des marketplaces." Fanny Bénard, directrice associée de BuyYourWay, voit cependant une limite dans la digitalisation des relations: l'étude que BuyYourWay a menée en partenariat avec l'Adra et la Médiation des entreprises à propos des impacts de la Covid-19 sur les pratiques achats a fait ressortir que de nombreux acheteurs estiment que la dimension humaine reste primordiale pour assurer des relations partenariales avec leur fournisseurs ; beaucoup ont indiqué avoir privilégié les appels téléphoniques pendant le confinement aux moyens de communication digitaux comme les e-mails. "Les acheteurs se rendent compte que la relation est mieux entretenue quand on se parle en direct", estime Fanny Bénard.

La relation avec les fournisseurs risque en effet de pâtir du fait que les services achats fonctionnent bien à distance : les déplacements pourraient se voir réduits au minimum et il sera alors plus difficile de justifier une rencontre physique avec un fournisseur. "Cela va créer de la distanciation avec les fournisseurs et va, de plus, limiter l'ouverture à de nouveaux prestataires : en effet, comment débuter une relation avec un nouveau fournisseur sans le rencontrer ? Cela demande un effort que toutes les directions achats ne souhaiteront pas fournir", estime Olivier Wajnsztok.

Davantage de proximité avec les fournisseurs

Pourtant, l'évolution de la relation avec les fournisseurs va sûrement être une des autres grandes conséquences de la crise sanitaire sur les achats. "La connaissance de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement est au coeur des préoccupations, afin de savoir comment elles sont composées pour mieux réagir en cas de problème. Or, cette connaissance passe par une bonne relation fournisseurs, des rencontres plus régulières, davantage de business review, un renforcement du partenariat, etc.", fait remarquer Fanny Bénard. Les acheteurs devront à la fois moins se déplacer et renforcer leur communication avec les fournisseurs. Pas facile ! Est-ce que la solution se trouvera dans un approvisionnement plus local ? "Avec la crise, et notamment la fermeture des frontières, les incidences d'une rupture de la chaîne d'approvisionnement ont éclaté au grand jour. Conséquence : les achats s'attèlent à refondre leur chaîne d'approvisionnement, en privilégiant notamment un sourcing plus local. C'est un travail qui va prendre plusieurs années", analyse Ludovic Beribos.

Pour Fanny Bénard, si le sujet de la relocalisation des achats est sur la table, il n'est pas facile pour autant. "Les produits sourcés doivent exister à proximité, être abordables. Par ailleurs, concentrer l'ensemble de ses approvisionnements sur une seule zone n'est pas forcément une bonne idée. Beaucoup de directions achats travaillent plutôt sur le multi-sourcing et le near-sourcing", constate la directrice associée de BuyYourWay.

Une réflexion est en effet en cours au sein des directions achats sur la qualité de leur sourcing. Pour Laurent Delarbre, associé chez TNP Consultants, la crise que nous traversons actuellement est en effet l'occasion de revenir sur les mauvaises habitudes en la matière. "C'est le moment de faire sauter toutes les barrières en interne et de changer les produits qu'on achète, de changer les fournisseurs, de changer le sourcing", estime-t-il. Il incite en effet à ne pas mener de petites négociations sans lendemain avec ses fournisseurs, à leur mettre de la pression sur les délais, mais à aller plus loin en se séparant des fournisseurs les moins performants et en investissant davantage sur les plus performants. "Il faut stopper les mauvaises pratiques ridicules qui perdurent et se projeter sur le long terme avec les meilleurs fournisseurs", résume-t-il.

Lire la suite de cet article en page 2 : La gestion des risques, au centre des préoccupations / Acquérir de nouvelles compétences


La gestion des risques, au centre des préoccupations

Cette question du sourcing va de pair avec un autre sujet, que la crise est en train d'installer durablement au sein des directions achats : la gestion des risques. "La crise a mis en évidence les défaillances qui existaient du côté des risques : très peu de directions achats avaient jusqu'à présent mis en place une cartographie des risques qui permette une meilleure connaissance des risques fournisseurs, et notamment des fournisseurs non stratégiques", rapporte Thierry Mercier, partner Wavestone et expert en transformation des organisations achats et approvisionnements.

Grégory Walin note lui aussi une vraie prise de conscience de la gestion du risque sur la supply chain. "Cela passe par une connaissance intime de ses fournisseurs mais aussi des fournisseurs de ses fournisseurs, voire des fournisseurs des fournisseurs de ses fournisseurs. Mais aussi par un exercice de veille des données sociales, environnementales, géopolitiques, etc., dans le but de détecter les signaux faibles." L'objectif sera de ne plus se faire piéger par des événements de nature à créer des ruptures d'approvisionnement mais aussi des risques d'image. Pour gérer ce risque d'image, la prise en compte de l'aspect RSE devrait également monter en puissance. Ludovic Beribos constate une intégration massive dans les cahiers des charges de la norme Iso 20400 relative aux achats responsables. "La Covid a accéléré le volet risque et se soucier de sujets sociaux et environnementaux permettent de travailler différemment avec des fournisseurs engagés et responsables et de limiter ses risques. Par ailleurs, suite à la crise, l'État souhaite relancer durablement l'économie autour de l'écologie et de la cohésion sociale et sociétale ; les entreprises souhaitent se positionner sur ces sujets pour pouvoir bénéficier de ce plan de relance qui représente 100 milliards d'euros de subventions", avance-t-il.

Fanny Bénard se questionne cependant sur l'évaluation RSE qui pourra être faite des fournisseurs, avec la limitation des déplacements. "On ne voit pas tout avec un audit documentaire. Il faudra peut-être nouer des partenariats avec des acteurs locaux qui pourraient auditer les fournisseurs si aucune équipe française ne peut se rendre sur place. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas arrêter de travailler sur ces sujets de RSE", insiste-t-elle.

Acquérir de nouvelles compétences

Ces différents sujets qui vont s'inviter sur le long terme au coeur des directions achats vont avoir des impacts sur les équipes achats. "Sur la gestion des risques, par exemple, les directions achats ne possèdent pas toujours les compétences. Il va être nécessaire de se former sur ce sujet", pointe Jérémy Cottin-Lamy, consultant chez Crop and Co. Au-delà de la formation des équipes existantes, des recrutements vont devoir également avoir lieu. Pour Grégory Wanlin, il est indispensable d'accélérer la diversification des profils. "Ces nouveaux sujets apportés par la crise sanitaire nécessitent des compétences et des visions diverses", pense-t-il. Il cite notamment la capacité à communiquer, à élaborer des scénarios ou encore à opérer des recherches d'informations. "Une meilleure productivité est attendue des achats, notamment sur les sujets des petits achats, des approvisionnements, du contract management, ou encore de la qualité", constate Thierry Mercier.

Il juge également que les acheteurs adoptent encore une position trop opérationnelle qui ne leur permet pas de jouer pleinement leur rôle de relais entre les fournisseurs et les clients internes. "Ils doivent réussir à la fois à mieux qualifier et challenger les besoins des clients internes et à mieux capter l'innovation des fournisseurs", considère-t-il. Jérémy Cottin-Lamy pense lui aussi que la communication est un point faible à faire évoluer, afin d'obtenir des informations de la part des fournisseurs comme des opérationnels. "Ce ménage à trois doit être plus efficace. Bien communiquer n'est pas facile mais c'est très important, surtout en période de crise", relève-t-il. Enfin, Thierry Mercier estime que les acheteurs, au lieu d'être uniquement spécialisés sur une catégorie, devront faire preuve de plus de polyvalence et d'agilité, pour pouvoir évoluer en fonction des besoins de l'entreprise. Lors de la crise, par exemple, les acheteurs ont dû apprendre à acheter des masques et autres EPI, de nouveaux services, et donc à travailler avec de nouveaux fournisseurs, voire avec de nouveaux pays. "Bien évidemment, ces changements nécessiteront un accompagnement des équipes et une évolution des objectifs qui leur seront donnés", conclut-il.

Évoluer sur tous ces sujets ne va donc pas se faire sans douleur. Mais les achats doivent aussi voir dans cette crise une opportunité d'accéder à un nouveau statut, de sortir de leur rôle de simple négociateur pour devenir un business partner. Jérémy Cottin-Lamy se réjouit notamment que la crise sanitaire ait permis de remettre les achats au centre des préoccupations. "Les achats ont retrouvé de la proximité avec les directions générales", observe-t-il. Avoir l'oreille de la direction générale va peut-être permettre de passer des sujets sur lesquels il existait des blocages, comme la RSE. "C'est l'opportunité de remettre du sens dans la fonction", avance Grégory Wanlin. Une opportunité à saisir sans plus tarder !

 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page