Benchmark européen : La négociation, pilier des achats en France mais levier isolé
Les acheteurs français privilégient largement la réduction des coûts au détriment de la gestion des risques, contrairement à leurs homologues allemands ou nordiques. Derrière ce déséquilibre se dessine un modèle d'achats encore très technique, peu hybridé, et insuffisamment connecté au pilotage stratégique de l'entreprise. Enseignements.

La négociation reste le levier privilégié des acheteurs français pour réduire les coûts. C'est l'un des enseignements de l'étude Perspectives on the stratégic role on Procurement (mai 2025) menée par Inverto, filiale du BCG spécialisée dans les achats et la supply chain, auprès des directions achats en Europe. « En France, les acheteurs considèrent encore majoritairement que c'est par la négociation qu'ils obtiennent de la valeur», note Isabelle Pinto Carradine, Managing Director chez Inverto.
La gestion du risque, priorité des priorité en Europe, mais pas en France
Le contraste est fort avec les approches plus équilibrées observées chez les « impact leaders », ces entreprises européennes dont la direction achats est étroitement associée à la stratégie globale. Chez elles, la réduction des coûts reste importante, mais ces entreprises mettent au même niveau la réduction des risques. « On est à 56 % pour les savings et 59 % pour la gestion des risques au niveau européen. En France, les économies dominent largement. 75 % des directions achats placent la réduction des coûts comme leur priorité, alors que seulement 35 à 37 % évoquent la gestion du risque », poursuit la managing director d'Inverto. L'étude menée par Inverto nous renseigne également sur les nouvelles orientations stratégiques de la DG et leurs conséquences sur les achats. D'un point de vue sectoriel, l'optimisation de la supply chain et des achats pour le secteur des biens de consommation et les biens d'équipement. Pour la santé, le focus est placé sur l'organisation et la productivité, tandis que le monde de l'assurance et de la finance met le curseur sur l'optimisation du service client. Enfin, l'életronique grand public place la focale sur les ventes et le marketing.
Côté achats, le déséquilibre ne se limite pas aux priorités déclarées, il s'observe aussi dans les pratiques. En matière de réduction de coûts, les entreprises françaises déclarent activer de nombreux leviers. Parmi ces leviers, on retrouve la gestion de la demande, la révision des spécifications, l'adaptation des process. L'étude révèle que la diversification du panel fournisseurs demeure un levier encore peu utilisé. « Ce n'est pas un réflexe en France, contrairement aux best-in-class européens », souligne Isabelle Pinto Carradine.
En France, une vision encore trop technique des achats ?
Cette posture traduit une vision plus technique qu'économique de la performance achat. « On parle encore trop de 'procurement savings' et pas assez d'impact P&L », insiste-t-elle. Exemple, si un produit passe de 10 à 13 euros avec l'inflation, mais que l'acheteur le négocie à 11, il va déclarer 2 euros d'économies. Sauf que le dirigeant ou la finance, vont davantage considérer le +1. Il faut changer le langage. Il faut parler en termes d'impact réel sur les résultats », vulgarise Isabelle Pinto Carradine.
Ce changement passe par un alignement fort avec la direction financière. Chez les meilleurs élèves européens, 70 % des directions achats ont une interaction continue avec les équipes finance. En France, ce chiffre tombe à 50 %. « Il faut s'asseoir avec le CFO et redéfinir les indicateurs de performance », martèle la spécialiste des achats.
La négociation reste donc incontournable, mais elle ne suffit plus. C'est tout le modèle de leadership achat qu'il faut repenser. « Il faut intégrer les dirigeants dans les principales négos. C'est ce qu'on appelle les négo top-to-top, explique la directrice d'Inverto. Aujourd'hui, les achats représentent 50 % du chiffre d'affaires, mais seulement 1 % du temps du COMEX est consacré aux relations fournisseurs. »
Des limites pour le leadership achats en France
Dis moi ce que tu faisais avant les achats et je te dirais quel acheteur tu es. C'est ainsi que l'on pourrait résumer le décalage des acheteurs français et européens et notamment allemands. Car une autre spécificité se dégage chez les acheteurs français sur le sujet du leadership. La fonction achats reste encore peu hybridée avec d'autres expertises. Les profils viennent très majoritairement de cursus spécialisés. « En France, on forme des acheteurs via une quarantaine de masters. C'est unique en Europe. Mais ça crée une fonction très technique, qui a parfois du mal à prendre de la hauteur stratégique. » Ailleurs en Europe, et notamment en Allemagne, les acheteurs viennent souvent du business, du marketing, de la production. Ce brassage alimente une approche plus transversale et plus connectée aux enjeux du terrain.
Ce déficit d'influence se traduit également dans la perception de la fonction. Selon les données Glassdoor analysées par Inverto, les collaborateurs achats français évaluent leur environnement de travail moins favorablement que leurs homologues de la finance ou des RH. « Le premier frein au développement de la fonction achats demeure le leadership et le croisement des expertises, affirme Isabelle Pinto Carradine. Ce n'est pas qu'une question de moyens. C'est une posture à adopter. Il faut prendre sa place. »
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