Le sourcing des fournisseurs à l'international, notamment dans les pays à bas coût
Si l'engouement pour les pays à bas coût semble diminuer, le sourcing des fournisseurs à l'international reste une réalité majeure, surtout dans l'industrie. Raisonnant davantage en coûts complets, les acheteurs cherchent aujourd'hui à optimiser leurs pratiques d'achats à l'étranger.
Je m'abonne Les achats dans les pays à bas coût n'ont plus le vent en poupe. C'est ce qu'a confirmé l'étude AgileBuyer-CNA sur les tendances et priorités des départements achats en 2019. En effet, pour 69 % des répondants, les achats dans les pays à bas coût ne sont pas un axe de travail : un chiffre en hausse de deux points par rapport à 2018 et qui augmente de manière continue depuis 2015. Parallèlement, le nombre d'entreprises souhaitant augmenter la part de leur achats dans les pays à bas coût continue de baisser, passant de 21 % en 2018 à 19 % en 2019. Un chiffre qui reste cependant élevé dans les secteurs industriels : 43 % dans l'aéronautique et la défense, 36 % dans la métallurgie et la mécanique et 34 % dans l'automobile.
"Le sourcing à l'international, notamment dans les pays à bas coût, reste très vigoureux du fait de la vaste tendance à rechercher un prix de revient moins cher, relativise Thierry Fournier, directeur associé chez EIM France. Il y a quelques exceptions, dans des industries comme le luxe où l'image de marque n'exige pas la baisse des coûts à tout prix, ou dans des industries où la réduction des séries nécessite de garder près de soi fabricants et fournisseurs, pour plus d'agilité." Selim Boughedir, smart industries director chez Wevioo, rappelle quant à lui que "l'objectif principal, le moteur premier du sourcing à l'international est de rester compétitif".
Pour atteindre cet objectif, les acheteurs raisonnent aujourd'hui davantage en coûts complets. "Le problème classique est de ne pas prendre en compte le coût global, souligne Olivier Wajnsztok, directeur associé chez AgileBuyer. L'éloignement engendre des coûts supplémentaires : transport, visites, audits, problèmes de douane, problèmes monétaires..." Au point que des entreprises commencent à remettre en question leurs achats dans les pays à bas coût. "Il y a quelques années, des KPI mesuraient le pourcentage d'achats à l'international. Aujourd'hui, ces KPI ne sont plus regardés car acheter à l'international est devenu la norme, souligne Magali Testard, senior partner chez Roland Berger. La tendance actuelle des entreprises est plutôt autour du "make or buy" et de l'achat en local. Ainsi, les entreprises sont à la recherche d'un optimum coût, qualité, délai, responsabilité sociale."
Cibler un ou deux pays
Si elles estiment que le maintien de leur compétitivité passe par un sourcing à l'international, les entreprises commenceront par cibler un ou deux pays. Dans "Le sourcing en 10 étapes" *, Pierre Charmillon, dirigeant de Cap Quest International, identifie un ensemble de critères de choix du pays "source". Il les regroupe en trois catégories : l'accessibilité, le potentiel et la sécurité. Dans la première catégorie, il distingue des facteurs physiques (distance du pays "source", climat, infrastructure de transport), des facteurs économiques et politiques (devise, stabilité du régime), des obstacles tarifaires (droits de douane), des obstacles non-tarifaires (documents à obtenir) et des facteurs sociaux-culturels (barrière linguistique).
Dans la deuxième catégorie, le potentiel, il intègre des données économiques (balance commerciale, ratio exportations /PIB, ouverture aux investissements directs étrangers) et la dimension du marché des produits recherchés. La troisième catégorie, la sécurité, regroupe les risques du pays : vulnérabilité de la conjoncture, risque de crise de liquidité de la devise, surendettement extérieur, fragilité du secteur bancaire, fragilité politique, comportement de paiement des entreprises...
Pour aider les acheteurs à faire leur choix, Pierre Charmillon propose une "matrice", un tableau évaluant et comparant plusieurs pays selon ces critères, à l'aide de notes pondérées. Dans certains secteurs, le choix de la zone géographique du sourcing s'impose. "Notre choix est limité par la nécessité d'être proche de nos clients pour leur fournir des pièces en "juste à temps" et en fonction des demandes clients, explique Nicolas Couet, directeur des achats dans le secteur de l'équipement automobile.La stratégie et le panel de certains équipementiers ont évolué pour localiser leur production dans les pays d'Europe de l'est." Le directeur achats poursuit : "Nous avons demandé à nos fournisseurs habituels de s'implanter en Europe de l'est afin de fournir aux premiers besoins. Puis, en fonction des capacités nécessaires, nous avons développé de nouvelles sources en intégrant des fournisseurs locaux."
Rechercher des fournisseurs locaux
Le ciblage du pays effectué, il s'agit d'identifier les fournisseurs potentiels en son sein. Les recherches sur Internet sont bien sûr incontournables, avec des outils comme l'annuaire professionnel Kompass ou la plateforme Alibaba.com. Pour sélectionner des salons internationaux, les acheteurs peuvent notamment s'appuyer sur le site eventseye.com. Dans le pays choisi, ils gagneront à faire appel aux services des organismes officiels. "Les ambassades peuvent être une première porte d'entrée, les chambres de commerce connaissent les fournisseurs assurant des contrats internationaux, rapporte Selim Boughedir. Les organismes gouvernementaux des pays "best cost" peuvent également assister les acheteurs en leur faisant faire le tour du tissu industriel correspondant à leur produit."
En Tunisie, l'Agence de promotion de l'investissement extérieur (FIPA-Tunisia) promeut par exemple le hub aéronautique du pays. En effet, de nombreux équipementiers se sont installés en Tunisie, dont Zodiac Aerospace (Safran) en 2004 et Stelia Aerospace (Airbus) en 2009. Un parc aéronautique a même été créé en banlieue sud de Tunis, l'aéropôle d'El Mghira. "Les fournisseurs de rang 1, et parfois des fournisseurs de rang 2, s'y installent autour des opérateurs européens, constate Selim Boughedir. Dans un premier temps, ce sont des fournisseurs européens, mais petit à petit des fournisseurs locaux sont certifiés et peuvent aussi fournir à l'étranger." Après avoir identifié des fournisseurs potentiels, les acheteurs procéderont évidemment à leur évaluation selon les critères qu'ils ont définis. "Au moment de la qualification des fournisseurs, la vérification de la qualité des produits et des procédés est particulièrement importante, insiste Magali Testard. Le digital permet aujourd'hui d'accélérer cette évaluation."
Mobiliser les compétences en interne
Pour réussir leur sourcing à l'international, les entreprises mobilisent de nombreuses compétences en interne. "Les acheteurs ne doivent pas aller seul à l'international, conseille Olivier Wajnsztok.C'est ce qui est autour de l'acte d'achat qui est compliqué : la qualité, la logistique, la douane, la propriété intellectuelle..." En termes d'organisation, le directeur associé d'AgileBuyer recommande "un mix d'acheteurs locaux et d'acheteurs du pays d'origine. [Car] un Chinois parle mieux avec un Chinois."
Les trois principaux risques de sourcing à l'international
Maître Evguenia Dereviankine,associé chez UGGC Avocats, explique quele premier risque réside dans le défaut de maîtrise des règles du pays de destination du produit sourcé. Une mauvaise appréhension de la nature de la marchandise arrivant sur le marché européen peut exposer l'importateur à des coûts non prévus (droits de douane, taxes,expertises, certifications, etc.) voire même à une interdiction de circuler(composants, matière interdite de circulation sur le marché européen, etc.)
Le deuxième risque réside dans la gestion de la logistique du bien sourcé. Ce risque est généralement aménagé par voie contractuelle, moyennant une répartition des tâches entre l'acheteur et le vendeur.
Le fournisseur peut par exemple être mieux placé que l'acheteur pour connaître les règles qui s'appliquent à l'export et s'occuper des formalités de l'exportation. Il est important d'éviter de s'occuper d'une tâche dont on ne maîtrise ni le coût ni l'évolution.
Le troisième risque réside dans des décisions politiques que peuvent prendre des nations et qui ont un impact sur le commerce, telles que des interdictions d'exportation ou d'importation.C'est ainsi, par exemple, que le groupe chinois Huawei s'est trouvé privé des mises à jour de son système d'exploitation, de fabrication américaine, en raison des interdictions de commerce avec la Chine imposées par le gouvernement américain aux fabricants américains de logiciels.
La suite en page 3: "Le sourcing est un marché ultra compétitif"
"Le sourcing est un marché ultra compétitif"
Rencontre avec Frédéric Thielen, directeur des achats du groupe Brandt (au moment de notre rencontre).
Le sourcing à l'international est-il incontournable dans l'électroménager ?
Oui, car c'est un marché ultra compétitif et certains composants ne se trouvent qu'en Asie, par exemple. Pour autant, nous devons faire en sorte que beaucoup de nos produits restent labellisés "Origine France garantie", leur assemblage final et plus de 50 % de leur valeur étant réalisés en France ?
Quelles sont vos grandes zones de chalandise internationale ?
La première grande zone de chalandise est l'Asie. La Chine, où se trouve la plus grosse société d'électroménager au monde et le plus gros marché, a un important bassin de fournisseurs. Des composants japonais sont aussi utilisés pour des produits haut de gamme. La deuxième zone est la Turquie, avec un point d'attention sur la dévaluation récente de la lire turque. Enfin, la troisième zone est la Tunisie, d'autant plus qu'une partie de notre appareil industriel est située en Algérie. Ensuite, dans une moindre mesure, l'Europe de l'est.
Comment choisissez-vous vos fournisseurs à l'étranger ?
Il faut d'abord chercher le bon produit dans la bonne zone : dans certains cas, la bonne zone c'est la France. Il est ensuite nécessaire de tenir compte du coût complet et donc du coût de transport, qui risque d'être sensible aux taxes et droits de douane, du coût de l'immobilisation du capital durant le transport, mais aussi du coût de recyclage, par exemple pour les fils de cuivre utilisés dans les tables à induction. Enfin, la qualification des fournisseurs lointains doit être particulièrement soignée, avec des tests, des vérifications de produits et des visites locales.
" Le sourcing est l'une de mes priorités stratégiques pour accélérer la création de valeur "
David Lapitz, directeur des achats et de la logistique du ClubMed
Entré au ClubMed en 2001, David Lapitz est directeur des achats et de la logistique depuis janvier 2018. Il encadre aujourd'hui une équipe de 60 personnes. "Nous venons de lancer une nouvelle organisation qui conserve des acheteurs géographiques tout en renforçant le rôle des acheteurs catégorie experts, explique-t-il. Les acheteurs géographiques sont proches des marchés pour en avoir une parfaite compréhension - anticipation, réaction aux tendances du marché, sourcing local et gestion de la supply chain - et les acheteurs catégorie Europe ont désormais un rôle mondial dans la coordination des bestpratices de leur famille d'achats, pour renforcer la tranversalité." Le sourcing est au coeur de la mission de cette équipe réorganisée. "C'est l'une de mes priorités stratégiques pour accélérer la création de valeur", souligne David Lapitz. Pour que les acheteurs puissent davantage se consacrer au sourcing, sa première action a été de communiquer une procédure d'achats fixant un seuil minimal pour leur intervention. "Le sourcing a deux objectifs, poursuit-il. Challenger les panels fournisseurs existants - il y a une dimension économique derrière cela - et aller chercher de l'innovation, ou au moins des éléments de différenciation pour notre offre."
Sourcing à l'international
Concernant le premier objectif, le directeur des achats et de la logistique invite à la prudence : "Il faut prendre en compte les délais d'acheminement, les contraintes douanières, le coût du changement de fournisseur, les risques qualité, les sujets de RSE et de respect des normes. Une approche globale est nécessaire pour un bon achat." Par ailleurs, il précise que "pour aller frapper à la porte d'un manufacturier à l'international, il faut avoir du volume afin de faire des économies d'échelle et d'intéresser l'industriel." à propos du second objectif, l'innovation, David Lapitz a une approche différente : "Il est intéressant d'être alimenté par ce qui se passe sur certains marchés. La Chine est par exemple un véritable laboratoire en matière d'évolutions technologiques et de nouvelles offres. Le Brésil est très moteur sur les questions environnementales." Pour renforcer cet axe prioritaire, des outils simples rassemblent les énergies et favorisent le partage au sein de l'équipe : un document définissant le périmètre des priorités de sourcing, un groupe Facebook pour poster et commenter les idées sourcées et un planning des principaux salons internationaux. "Au-delà de cet écosystème, il faut sensibiliser, animer en permanence et donner envie de consacrer du temps à cette activité", témoigne David Lapitz.