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"Le risk management ne peut plus être le parent pauvre des politiques achats"

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
'Le risk management ne peut plus être le parent pauvre des politiques achats'
© ©lenzendorfmarcus - stock.adobe.com

Comment les achats peuvent-il anticiper la relance? Quels enseignements tirer de cette crise? Quelle stratégie achats pour demain? L'avis de Laurent Giordani, associé du cabinet de conseil en management Kyu Associés, responsable de l'expertise Risk Management.

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Quelles doivent être, selon vous, les points de vigilance prioritaires des services achats en cette période compliquée ?

Avant tout, il s'agit de ne pas s'éparpiller dans ce contexte particulièrement dense. Le premier point de vigilance, c'est l'évolution des besoins. A charge pour les achats d'être bien connectés aux donneurs d'ordre internes pour transmettre le bon signal aux fournisseurs.

Le deuxième point de vigilance est bien entendu l'évaluation des impacts sur les capacités. C'est plus que jamais le moment de suivre et mettre à jour son rating de risque fournisseur, à la fois sur les aspects opérationnels - production, approvisionnements, stocks, distribution - et santé financière. Cela passe par une connexion étroite et suivie avec ses partenaires clé, qui doivent eux-mêmes conduire la même démarche.

Enfin, le troisième point de vigilance est la capacité des fournisseurs à organiser la continuité et la reprise d'activité. Dans un baromètre des Risques Supply Chain que nous avons réalisé en décembre dernier, seuls 40% des répondants affirmaient disposer d'un Plan de Continuité d'Activité opérationnel. Au-delà de l'ampleur inédite et imprévisible de cette pandémie, cela montre le manque de préparation des entreprises en général à gérer des crises majeures et réagir efficacement.

Comment peuvent-ils aider à pérenniser l'activité économique de l'entreprise ? Doivent-ils rompre les contrats en cours si les produits ne sont pas de prioritaires pour eux ?

Il n'y a pas de réponse générale, c'est vraiment du cas par cas à l'échelle de l'entreprise voire même du fournisseur. Mais pour ne pas affecter encore plus la capacité de reprise, mieux vaut éviter au maximum les annulations pour ne pas aggraver la santé financière des fournisseurs fragiles. Dans la mesure du possible, il faut plutôt privilégier des décalages de planning.

Comment identifier rapidement les fournisseurs stratégiques en difficulté et quelles mesures mettre en oeuvre pour les préserver ?

Il n'y a pas de recette miracle. Malgré le confinement, c'est le moment d'être hyper connectés avec ses partenaires. Une cellule de crise doit être activée pour aligner les projections et suivre un plan d'actions commun. Il s'agit aussi d'amener ses partenaires clés à déployer ce type de dispositif en cascade avec leurs fournisseurs pour essayer de couvrir l'ensemble de la chaîne.

Attention toutefois au terme stratégique. Il ne concerne pas que le top 10 des fournisseurs en termes de chiffres d'affaires, mais bien les fournisseurs dont la capacité est incontournable. Hyundai a par exemple été contraint, fin février, d'arrêter la plus grosse usine d'assemblage du monde pour une rupture de composants de câblage de faible valeur.

Les plus fragiles auront avant tout besoin de soutien financier, via des commandes ou une réduction des délais de paiement. Système U a par exemple décidé de payer comptant les PME fournissant des produits locaux. Autre type de support : la capacité d'analyse. Comme nous le disions précédemment, beaucoup d'entreprises ne sont pas préparées à la gestion de crise. Un support méthodologique et des capacités d'analyse peuvent leur permettre de prendre les bonnes décisions et maintenir la tête hors de l'eau.

Est-il possible d'identifier de nouveaux fournisseurs afin de limiter la pénurie des approvisionnements ?

Là encore, il n'y a pas de réponse générique. Entre qualifier une nouvelle source de principe actif dans l'industrie pharmaceutique ou trouver un nouveau façonnier pour une enseigne de mode, ce ne sont clairement pas les mêmes implications. Reste à savoir s'il est plus pertinent de chercher à trouver un nouveau fournisseur ou de se consacrer à accompagner la reprise du panel existant. Comme la crise est à présent mondiale, peu de fournisseurs vont échapper aux perturbations...

Plus qu'une logique de pallier les ruptures, le sourcing doit servir à mieux équilibrer le potentiel de risque face aux futurs développements de la crise. Si, par exemple, 90% de la capacité est répartie entre l'Inde et le Bangladesh, il est plus qu'urgent de trouver des sources alternatives !

Comment les achats peuvent-ils anticiper la relance ? Est-il possible de préempter des stocks ?

Oui, c'est possible et c'est même indispensable dans un certain nombre de cas. Qu'il s'agisse de composants clé type électronique ou d'équipements de protection, les achats doivent anticiper les pénuries pour être les premiers servis. Les fluctuations des cours sur les matières premières sont aussi à surveiller pour prendre les bonnes options.

Au-delà des stocks, il faut aussi négocier des réservations de capacité industrielles et logistiques. Et concernant les masques de protection, cela peut même aller jusqu'à développer de nouvelles capacités, vu la concurrence à l'achat actuelle et à venir.

Quels sont, selon vous, les premiers enseignements à en tirer pour établir les futures politiques achats ?

L'enseignement majeur est que le Risk Management ne peut plus être le parent pauvre des politiques achats face aux enjeux de compétitivité. La résilience doit nécessairement être revalorisée dans les choix de sourcing et de schémas industriels.

La présence d'un dispositif de Risk Management chez le fournisseur n'est plus suffisante, il faut mesurer sa qualité et en faire une partie prenante des critères de mieux disance.

Quels seront, demain, les grands axes de réflexion à privilégier en termes d'achats ?

Il est encore tôt pour le dire. Mais a minima, les achats devront répondre aux trois enjeux mis en évidence par cette crise : la maîtrise, l'agilité et la résilience.

Après cette crise, il ne sera plus acceptable de ne pas avoir de visibilité sur ses fournisseurs au-delà du rang 1. Nombreux sont ceux qui sont encore dans ce cas et qui auront perdu un temps précieux et connu de mauvaises surprises.

Il faudra également se donner les moyens d'être plus agiles. L'équilibrage des capacités, et donc des risques, devra être mieux balancé face à la massification à outrance.

Le dernier axe de réflexion porte sur la continuité d'activité. Développer un dispositif opérationnel de continuité d'activité va devenir un pré-requis. Mais pour que le dispositif assure le bon niveau de résilience à un coût acceptable, il faut aussi le penser de manière globale entre les donneurs d'ordre et leurs partenaires stratégiques. Cela pourrait être une évolution majeure dans la manière de penser et d'organiser sa relation fournisseur.

Pensez-vous qu'il va y avoir une vague massive de relocalisation, de priorité aux achats locaux ?

Massive, certainement pas. Ce pourra être le cas pour certaines productions stratégiques s'il y a une impulsion politique forte pour privilégier l'indépendance vis-à-vis de la Chine à la rentabilité économique. Pour le reste, la compétitivité restera nécessairement un facteur clé qui ne permettra pas de rebasculer totalement vers des achats locaux. Dans un certain nombre de secteurs les savoir-faire ne sont également plus là et sont monopolisés par l'Asie.

En revanche, il est souhaitable de ré-équilibrer ses schémas industriels pour répondre aux enjeux de maîtrise, d'agilité et de résilience. Une intégration plus forte des savoir-faire et la production en zone pour zone sont clairement des réponses à ces enjeux et doivent être intégrées dans les stratégies achats.

 
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