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"L'objectif est de relocaliser 70% de mon portefeuille achats en Europe"

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
'L'objectif est de relocaliser 70% de mon portefeuille achats en Europe'
© © Marc BERTRAND

Pour la Monnaie de Paris, les achats de métaux sont évidemment plus que stratégiques. C'est le coeur du réacteur. Et dans ce monde à part, où les fournisseurs sont rares sur le marché, Max Rossigneux se doit de cultiver des relations partenariales très privilégiées, avec eux. Rencontre.

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L'achat de métaux constitue, j'imagine, le poste achats le plus important de la Monnaie de Paris ?

La direction des achats de la Monnaie de Paris possède un portefeuille extrêmement diversifié, mais le plus gros de nos dépenses se concentre effectivement sur l'achat du métal destiné à produire les monnaies courantes. Pour la France, mais aussi pour des pays étrangers. Il faut savoir que l'émission de monnaie nationale a diminué. Lorsque je suis arrivé, nous fabriquions 1,5 milliard de pièces pour la France et, en 2022, nous n'en concevons plus que 500 millions pour l'État. Pour maintenir la production, nous travaillons pour l'export, vers Asie, l'Afrique, le Moyen-Orient...

Les monnaies sont frappées dans notre site de Pessac où nous possédons un important centre de gravure. À Paris, au sein du site de la Monnaie de Paris, nous abritons un atelier de gravure qui s'occupe des pièces en or et en argent, des décorations et des médailles. Nous émettons aussi des monnaies de collection pour la France et l'export. Nous travaillons également avec des revendeurs dans différents pays.

Pour la Monnaie de Paris, le développement des activités internationales constitue un axe stratégique fort. Comment les achats collaborent-ils avec la direction export ?

Le développement de nos activités internationales repose sur un intense travail en commun avec notre direction export. Nous anticipons les opportunités très en amont pour asseoir notre sourcing sur une qualité irréprochable pour nos clients. Au quotidien, l'équipe achats fait preuve d'une grande complicité avec nos équipes commerciales, quels que soient le jour ou l'heure, compte tenu des décalages horaires !

Quelles quantités de métaux achetez-vous chaque année ? Et sous quelle forme ?

Nous achetons 10 000 tonnes de métal par an, selon les années et les projets. Nous acquérons aussi beaucoup de cuivre (des alliages de cuivre, en réalité, pour concevoir les pièces de 10, 20, 50 centimes et de 1 et 2 euros), soit quelque 2 500 tonnes par an. Vous imaginez bien que je suis les cours avec beaucoup d'attention, tous les jours. Nous achetons pour 60 millions de matières premières par an, voire pour 80 millions, selon les années. C'est le nerf de la guerre. Lorsque nous nous procurons les matières premières, elles sont déjà transformées. Les pièces arrivent en rondelles et sont frappées dans nos ateliers. Les pièces de 1, 2 et 5 centimes sont découpées chez nous, dans des bobines d'acier. La découpe et la frappe sont effectuées soit à la Monnaie de Paris, soit chez nos fournisseurs étrangers. Ce qui est galvanique (revêtements cuivre, laiton, bronze, argent pour les rondelles en acier) est géré en sous-traitance. Nous avons réinternalisé une partie de cette activité à Pessac, il y a deux ans.

Lorsque je suis entrée à la Monnaie de Paris, il existait 18 fournisseurs au niveau mondial. Aujourd'hui, il en reste sept dans le monde qui peuvent fabriquer nos produits.

Les relations avec les fournisseurs sont donc particulièrement importantes...

Ce sont des relations partenariales extrêmement fortes, mais aussi politiques, dans un monde très courtois duquel l'excès est banni. C'est une relation de partage. Si nous ne respectons pas ces règles, nous perdons nos fournisseurs. Je dois composer avec eux et cultiver des liens privilégiés pour qu'ils nous accompagnent dans le développement à l'international. Ceci nécessite une omniprésence de ma part sur le terrain. Je suis rarement au bureau, je suis la plupart du temps en voyage et chez les industriels. J'ai des fournisseurs dans le monde entier.

Vos approvisionnements ont-ils été impactés par la crise ?

Par intuition, et avant le premier confinement, j'ai demandé aux industriels de charger tous les bateaux et de nous envoyer les marchandises dont nous avions besoin. Nous avons eu une période très délicate de stockage des matières premières dans les ports, mais si ces bateaux n'étaient pas partis, la production de la Monnaie de Paris aurait été en danger.

Pourquoi les pièces sont-elles forcément en acier ? N'est-il pas envisageable de les produire différemment ?

Elles ne sont pas forcément toutes en acier, hors Europe, du moins. Dans certains pays, elles sont en laiton. Nous faisons aussi beaucoup d'inox, qui permet de réduire le budget.

L'impression 3D sera-t-elle une concurrente un jour ?

C'est un partenaire de notre métier, mais il n'est pas envisageable de produire des pièces grâce à l'impression 3D qui est plus attaquable. Le métal est plus difficile à travailler, mais bien plus sécuritaire.

Lire la suite en page 2 : La relocalisation fait-elle partie intégrante de vos axes de travail ? / De quels leviers de négociation, d'optimisation, disposez-vous, puisque le plus gros de vos achats porte sur les métaux, dont le prix n'est pas négociable ? / Comment les achats contribuent-ils à la lutte contre la contrefaçon ?... et autres sujets


La Monnaie de Paris, quai de Conti, a fait l'objet d'une très vaste restauration. Comment les achats ont-ils travaillé sur ce projet d'envergure ?

Notre établissement principal et siège social est un site classé qui dépend des monuments nationaux. Ce site était jusqu'alors complètement fermé au public et, depuis fin 2007, après sept années de travaux de réhabilitation, ce lieu emblématique, face au Pont-Neuf, a été ouvert au public avec un musée qui se pose comme un modèle dans l'univers numismatique et monétaire ! Les cours intérieures de la Monnaie de Paris sont maintenant des lieux prisés par les grandes marques du luxe qui y organisent défilés de mode, lancements de collections et événements à fort impact culturel.

N'oublions pas aussi que le meilleur restaurant au monde s'est installé dans nos murs pour renforcer les traditions culturelles et culinaires de notre grand pays

L'équipe achats a été intégrée à 100 % depuis l'origine du projet de réhabilitation du site. Le top départ a été un concours pour choisir un architecte, en 2009. C'est AAPP-Atelier d'architecture Philippe Prost qui a finalement été sélectionné.

Ensuite, une phase d'avant-projet de plusieurs mois a permis de rédiger le cahier des charges techniques, base de l'appel d'offres publié pour retenir les entreprises qui ont réalisé ce chantier. Ce fut un travail de longue haleine, car nous sommes un monument classé et nous avons dû valider notre projet avec les architectes des monuments nationaux, avant de lancer les travaux.

Notre statut de bâtiment classé nous oblige, pour certains ouvrages, à travailler avec des entreprises ayant des qualifications monuments historiques (pour protéger les parquets, les fenêtres, les portes du monument). Les corps de métier naturellement utilisés pour nos bâtiments classés sont les menuisiers ébénistes, les tailleurs de pierre, les couvreurs...

Notre acheteur en titre de ce périmètre possède une connaissance aiguë du monde des travaux et, compte tenu, de l'ampleur de ce projet, il a été confronté à des situations nouvelles liées à la découverte de plomb et à la gestion de ce risque. De plus, pendant sept ans, l'équipe achats a été monopolisée sur ce projet d'entreprise pour répondre de façon permanente aux imprévus et aux situations critiques qu'il fallait débloquer.

Cette aventure donne lieu à une réalisation exceptionnelle qui repose sur l'alliance de l'architecture contemporaine avec un bâtiment du XVIIIe siècle. Le public le découvre au quotidien avec plaisir.

Pensez-vous que la fonction achats tirera profit de la crise sanitaire actuelle ?

Culturellement, les achats sont en train de prendre une place croissante dans les entreprises publiques.

La Monnaie de Paris dépend de l'État français. Quel rôle joue-t-il ?

La Monnaie de Paris est un établissement public, un Épic qui dépend de l'Agence des participations de l'État, et en situation de monopole. Toute décision la concernant est prise avec le Trésor, la Banque de France et Bercy. Tous les arrêtés monétaires, hors CE, sont signés par Bercy. La commande est effectuée annuellement par l'État.

Le Code des marchés publics... allié ou adversaire ?

Cet outil engendre de vraies difficultés. Il est difficile à manoeuvrer pour assurer un niveau de compétitivité au moins égal à celui du privé, qui a plus d'ouvertures que nous. Un peu de souplesse ne nuirait pas. J'ai beaucoup travaillé pour faire du Code un outil qui soit acceptable dans un univers concurrentiel. Nous avons, notamment, mis en place une politique d'accords-cadres qui nous donne la possibilité de référencer les fournisseurs et d'utiliser ce panel pour mise en concurrence électronique sur des délais extrêmement courts, de huit à quinze jours, pour être en mesure de répondre aux attentes des clients que nous avons en face de nous. ?

Bio express

Max Rossigneux, directeur achats, membre du comité exécutif, a rejoint la Monnaie de Paris en 2008 pour créer et mettre en place la direction des achats au sein de cette institution. Aujourd'hui, cette direction est opérationnelle en mode transversal sur l'ensemble de l'entreprise et contribue de façon active au déploiement du plan stratégique très fortement orienté sur la prise de parts de marchés à l'international. Max Rossigneux commence sa carrière, en 2001, dans la distribution, au sein du Groupe Galeries Lafayette, dans les secteurs maison, arts de la table et linge de maison. Après dix années dans cet univers, il rejoint le secteur de l'industrie comme directeur marketing et sourcing international pour le groupe Guy Degrenne. Après cette étape, et avant de rejoindre la Monnaie de Paris, il occupe pendant 10 ans, le poste de directeur marketing et communication du Groupe Samas (mobilier de bureau), puis celui de directeur des achats France pour opérer la fusion des cinq sociétés françaises (Roneo, Sansen, BRM, Samas France et Samas entreprises).

Fiche entreprise - Monnaie de Paris

Activité: Fabrication de monnaies et de médailles

CA: 135 millions d'euros en 2019

Nombre de salariés: 490 personnes

Budget achats: de l'ordre de 90 millions d'euros

Équipe achats: cinq acheteurs

La relocalisation fait-elle partie intégrante de vos axes de travail ?

La relocalisation est le premier levier de notre stratégie achats. J'ai initié le mouvement il y a environ trois ans. Il faut raisonner Europe pour y relocaliser un maximum d'activités. L'objectif est de relocaliser une part importante de notre portefeuille achats en Europe d'ici à trois ans. La Covid ne fait que renforcer notre volonté de revenir à plus de proximité pour gagner en flexibilité, en délais et en termes de développement industriel. Il est plus facile de travailler en proximité : nombre de problématiques disparaissent de fait.

Nous avons accompli un très gros travail sur le packaging. Toutes nos pièces de collection, médailles, bijoux, objets d'art et tous les produits de mass market (nous développons des produits en licence) sont présentés dans des packagings. Jusqu'à récemment, ils étaient élaborés dans des pays low cost, mais il y a deux ans, nous avons rapatrié une partie de la production de packaging en France. Nous avons prospecté les fournisseurs français, qui sont essentiellement d'importants imprimeurs travaillant dans le monde du luxe et des cosmétiques.

Nous avons tout intérêt à relocaliser pour assurer des approvisionnements de proximité et travailler main dans la main avec nos industriels pour remettre la machine en route dans nos pays. Je veux, avant de quitter ce métier, faire en sorte qu'un maximum de choses repasse dans la main des Européens, en favorisant la France autant que possible. Et je crois que, pour nous tous, la Covid a constitué un élément clé dans le changement des attitudes.

Comment avez-vous organisé votre équipe achats ?

La direction des achats de la Monnaie de Paris c'est, avant tout, une équipe aguerrie au service des prescripteurs internes. Nos cinq acheteurs sont respectivement des professionnels de chaque domaine de compétence : matières premières, packaging marketing et communication, frais généraux, transport et prestations intellectuelles, travaux et investissements. Ils sillonnent le monde à la recherche de nouveaux fournisseurs, d'innovations et de partenariats pour accompagner le développement de la Monnaie de Paris.

De quels leviers de négociation, d'optimisation, disposez-vous, puisque le plus gros de vos achats porte sur les métaux, dont le prix n'est pas négociable ?

Concernant les métaux, le prix est effectivement le même dans le monde entier. La négociation ne porte pas sur les matières premières, mais sur le taux de commissionnement du trader, puis sur les coûts de transformation et de logistique. C'est sur cela que se fait la différence avec la concurrence. La relation partenariale patiemment entretenue avec les fournisseurs reste essentielle.

Comment gérez-vous les risques RSE liés au marché des métaux ? L'extraction, dans certains pays, est réputée peu éthique, voire catastrophique pour l'environnement...

Nous sommes certifiés ISO 14001. Nous ne pouvons pas travailler avec n'importe qui. Tous nos fournisseurs sont audités : ils doivent respecter les normes internationales.

Quels sont les axes de travail privilégiés par votre politique achats responsables ?

Nous travaillons beaucoup sur ces thèmes, mais je n'avais jusqu'alors pas formalisé de politique achats écoresponsable. À la demande du président, nous avons entrepris ce travail. Nous avons identifié trois leviers. La relocalisation des achats, dont nous avons parlé, en France et en Europe. Le deuxième levier est de favoriser tout ce qui est recyclable. Et le troisième levier consiste à modifier la structure d'approvisionnement au niveau du transport pour abaisser notre empreinte carbone.

Challengé par le marketing, nous développons aussi une activité de négoce d'or issu de petites mines écoresponsables, l'or "fair mined". C'est de l'or pur. Il est suivi et tracé jusqu'à la moindre poussière. Nous l'achetons et le revendons en bijoux ou en pièces pour des collections particulières. Mais il est beaucoup plus rare et plus cher de 30 %. Il faut un public pour cela... Mais les gens y viennent progressivement. Je crois que les consommateurs achètent moins, mais mieux.

Qu'achetez-vous qui doit être recyclable ? Êtes-vous engagés sur l'économie circulaire ?

Toutes les matières que nous achetons pour nos packagings sont recyclables, mais nous ne pouvons pas utiliser de produits recyclés qui peuvent déclencher des réactions avec les métaux qu'ils emballent. Pour les cartelettes, par exemple, je ne peux pas utiliser de carton recyclé, car celui-ci peut comprendre du noir et, dans le noir, il y a un composant qui provoque l'oxydation de nos pièces et médailles.

Notre objectif est de réduire l'utilisation du plastique pour quasiment le supprimer et le peu qui restera devra être normé et recyclable

Comment allez-vous modifier le transport de vos marchandises ?

L'objectif est de faire évoluer nos flux sur des modèles plus raisonnés. Nous utilisons le transport aérien, routier et fuvial, mais pas encore le train. Nous allons développer ce mode de transport et augmenter le fret maritime, pour réduire le transport routier. En parallèle, nous souhaitons limiter au maximum le recours à l'avion, mais nous ne pourrons jamais totalement le supprimer.

Comment les achats contribuent-ils à la lutte contre la contrefaçon ?

Le centre d'étude sur la contrefaçon est situé à Pessac. Une équipe analyse toutes les pièces qui reviennent pour lancer des processus d'enquête internationale. Nous travaillons, nous, achats, sur les spécificités produits de nos clients. Et ce, dans le plus grand secret. Tous les documents transmis sont codés. Pour trouver des innovations, nous sommes en veille permanente. J'assiste à tous les salons professionnels, notamment de l'aéronautique ou du secteur militaire, de la bijouterie et de l'horlogerie qui ont des problématiques similaires aux nôtres. J'y découvre des innovations et rencontre des sous-traitants qui peuvent nous apporter des solutions intéressantes. Je mène aussi une veille concurrentielle. J'observe mes concurrents et je participe au salon international de la numismatique et du monétaire (Berlin).

Chacun essaie de préserver ses secrets de fabrication pour ne pas donner sa part aux autres. Malgré cela, nous échangeons aussi beaucoup entre concurrents lorsque nous nous retrouvons dans les congrès. C'est un univers très fermé. Il n'existe que 120 établissements monétaires dans le monde.

Lire la suite en page 3 : La Monnaie de Paris, quai de Conti, a fait l'objet d'une très vaste restauration. Comment les achats ont-ils travaillé sur ce projet d'envergure ? / Le Code des marchés publics... allié ou adversaire ? ... et autres sujets

 
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