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"Acheter moins cher, mais jamais au détriment des droits humains et environnementaux"

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
'Acheter moins cher, mais jamais au détriment des droits humains et environnementaux'
© © Marc BERTRAND

Arrivée il y a six ans à la direction des achats groupe, Isabelle Quettier a transformé l'organisation achats afin de renforcer l'impact de la filière, mais aussi mené de nombreux projets transverses pour augmenter la performance achats et la couverture des dépenses, comme la mutualisation de la gestion des catégories d'achats indirectes ou la mise en place du catégory management au niveau du groupe.

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Quel fut le premier défi que vous avez eu à relever à votre arrivée chez Suez ?

L'un des premiers enjeux, à mon arrivée il y a six ans à ce poste, a été de structurer et de renforcer les organisations achats au sein de chacune des dizaines de business units que le Groupe Suez comprend. En 2012, il n'y avait pas de direction achats groupe à proprement parler car Suez était encore une branche de GDF Suez. Ma mission était alors double : créer une direction achats groupe et définir ses missions ainsi que sa valeur ajoutée. Il s'agissait aussi d'impliquer les achats de notre filiale spécialisée dans le recyclage et la valorisation des déchets, branche qui avait une organisation achats limitée à cette époque. En amont, nous avons mené un diagnostic de l'activité recyclage, identifié les leviers et mis en place un plan de formation des fonctions achats avec un projet clair, définissant la gouvernance achats, l'organisation, le category management, les outils et les processus.

Nous avons réalisé une cartographie des compétences au sein de la filière et défini les rôles de chacun. Ce projet a été mené sur 18 mois, entre 2013 et 2014, avec les directions achats des différentes BU, chacun prenant en charge un des lots du projet.,

Quel est votre spend et comment est organisée votre équipe ?

Les dépenses externes traitées par les achats de Suez représentent 7.4 milliards d'euros. L'équipe est constituée de 500 acheteurs au niveau mondial et de 40 acheteurs au niveau central. Notre organisation achats repose sur des category managers groupe et des directions achats par BU. Nous avons bâti un maillage entre ces category managers groupe et les category leaders qui sont dans les BU pour mettre en place les stratégies. À l'occasion du prochain Comex achat, nous allons lancer le plan moyen terme annuel sur la performance attendue l'année prochaine et les plans d'actions croisées entre les BU et les category managers. En incluant GE Water qui sera consolidée à la fin de cette année, nous collectons 95 % des dépenses du groupe grâce à notre outil de pilotage directement connecté aux différents ERP des BU.

Nous sommes aujourd'hui engagés dans un plan de transformation du groupe pour les 18 prochains mois. Afin d'améliorer la performance globale et la création de valeur de la fonction, nous privilégions le renforcement et la mutualisation des ressources par zones géographiques correspondant à des marchés fournisseurs cohérents. Cela va nous permettre de renforcer le positionnement des acheteurs à un niveau plus stratégique, leur donner une meilleure connaissance du marché fournisseurs pour identifier des innovations à valeur ajoutée et garantir une performance durable.

Comment objectivez-vous vos acheteurs ? Sur quoi porte la variable, si variable il y a ?

Les acheteurs ont effectivement une part variable basée sur des objectifs définis par leurs managers et qui reposent sur des critères qualitatifs et quantitatifs. Ces objectifs découlent des objectifs achat groupe que sont la performance durable, l'innovation, la digitalisation et la coopération. Les managers les déclinent auprès de leurs équipes en tenant compte de la réalité du terrain .

Quelles sont, pour vous, les familles d'achats les plus importantes ?

L'énergie (électricité et gasoil), les travaux réseaux, l'IT, l'IoT, la flotte de véhicules, l'intérim, le facility management, la chimie, les équipements d'usine (pompes, instrumentation, etc.). Compte-tenu de la diversité de nos métiers, nous sommes sur un nombre de familles d'achats extrêmement vaste, et pour arriver à un taux de couverture important, il faut adresser beaucoup de familles. Notre objectif est d'atteindre une couverture achats de 75 %. Pour l'améliorer de manière qualitative, il nous faut renforcer le category management groupe et les catégories leaders régionaux afin d'obtenir des réponses adaptées par géographie. Même lorsque l'on fait, par exemple, un contrat global groupe avec nos acteurs majeurs, cela suppose de faire des contrats d'application sur une zone géographique et de travailler sur sa mise en oeuvre. Nous envisageons de développer de nouvelles catégories liées à l'acquisition de GE Water, notamment dans la logistique et le transport, et de renforcer la chimie.

Lire la suite en page 2: Comment définiriez-vous le rôle des achats en interne ? - Comment les achats sont-ils perçus en interne, par les métiers et les autres directions fonctionnelles? - Quelle a été la contribution des achats lors de l'acquisition de GE Water ? - Comment mesurez-vous la performance achats et comment la valorisez-vous en interne ?


Comment définiriez-vous le rôle des achats en interne ?

Le service achats agit comme un business partner. Le category management et la dimension innovation vont jouer un rôle clé dans notre plan de transformation, dont l'objectif est d'avoir 25 % de nos ressources sur un positionnement dit stratégique pour bien intégrer l'innovation à la stratégie achats. Pour assurer une mise en oeuvre optimale, nous faisons appel à des acheteurs ayant une bonne connaissance de leur marché et de son évolution afin d'être à même d'apporter les meilleures solutions pour nos offres.

Par ailleurs, compte tenu du nombre de sites Suez (plus de 9 000 sites rien qu'en France), la communication et le pilotage local sont un enjeu majeur. L'objectif est de mettre à disposition des opérationnels des outils simples pour traiter aisément leurs demandes.

Comment les achats sont-ils perçus en interne, par les métiers et les autres directions fonctionnelles ?

Nous avons fait monter en compétence la fonction et les métiers le perçoivent. Nous sommes aujourd'hui victimes de notre succès, la demande est très forte et ce très en amont des projets. Notre organisation est globale et locale, la coopération entre les différentes organisations est un levier important de création de valeur.

Quelle a été la contribution des achats lors de l'acquisition de GE Water ?

2017 a été marquée par l'acquisition de GE Water, filiale eau de General Electric. La direction achats a été très impliquée dès la naissance du projet pour identifier des leviers de synergie achats et assurer la continuité opérationelle lors du transfert. Pour l'essentiel, ces synergies reposent sur les achats indirects sur chacune des zones géographiques (achats généraux, IT, etc.), sur les achats de chimie et les achats en équipements (pompes, électricité, etc.). Nous avons balayé tout le portefeuille pour identifier les leviers et sécuriser le business plan de cette acquisition. Au moment du transfert, l'enjeu était de mettre en place les leaders par levier à même d'aller chercher ces synergies et de piloter le plan convergence outils et processus. Aujourd'hui, nous assurons un pilotage mensuel de l'avancement de ce projet .

Comment mesurez-vous la performance achats et comment la valorisez-vous en interne ?

Nous avons mis en place, avec la direction financière du groupe, une méthodologie de calcul de la performance achat. La performance achat du groupe est revue trimestriellement par le comité de direction. Les économies achats sont validées par les directions financières des BU. Cette méthodologie permet de distinguer la performance ayant un impact EBITDA (Opex récurrent) des autres économies (comme l'investissement et l'évitement de coût). Outre l'atteinte des objectifs de performance financière, les actions de performance opérationnelle, notamment en termes de TCO ou d'innovation, sont mises en évidence dans notre communication interne. Enfin, la performance extra-financière que nous portons au travers des composants achats/supply chain des ratings des agences de notation est un facteur clé pour le groupe et suivi annuellement.

Comment les achats contribuent-ils à mettre en oeuvre la "feuille de route 2017-2021 pour le développement durable" adoptée par Suez?

La feuille de route Développement Durable a été conçue comme un outil de pilotage de la stratégie du groupe. Nous travaillons avec l'équipe du développement durable pour atteindre l'ambition du groupe : s'assurer d'une supply chain responsable au bénéfice d'une performance durable. Sur les aspects droits humains, nous sommes notamment très attentifs au pan "recours à la sous-traitance", surtout sur la zone Moyen-Orient, nous évaluons sur le terrain nos fournisseurs pour s'assurer qu'ils respectent les normes et répondent aux attendus. Nos propres clients sont très vigilants : nous recevons régulièrement des questionnaires sur la maîtrise de notre supply chain. Nous visons évidemment à acheter moins cher, mais jamais au détriment des droits humains et environnementaux. Suez va même plus loin en intégrant l'impact social et environnemental dans l'évaluation des offres des fournisseurs. Nous pouvons prendre comme exemple l'objectif de réduction de notre empreinte carbone. Pour notre flotte de camions, nous travaillons notamment sur des solutions de véhicules électriques et hybrides ou sur des véhicules à moindre consommation. Sur notre flotte de véhicules légers, nous privilégions les petites motorisations performantes.

Lire la suite en page 3 : Êtes-vous compliant aujourd'hui avec la Loi Sapin II ? - Quelles mesures avez-vous mises en place aux achats pour vous en assurer ? - La feuille de route prévoit aussi d'agir en faveur du développement de votre écosystème . Comment les achats y oeuvrent-ils ?- Qu'est-ce qu'un fournisseur stratégique pour Suez ?


Êtes-vous compliant aujourd'hui avec la Loi Sapin II ? Quelles mesures avez-vous mises en place aux achats pour vous en assurer ?

Nous y travaillons ! La loi Sapin II comme celle sur le Devoir de Vigilance et la loi PACTE ont pour points communs de renforcer la transparence et positionnent les enjeux sociaux et environnementaux au centre des relations client-fournisseurs. Pour y répondre, nous avons cartographié nos risques achats et supply chain en lien avec nos activités et nos opérations dans le monde selon les risques de droits humains, environnementaux, santé, sécurité et de corruption. L'objectif étant de renforcer nos exigences avec pertinence, ainsi, nous définissons les processus de qualification et d'évaluation fournisseurs, les visites ou audits, les contrôles de sanctions de l'entreprise ou de ses actionnaires.

La feuille de route prévoit aussi d'agir en faveur du développement de votre écosystème . Comment les achats y oeuvrent-ils ?

En effet, Nous sommes très attentifs à l'impact socio-économique de notre activité qui repose sur un ancrage territorial très fort. Notre panel, composé de 125 000 fournisseurs, en témoigne ! Le groupe ne compte que 22 fournisseurs groupe dits stratégiques. Nos organisations achats régionales en lien avec les processus et méthodes groupe doivent bien connaître leur marché local, maîtriser le panel fournisseur et développer les réseaux d'entreprises locales le cas échéant. Nos achats, réalisés auprès de nos fournisseurs, ont un impact sur le tissu économique local que nous mesurons afin de piloter nos engagements. Le rapport intégré du groupe met ainsi en évidence l'impact socio-économique de notre supply chain par territoire.

Qu'est-ce qu'un fournisseur stratégique pour Suez ?

Un fournisseur stratégique est un fournisseur avec lequel Suez développe une relation de business partner. Les relations commerciales sont mutuellement bénéfiques et permettent de développer l'innovation, la co-construction et la croissance des activités de l'un et de l'autre. Ainsi, nous partageons nos visions et feuille de route stratégique au plus haut niveau de direction des deux sociétés. Pour cela, la convergence d'intérêts est fondamentale. C'est une relation partenariale dans laquelle chaque partie fait preuve de loyauté.

Pouvez-vous nous donner un exemple de co-construction menée avec un fournisseur ?

Nous avons travaillé avec l'un deux sur un capteur de qualité de l'eau. Il avait fait des essais exploratoires. Le category manager a découvert ce projet au grès d'une visite. Nous avons alors commencé à le développer ensemble, avec les équipes du centre de recherche. Nous avons mis à leur disposition notre connaissance des métiers de l'eau et les infrastructures pour tester le système. Aujourd'hui, ce procédé est en cours d'industrialisation et de déploiement. Le fournisseur reste propriétaire de son invention. Dans ce type de cas, la discussion peut porter sur un avantage concurrentiel que nous demandons à garder pour un certain temps et/ou sur une rétribution future de ce co-développement, sur la base des équipements qui seront vendus plus tard, mais on ne demande pas d'exclusivité. On achète trop peu d'équipements pour la demander. L'intérêt, pour nous, est qu'il soit vendu. Plus il est vendu, plus les réductions de coûts seront importantes. Nous apportons notre compétence à qualifier un produit dans son déploiement opérationnel. Pour nos partenaires, avoir le label "qualifié par Suez " a une grande valeur dans nos métiers.

Suez collecte et traite les déchets. Mais il lui faut aussi revendre les matériaux issus du recyclage. Comment accompagnez-vous cette activité ?

Nous avons effectivement des activités de négoce puisque nous sommes producteurs de matière secondaire et qu'il nous faut revendre des matériaux pour notre compte ou pour celui de nos clients. Sur les appels d'offres, nous avons une obligation de résultats en termes de portion de recyclage extrait et nous sommes soumis à des pénalités si nous ne parvenons pas à la délivrer. La demande en plastique recyclé reste encore marginale, comparé au plastique vierge dont le prix demeure plus compétitif. C'est pourquoi nous avons récemment conclu un partenariat avec LyonDellBasell, un grand industriel de la plasturgie pour développer du plastique recyclé de haute qualité sur de grands volumes : ce qui abaisse le coût de cette matière première secondaire et qu'elle soit plus abordable pour le marché. Pour nos achats de travaux, nous préconisons, quand cela est possible, le réemploi de matériaux excavés - plutôt que d'acheter des matériaux neufs. En interne, nous veillons à recycler tout ce qui peut l'être : acier, plastique, aluminium.

Votre plan de transformation comprend-t-il le sujet, très actuel, de la digitalisation ?

La digitalisation est effectivement un levier de performance et de différenciation, notamment sur la partie transactionnelle. Aujourd'hui, nous sommes dotés d'un outil de pilotage qui comprend le sourcing, le contract management, les enchères et le spend. Nous déployons le Procure-to-Pay groupe où l'enjeu est d'utiliser les outils digitaux, comme les marketplaces et les bots, afin que nos demandeurs puissent obtenir une réponse très rapide et en adéquation avec leur besoin. Nous passons 2 millions de commandes par an... il faut que l'on parvienne à automatiser un maximum de choses !

Vous faites partie d'un think thank réunissant 19 grands comptes qui planchent sur une "Vision digitale des achats". Que tirez-vous de ces travaux ?

Comme dans tous les secteurs, les enjeux digitaux achats sont très importants et en profonde transformation avec des impacts variés selon les domaines. Ils vont impacter notre métier, nos processus achats/supply chain, nos systèmes d'information ainsi que la stratégie achats de certaines catégories. Partager entre pairs, ces défis et nos expériences permettent d'alimenter notre stratégie digitale dans un secteur très dynamique, qui évolue très rapidement et peut-être même influerons-nous les développements futurs.

Est-ce qu'il faut avoir la fibre écolo pour travailler à la direction achats de Suez ?

Ce n'est pas un prérequis, mais je pense que ceux qui y travaillent l'ont, en effet !

Biographie- Isabelle Quettier est ingénieur diplômée de l'École nationale supérieure d'arts et métiers et possède un MBA de l'Institut d'administration des entreprises. Avant de rejoindre le Groupe Suez en 2012, elle a occupé de nombreuses fonctions au sein de la fonction achats du Groupe Thales, où elle a activement participé pendant 15 ans à la transformation de la fonction.

 
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