DossierLes multiples facettes d'un profil d'acheteur idéal
Comment définir les compétences d'un bon acheteur ? Quelles sont les formes d'apprentissage adéquates ? Telle est l'interrogation à laquelle Isabelle Jehan, du MAI de Bordeaux école de management, apporte des éléments de réponse et des pistes de réflexion.

Sommaire
- Achats : une fonction stratégique
- Fonction achats : trois compétences majeures identifiées
- Le bac+ 5, un prérequis pour devenir acheteur
- 12 préconisations pour les experts et les acheteurs
- Cinq compétences pour les experts achats
- Quatre préconisations destinées aux acheteurs
- Deux préconisations pour les organismes de formation
- Les leviers de la fonction achats
- Pour aller plus loin
1 Achats : une fonction stratégique
Titulaire d'un mastère spécialisé en achats internationaux de Bordeaux école de management (BÉM), Isabelle Jehan travaille au MAI, depuis 1998. Elle y occupe les fonctions de responsable pédagogique. C'est dans ce contexte qu'elle décide de mener un travail de thèse en Sciences de gestion. En novembre 2012, Isabelle Jehan a soutenu avec succès sa thèse sur les compétences idéales de l'acheteur et les environnements les plus propices à leur développement.
Après le passage d'une économie de production à une économie de marché dans les années soixante, les entreprises se sont profondément réorganisées, pour faire face à des contraintes concurrentielles croissantes. La plupart d'entre elles ont recentré leur activité sur un coeur de métier et ont, par conséquent, externalisé tout ce qui ne faisait pas partie de leur domaine de compétences. Lorsque l'on parle d'externalisation, on parle d'achats. Aujourd'hui, on considère que les achats représentent généralement 50 à 90 % du prix de revient d'un produit ou d'un service, en fonction du secteur d'activité de l'entreprise. Le rôle de l'acheteur en est enrichi, de même que les compétences nécessaires à l'exercice du métier. Il doit être capable d'accompagner l'entreprise dans son évolution en ayant une vision globale de son environnement, de plus en plus complexe. La compétitivité de l'entreprise dépend, entre autres, de son professionnalisme et de sa capacité à rechercher des solutions qui fourniront toujours plus de valeur ajoutée aux produits. La volatilité et l'imprévisibilité de l'environnement économique exigent une forte adaptabilité du potentiel humain en entreprise mais aussi une forte réactivité et une grande empathie. Face à ces enjeux, les recruteurs se trouvent le plus souvent dépourvus de méthode et d'outils.
A consulter : Thèse d'Isabelle Jehan " Comment caractériser les compétences du " bon " acheteur et leurs formes d'apprentissage ? "
Avec l'externalisation, les achats représentent entre 50 et 90 % du prix de revient d'un produit ou d'un service. Le rôle de l'acheteur est de plus en plus déterminant dans la compétitivité de l'entreprise.
2 Fonction achats : trois compétences majeures identifiées
En tant que responsable pédagogique d'un mastère spécialisé en achats, Isabelle Jehan est confrontée, lors des sessions de recrutement organisées dans le cadre de cette formation, aux difficultés des entreprises à identifier les compétences de l'acheteur idéal.
" C'est dans ce contexte que je me suis intéressée à leur caractérisation et que j'ai tenté de déterminer les environnements les plus propices à leur développement ", explique-t-elle. Isabelle Jehan et ses collègues chercheurs(1) ont essayé de répondre concrètement aux questions suivantes : Comment caractériser les compétences d'un bon acheteur et leur processus d'apprentissage ? Comment s'assurer de l'adéquation entre la recherche de l'entreprise et le potentiel de l'acheteur ?
Dans ce cadre, la compétence s'entend comme la capacité reconnue pour un individu à mobiliser et combiner des ressources personnelles et externes dans une situation professionnelle donnée, en fonction d'objectifs à atteindre. Il s'agit de la mise en action d'une connaissance.
Trois aspects ont été identifiés : le savoir-faire - les compétences techniques - ; l'aspect comportemental - ou le savoir être - ; et l'aspect métacognitif des compétences, qui peut se définir par la capacité à contrôler son activité cognitive. Cela passe notamment par la faculté à pouvoir penser autrement, à prendre du recul afin de proposer et de développer des solutions nouvelles.
L'aspect technique est aujourd'hui considéré comme allant de soi pour les recruteurs. En revanche, les aspects comportementaux et métacognitifs semblent particulièrement associés à la définition du "bon acheteur", car cette fonction implique la mise en pratique de compétences diverses et complexes. Qui peut en être le garant en entreprise ? Sans doute le manager qui détient un rôle important dans la recherche des aspects métacognitifs des compétences de l'acheteur, mais peut être davantage encore dans leur développement. Ainsi, en donnant du sens à l'activité de chacun des membres de son équipe, l'acheteur favorise une réflexion systémique (prenant en compte la complexité du contexte de l'entreprise) et une appropriation des enjeux de l'entreprise.
Par ailleurs, compétence et apprentissage ne peuvent s'envisager séparément. Car c'est l'apprentissage qui produit la compétence. Cette dimension paraît cruciale dans le cadre du développement des compétences des acheteurs, puisqu'elle permet de mettre en pratique des compétences métacognitives. Les achats sont aujourd'hui considérés comme un département stratégique de l'entreprise, au même titre que la finance ou le marketing. Leur rôle est de gérer les besoins de l'entreprise en participant à sa compétitivité et à la création de valeur. Le développement des relations avec les fournisseurs (ou SRM : supplier relationship management) ainsi que l'écoute des besoins du client interne constituent des points essentiels de l'activité.
Pour mener notre travail de recherche, près de 24 acteurs ont été sélectionnés : 14 experts (des directeurs et responsables achats, des directeurs des ressources humaines spécialisés en achats, des directeurs de formation et des cabinets de recrutements spécialisés en achats) et dix acheteurs (cinq seniors et cinq juniors). Lors de la phase de traitement des données recueillies sur le terrain, un codage a été réalisé afin d'organiser le traitement des informations recueillies par les questionnaires. Trois principaux thèmes de codage ont été recensés auxquels des sous-thèmes ont été associés : les principaux rôles et missions de l'acheteur, les compétences et les modalités de développement des compétences.
Favoriser en toute occasion, et dès l'année de spécialisation achats, la pensée systémique comme mode de coconstruction ou codéfinition de résolution de problèmes. Cela est facilité par une mobilisation des aspects comportementaux mais surtout métacognitifs des compétences, d'où l'importance de la mise en application du livret de l'étudiant.
Chaque partie prenante doit être consciente de son rôle dans ce mode de résolution de problèmes afin de positionner et d'asseoir le métier en tant que fonction stratégique d'une entreprise.
1 Les recherches ont été conduites sous la direction du Pr Jean-Michel Larrasquet (université de Pau et pays de l'Adour) et du Pr Jean-Marc André (IUFM, université Bordeaux IV). Gordon Crichton, directeur du MAI de BÉM, a également contribué à ce travail.
Isabelle Jehan identifie trois compétences nécessaires pour un acheteur : le savoir-faire, l'aspect comportemental et l'aspect métacognitif des compétences.
3 Le bac+ 5, un prérequis pour devenir acheteur
Selon les résultats observés, les experts semblent avoir une vision du métier beaucoup plus globale que les acheteurs. Ils définissent ces derniers comme des chefs d'orchestre, acteurs de la compétitivité de l'entreprise. La vision des acheteurs seniors se recentre sur l'aspect opérationnel du métier et la maîtrise essentielle des aspects comportementaux et métacognitifs. La vision des juniors, elle, se rapproche de celle des experts. Mais on peut penser qu'à la sortie de l'école, les enseignements sont encore très prégnants et que la pratique n'a pas encore pris le pas sur la théorie. En revanche, les aspects métacognitifs des compétences restent pour l'instant abstraits, même si les collaborateurs les intègrent, notamment à cause du manque de connaissance du monde de l'entreprise et de son fonctionnement. Il existe donc un certain décalage entre la façon dont les acheteurs appréhendent leur rôle et ce que les experts en attendent.
À ce niveau de responsabilités et de stratégie, l'ensemble des acteurs s'accordent pour reconnaître la nécessité d'une formation de type bac+ 5. Qu'elle soit en alternance où à plein-temps importe peu à l'ensemble des acheteurs. En revanche, les experts ont tendance à privilégier la formation à plein temps. Selon eux, l'enseignement y est plus à même de développer le potentiel métacognitif des candidats par le suivi régulier et continu des intervenants. A contrario, la formation en alternance a tendance à focaliser les étudiants sur l'aspect opérationnel du métier. Le point de vue des experts nous permet de dégager une définition des achats stratégiques ainsi qu'un profil de l'acheteur adéquat. Ainsi, les achats peuvent aujourd'hui se décomposer de différentes façons :
- les achats non stratégiques, qui représentent entre 80 et 90 % des achats dans une entreprise,
- les achats stratégiques, qui concernent 10 à 20 %.
Vidéo : Témoignages de deux stagiaires en achats
Les acteurs de la fonction achats s'accordent à dire qu'une formation de type bac+ 5 est nécessaire pour devenir acheteur. Les experts favorisent une formation à plein temps bien que l'alternance privilégie l'aspect opérationnel du métier.
4 12 préconisations pour les experts et les acheteurs
Après avoir réalisé une synthèse de la vision des experts et de celle des acheteurs, Isabelle Jehan et ses collègues chercheurs ont formulé 12 préconisations pour améliorer l'apprentissage des compétences de l'acheteur. Elles s'appliquent aux parties prenantes, à savoir les experts et les acheteurs, mais également aux organismes de formation qui interviennent en l'amont de cette chaîne du savoir.
5 Cinq compétences pour les experts achats
Les cinq premières compétences concernent les experts, qui jouent un rôle déterminant dans le développement des compétences de leurs équipes.
Intégrer la notion de temps dans le processus de développement des compétences. Or, c'est ce dont manquent le plus souvent les entreprises. Le manager devrait pouvoir repérer les lacunes, former et asseoir les compétences pour une meilleure performance des actions achats.
Encourager le benchmarking, c'est-à-dire inciter l'acheteur à confronter les pratiques de son entreprise à celles des leaders pour en éprouver l'efficacité et identifier des sources d'amélioration.
Favoriser le travail en binôme afin de bénéficier d'une synergie d'apprentissage.
Rebaptiser la fonction. Changer la dénomination du métier afin d'éradiquer le risque d'amalgame entre les compétences nécessaires pour exercer le métier d'hier et celles requises pour le métier d'aujourd'hui. Manager des ressources externes, par exemple.
Développer la reconnaissance des compétences comportementales et métacognitives. Cela aiderait l'acheteur à les conceptualiser. De plus, l'accent serait désormais mis sur autre chose que le respect des objectifs financiers et la reconnaissance seule des aspects techniques du métier.
6 Quatre préconisations destinées aux acheteurs
Se construire une légitimité et une crédibilité : l'acheteur doit convaincre de son potentiel pour pouvoir travailler au mieux dans des équipes pluridisciplinaires. Développer un climat propice à la confiance : c'est une préoccupation particulièrement importante pour l'acheteur, qui souhaite amener le client interne à s'exprimer sur son besoin pour le traduire en solution grâce à l'offre du fournisseur.
Intégrer l'apprentissage en triple boucle dans son mode de pensée et favoriser le développement des compétences métacognitives : l'aide du manager est capitale pour apprendre à apprendre mais l'acheteur doit être prêt à remettre en cause ses savoirs. C'est à l'acheteur de mettre ce processus en place.
Orienter la pensée vers une démarche systémique : adopter une vision globale permet, en effet, d'appréhender le projet achats dans son intégralité. Il est ainsi possible de tenir compte de l'ensemble des contraintes liées à l'environnement.
7 Deux préconisations pour les organismes de formation
Les deux préconisations suivantes concernent les organismes de formation qui sont impliqués en amont de la chaîne d'apprentissage.
Lire aussi : Le mid-management Achats sous pression
Développer l'approche systémique dans la résolution des études de cas : favoriser les représentations mentales pour élaborer des "systèmes" capables de conceptualiser les problèmes rencontrés. La phase suivante consiste à proposer des solutions adaptées tout en tenant compte de la complexité future.
Renforcer le lien avec les entreprises, afin de rester en phase avec les besoins des recruteurs.
Isabelle Jehan et ses collègues formulent 12 préconisations pour améliorer l'apprentissage des compétences de l'acheteur.
8 Les leviers de la fonction achats
- L'innovation : l'acheteur doit gérer son panel fournisseurs et connaître les innovations liées à son marché pour les proposer aux équipes R & D de son entreprise. C'est d'autant plus important que 60 à 70 % du potentiel d'innovation se trouvent chez les fournisseurs les plus stratégiques. Simultanément, l'acheteur doit assurer une démarche de marketing achats en interne afin de déterminer les besoins futurs de son entreprise.
- Le cash : il est lié à l'innovation et au speed-to-market : l'entreprise peut accorder des conditions de paiement exceptionnelles à ses fournisseurs stratégiques. Notamment s'il s'agit de PME, qui ont souvent des difficultés de trésorerie et d'autofinancement.
- Le cost-out : il s'agit de repérer les surcoûts pour les réduire le plus possible.
- Le risque : il s'agit là principalement d'éviter les ruptures d'approvisionnement, notamment pour les matières premières.
- L'environnement et le social : Il convient de donner toujours plus de visibilité à ses fournisseurs stratégiques et de permettre un développement durable de leurs activités, en leur fournissant un prévisionnel de commandes pour l'année à venir, si possible.
- Le speed to market : L'innovation apportée par les fournisseurs permet à l'entreprise d'être la première à lancer un produit et, de fait, de gagner des parts de marché et d'accroître ses bénéfices.
Dans la logique d'une réflexion systémique, il semble opportun d'impliquer l'ensemble des parties prenantes dans une ultime préconisation. Il s'agit de la mise en place d'un livret de l'étudiant personnel et évolutif portant sur le développement des aspects métacognitifs des compétences. Le but est d'établir au début de la formation un "portrait", état des lieux de l'apprenant. Une fois les axes de progression identifiés, l'organisme de formation et l'entreprise pourraient conjointement privilégier les missions susceptibles d'aider l'apprenant sur des points d'amélioration précis. Charge ensuite à l'étudiant d'évoluer. Chacun des acteurs est ainsi responsabilisé et les objectifs clairement identifiés.
assertivité
capacité de synthèse
capacité d'influence
leadership
empathie
proactivité
sens du business
travail en équipe
vision globale
À cela s'ajoute la sous-traitance ou l'externalisation des achats non stratégiques. Le profil de l'acheteur ne sera pas le même en fonction des achats effectués. Les achats stratégiques impliquent d'appréhender un certain nombre de leviers.
9 Pour aller plus loin
Adapter la formation à chaque agent
La stratégie des acheteurs dévoilée
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