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Achats et innovation(s)

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A l'ère de l'open innovation, les acheteurs ont une mue comportementale à opérer pour aider leurs entreprises à passer d'une logique de coûts à une logique d'innovation. Comment devenir les catalyseurs et business developer de demain? Quelques pistes de réflexion.

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« L'innovation est multiforme, elle va au-delà de l'innovation technologique. Elle comprend également l'innovation de la structure des organisations, l'élaboration des programmes, l'allocation des financements, et la garantie de la transparence. » Ce sont les mots d'Adrian Ely, membre du centre STEPS (social, technological and environmental pathways to sustainability) de l'université du Sussex, au Royaume-Uni, à l'issue du discours de Bill Gates devant le G 20 en novembre dernier. Les acheteurs, à l'instar d'autres fonctions dans l'entreprise, ont aussi leur mot à dire dans cette révolution de la pensée. « Aujourd'hui, la chaîne de valeur doit être repensée en y intégrant tous les acteurs, en renforçant l'écoute des clients et des fournisseurs et en recherchant les réponses possibles sur le marché », nous dit Guy Elien de Clarans Consulting. Et Natacha Tréhan, de l'IAE Grenoble, de nous rappeler que « nous ne sommes plus dans une relation duelle de B to B classique de codéveloppement ou de coconception mais dans une approche de réseaux interne et externe car l'innovation se construit désormais avec les clients, les particuliers et les universités. » En acquérant de nouvelles compétences comme les soft skills, en innovant dans la relation fournisseurs et en adoptant une logique de travail en réseaux ouverts et multiformes, l'acheteur sera à même de faire passer son entreprise d'une logique de coûts à une logique d'innovation.

BERNARD MONNIER, PRESIDENT DE MIM ET RESPONSABLE DES ACHATS POUR THALES RESEARCH AND TECHNOLOGY: « Les achats doivent prendre le virage de innovation »

MIM (Monnier Innovation Matrix) est une méthode de mesure de l'innovation qui permet de valoriser les résultats issus de la recherche et de favoriser le travail en mode «innovation ouverte». Rencontre avec son auteur, Bernard Monnier.

Quels outils et quels process peuvent accompagner le passage de l'innovation fermée vers l'innovation ouverte?

Bernard Monnier: L'accompagnement des parties prenantes dans cette révolution de l'innovation fermée vers l'innovation ouverte est plus que nécessaire, c'est un des facteurs-clés de succès de la démarche.

En effet, il est plus confortable de se cantonner au développement interne plutôt que d'accepter d'intégrer d'autres organisations pour construire ensemble une offre à forte valeur ajoutée pour nos clients. Comment se comprendre? Parler le même langage? S'assurer que l'offre innovante est perçue par tous de la même façon, quand on réunit des partenaires aussi différents que des universitaires, des centres de recherche, des start-up, des TPE, PME, ETI avec de grands groupes? Dans ce contexte, un outil tel que MIM peut rassembler tous les acteurs et les accompagner vers le succès des projets innovants.

Que cherchez-vous à apporter aux acheteurs avec MIM?

MIM est dédié à l'accompagnement de tous les challenges décrits ci-dessus. C'est l'analyse de ces défis, apparus au début des années 2000, qui m'a incité à créer et développer une méthode, des outils pour accompagner et faciliter le changement de stratégie indispensable aujourd'hui. Mon expérience de plus de 20 ans dans la R&D m'a permis de comprendre les enjeux de la recherche et les retombées essentielles sur notre économie. Mon changement radical de métier vers le domaine des achats s'est justifié par cette vision du nouveau monde. Quel est l'interlocuteur privilégié des entreprises extérieures dans une entreprise, si ce n'est les achats? Qui, mieux que les achats, peuvent mettre en place une stratégie d'entreprise étendue dans une structure organisée? Or, les achats ne pourront assurer cette nouvelle stratégie qu'en étant proactifs, en acceptant de remettre en cause les principes de management de cette fonction en profondeur.

Où situez-vous le curseur de l'intervention de l'acheteur dans «l'open innovation»?

Bien évidemment la fonction achats, à l'interface des relations avec les intervenants extérieurs, a un rôle majeur à jouer. Aussi doit-elle prendre le virage de l'innovation, définir les contours d'un nouveau métier d'acheteur que j'appelle «acheteur innovation». Celui-ci doit avoir des compétences qui vont au-delà de celles qu'il possède depuis des années. Il doit à la fois être plus orienté marketing achats et étendu jusqu'aux besoins clients de l'entreprise, pas seulement du prescripteur, il doit aussi avoir des notions techniques sur l'offre proposée et surtout un sens de l'organisation du travail en mode collaboratif. Tout ceci milite pour une montée en compétences du personnel achats, fonction qui devrait être représentée au niveau des plus hautes instances de management dans l'organisation. L'acheteur devrait devenir un facilitateur de la collaboration, fonction indispensable pour introduire l'innovation ouverte qui accompagne la nouvelle stratégie à mettre en place afin d'assurer l'avenir des organisations.

L'innovation de rupture peut -elle s'exprimer sur une plateforme régie par des relations réticulaires (clients finaux, fournisseurs, services R & D, marketing, achats, etc.)?

Une innovation, c'est avant tout une off re qui rencontre une demande marché. Cela signifie qu'une invention doit satisfaire un besoin, une clientèle prête à payer pour satisfaire ce besoin. L'idée devient alors une réelle innovation. Dans un grand groupe, le service marketing a donc une mission majeure à assurer pour identifier et fiabiliser les demandes marché. Le service R & D et les partenaires à la base de la construction de l'off re doivent satisfaire ces attentes. Il est donc nécessaire de rassembler les communautés de l'entreprise, trop souvent isolées dans des silos, avec les partenaires extérieurs à l'aide d'outils ad hoc afin de partager une vision commune de l'innovation souhaitée. Une plateforme de test d'usage comme le propose par exemple l'ESTIA (école d'ingénieurs du Pays basque) et l'université Paris-Descartes au travers de la PEPSS ( Plateforme d'évaluation de prototypage et de tests d'usages). Cette plateforme, reliée à un outil de partage des différents points de vue sur l'innovation, comme je le propose avec MIM, contribue à favoriser l'innovation de rupture dans des structures plus ou moins étendues aboutissant à l'innovation ouverte à tous...

Comment concilier propriété intellectuelle et open innovation? Et quelles règles établir en amont entre donneurs d'ordres et prestataires?

La question de la gestion de la propriété intellectuelle constitue souvent le principal motif évoqué lors d'un échec de tentative d'open innovation. Il est par conséquent essentiel de l'aborder, de la considérer, de la traiter et d'apporter des préconisations. L'innovation ouverte, c'est mettre ensemble des parties prenantes bien différentes:

- des universités et des centres de recherche qui ne voient qu'au travers de leurs productions intellectuelles et donc de la propriété intellectuelle qui en découle ;

- des TPE, start-up, PME qui doivent vendre pour vivre de cette propriété intellectuelle, sans avoir une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes en s'acquittant de droits exorbitants ;

- des grands groupes souvent réputés pour tout ramener à eux en termes de propriété intellectuelle.

Tout cela justifie les craintes de part et d'autre pour avancer ensemble. C'est pourquoi je pense que le contrat ne doit pas être la phase première de la relation sous la forme innovation ouverte. Il convient avant tout de se connaître, se comprendre, s'accorder sur les enjeux de la collaboration, les apports du partenariat, les risques liés au projet, mais il conviendra aussi de définir les règles de partage des bénéfices en cas de succès. Il faudra, en quelque sorte, définir les éléments de base d'un vrai partenariat gagnant-gagnant (win-win), et non pas gagnant pour certains, perdant pour d'autres. Il faut ensuite que le contrat ne soit perçu que comme une formalité simple mais obligatoire pour rassurer l'ensemble des parties prenantes. MIM permet cette mise en confiance sur la compréhension amont de l'intérêt de chacun à participer au projet. Il synthétise le caractère innovant du projet et montre de façon simple à chacun la situation à l'instant présent et celle que l'on imagine atteindre à la fi n du projet de collaboration.

En bref
Le modèle MIM

Les usages de MIM au service des acheteurs doivent permettre la mise en place d'une nouvelle politique de partenariat assurant ainsi à l'entité d'être capable:
- de connaître les besoins clients
- de vendre son entreprise auprès de fournisseurs innovants
- de fédérer toutes les fonctions de l'entreprise autour d'un projet innovant construit en incluant les partenaires externes.

Passer d'une logique de coûts à une logique d'innovation

Dans un contexte de concurrence accrue et de marges chancelantes, les entreprises doivent innover pour se démarquer. Quels leviers l'acheteur peut-il faire jouer pour aller au-delà du triptyque «qualité-coûts-délais» et aider son entreprise à aller du first to patent au first to market?

Quelle définition donner de l'innovation? Peutêtre celle du manuel d'Oslo de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE): «On entend par innovation technologique de produit la mise au point/commercialisation d'un produit plus performant dans le but de fournir au consommateur des services objectivement nouveaux ou améliorés. Par innovation technologique de procédé, on entend la mise au point/adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées. Elle peut faire intervenir des changements affectant - séparément ou simultanément les matériels, les ressources humaines ou les méthodes de travail. Cette innovation technologique, celle à laquelle on pense souvent en premier lieu, est multiple. Elle peut être incrémentale, quand on crée du neuf en développant ou combinant des produits existants (iPhone). Elle peut être dite «de rupture» quand le produit ou service est nouveau pour le marché et pour l'entreprise (passage du téléphone à Internet)». « Mais un élargissement de la notion d'innovation est nécessaire, affirme Guy Elien de Clarans Consulting. Il faut sortir du schéma où l'innovation est presque exclusivement synonyme d'innovation technologique. L'innovation, cela peut signifier créer des produits et services plus performants pour apporter aux utilisateurs des produits, services ou applications améliorées. Par exemple, une entreprise spécialisée dans la VPC d'outillage a innové en offrant un service de trading d'outillage à ses clients. C'est une innovation qui le différencie de ses concurrents. Et pourtant, il n'y a pas d'innovation technologique à la clé, c'est de l'innovation de services », poursuitil. L'innovation, c'est aussi travailler sur la valeur d'estime, d'usage et d'échange d'un produit. Mais cela peut aussi vouloir dire mieux maîtriser la conduite du changement. Des missions où l'acheteur a son mot à dire.

Innovation comportementale

Une des principales fonctions de l'acheteur est d'avoir une vision holistique de ses fournisseurs grâce à une cartographie à la fois quantitative et qualitative de son panel. L'acheteur est une passerelle entre l'entreprise et son écosystème. «La chaîne de valeur doit aujourd'hui être repensée en y intégrant tous les acteurs, en renforçant l'écoute des clients et des fournisseurs et en recherchant les réponses possibles sur le marché», déclare Guy Elien. Ancien patron de 1987 à 2000 de Valeo qu'il a transformée en entreprise ultra-compétitive, Noël Goutard avait coutume de demander à ses fournisseurs de lui faire sept propositions de transformation et d'innovation par an. Les innovations glanées tout au long de la chaîne de création de valeur concernaient tout autant le process que le produit (des emballages améliorés, par exemple).

Pour Natacha Tréhan, responsable du master Desma master de Management stratégique des achats de l'IAE de Grenoble, l'innovation est aussi comportementale. L'acheteur doit innover par rapport à ses concurrents dans sa façon de gérer la relation avec les fournisseurs. En rendant sa société plus attractive que ses concurrentes aux yeux des fournisseurs, il lui donne toutes les chances d'accéder au statut de client préférentiel. « L'acheteur est un catalyseur ou doit le devenir. Nous ne sommes plus dans une relation duelle de B to B classique de codéveloppement ou de coconception mais dans une approche de réseaux interne et externe car l'innovation se construit désormais avec les clients, les particuliers, avec les universités. C'est l'ère de l'open innovation. Et la notion de first to market détrône celle de first to patent», souligne Natacha Tréhan.

Par exemple, Gemplus est le premier à avoir mis sur le marché une carte 3G et à fournir une gamme de produits et solutions conformes aux nouveaux standards de transmission. SkiData, société spécialisée dans le contrôle d'accès et le stationnement, a aussi été la première à commercialiser des systèmes d'accès «mains libres» pour le ski, permettant au détenteur d'un badge à puce de franchir les portiques sans avoir à introduire son pass. Certains secteurs comme l'automobile ou l'agroalimentaire restent très attachés à cette approche B to B classique tandis que des filières comme les télécoms ou l'industrie pharmaceutique ont appris à créer de l'innovation en adoptant une logique d'architecture commune avec des concurrents, quand cela est utile. L'acheteur peut même faire office de business developer en repérant une start-up à acquérir. Une recommandation stratégique qui va bien au-delà de la fonction achats stricto sensu! Les acheteurs sont conscients de la transversalité de leur fonction mais ils sont aussi les héritiers d'une histoire, aussi jeune et récente soit-elle. La fonction achats a trop longtemps été centrée sur elle-même. Conquête de légitimité oblige! Les clients internes ont donc pu assimiler les savings achats à une sorte de trophée de guerre, jalousement gardé par les acheteurs. Et rares sont les opérationnels autour des acheteurs qui associaient savings achats et succès de l'entreprise. Les choses changent mais lentement... Il appartient désormais aux acheteurs de faire table rase du passé grâce à une meilleure veille, une collaboration plus étroite avec les clients internes. En termes de gouvernance de la relation fournisseurs, l'acheteur doit aussi reconquérir la confiance de ces derniers. En continuant à réclamer des optimisations des prix, on a écorné les marges des fournisseurs et affaibli aussi leurs capacités d'innovation. Il faut mieux valoriser leur apport dans la chaîne de valeur et travailler sur une rémunération plus équitable. Un fournisseur exsangue ne sert à rien. Les acheteurs doivent être des pilotes de projets s'inscrivant dans une vision à moyen et long terme.

Organisations et mesure de la performance innovation

«La création de directions de l'innovation me semble un anachronisme qui maintient un fonctionnement hiérarchique et en silos à l'intérieur des organisations. Or, l'innovation provient de la confrontation des points de vue », déclare Natacha Tréhan. Côté services achats, il conviendrait aussi de définir des processus formalisés de réponses et d'études des propositions faites par les fournisseurs avec une estimation du ROI précise et une interaction constructive avec les fournisseurs pour lever les blocages de mise en oeuvre. « Seulement 7 % des entreprises dans le monde établissent des contrats de partage gains obtenus avec l'aide des fournisseurs. C'est encore trop peu», regrette-elle. Par ailleurs, l'acheteur doit acquérir de nouvelles compétences relationnelles (leadership et intelligence émotionnelle) pour influencer l'autre sans lien hiérarchique et en favorisant son développement. Bien sûr, le ROI de l'innovation se mesure idéalement grâce au chiffre d'affaires généré par cette innovation mais coconstruire des indicateurs de performance avec les fournisseurs constitue probablement une méthode plus enrichissante et plus pérenne.

Natacha Tréhan, IAE Grenoble

«Seulement 7% des entreprises dans le monde établissent des contrats de partage de gains obtenus avec l'aide des fournisseurs. C'est encore trop peu.»

 
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Emmanuelle Serrano

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