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DossierLes achats collaboratifs créent de la valeur

Face aux défis d'un contexte économique concurrentiel, les achats deviennent davantage collaboratifs pour créer de la différenciation et permettent aussi la création de valeur du métier. Comment les achats misent-ils sur la collaboration ? Quels résultats ? Issu de Décision Achats n°162 - Mars 2013

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Les achats collaboratifs créent de la valeur

1 Achats collaboratifs : un levier d'optimisation

Négociation, mutualisation, massification, cost-killing... Il semble que les leviers d'optimisation des achats aient été usés jusqu'à la corde. Face aux défis constants de réduction des coûts et de création de valeur, les achats surfent sur la vague de la collaboration pour se différencier dans un univers économique toujours plus concurrentiel.

BertranD LaLanne (Créargie)

Aujourd'hui, les achats collaboratifs ont donc le vent en poupe comme en témoigne le dernier ouvrage Les achats collaboratifs : pourquoi et comment collaborer avec vos fournisseurs, d'Hugues Poissonnier, Michel Philippart et Nicolas Kourim, paru aux éditions de Boeck. Les auteurs de l'ouvrage parlent même du " développement des relations collaboratives comme une des principales innovations générées par la crise actuelle ". Cette tendance à aller vers des achats plus collaboratifs qui n'est certes pas nouvelle dans le monde des achats, permet " à la fois de jouer sur la réduction des coûts et le TCO (Total cost of ownership, ou coût total de possession) mais également de gagner en création de valeur ", explique Hugues Poissonnier, professeur à Grenoble École de management et directeur de la recherche de l'Irima (Institut de recherche et d'innovation en management des achats).

En résumé, " c'est à la fois un enjeu économique et un enjeu lié à l'innovation ", précise de son côté Bertrand Lalanne, directeur associé au cabinet de conseil Créargie. Codéveloppement, cofinancement ou co-innovation, les pistes à explorer sont nombreuses. Si ces pratiques collaboratives peuvent être verticales (relations clients/fournisseurs), elles peuvent également être horizontales (entre acteurs de la même industrie, utilisateurs des mêmes ressources ou en interne dans l'entreprise). Ainsi, pour Nicolas Kourim, président fondateur du cabinet de conseil Big Fish " le premier champ de bataille est en interne ".

Si l'accent est mis sur les achats collaboratifs dans les cercles d'acheteurs, " ils ne sont ni la panacée, ni une obligation mais sont cohérents avec la volonté d'une stratégie opérationnelle pour vendre des produits ou des services ", analyse Hugues Poissonnier. Au final, cette démarche doit être réfléchie et bien menée. " La démarche collaborative doit se structurer autour d'outils et de modalités pratiques ", insiste Bertrand Lalanne de Créargie. Une démarche qui peut être aussi bien verticale qu'horizontale.

Les achats collaboratifs constituent un levier d'optimisation dans un contexte économique très concurrentiel. Les pratiques collaboratives peuvent être verticales mais aussi horizontales.

2 Collaborer avec ses fournisseurs " pour sortir du cadre commercial "

Collaborer davantage avec ses fournisseurs permet de faire émerger l'innovation et de créer de la valeur. C'est aussi une nouvelle façon de travailler en véritable partenariat sur un même pied d'égalité, sans établir de rapport hiérarchique. " Les achats collaboratifs servent à sortir du cadre commercial et à s'émanciper de relations souvent uniquement basées sur le rapport de force ", selon les termes de Bertrand Lalanne. Les relations entre donneurs d'ordres et fournisseurs évoluent désormais à la vitesse grand V. Ainsi, les acheteurs soucieux de leur écosystème social, économique et environnemental se montrent davantage attentifs à leur panel fournisseurs. Et le concept d'entreprise étendue prend tout son sens. Dans cette optique, pour Nicolas Kourim de Big Fish, " 70 à 80 % des entreprises vont avoir une approche collaborative de leurs relations fournisseurs car cela devient une nécessité de l'écosystème ".

Chez Thales Group, acteur de la filière électronique, spécialisé dans l'aérospatiale, la défense et les technologies de l'information, les PME innovantes en France sont challengées et accompagnées par des équipes techniques pour les " faire grandir ", selon les termes de François Montra, CPO de Thales Group.

Autre exemple, dans le secteur du vêtement, des enseignes comme Sergent Major ou Du Pareil Au Même (DPAM) ont changé leur positionnement stratégique en voulant se lancer dans la fabrication de vêtements pour homme, après avoir exploré les vêtements pour femme. Ces acteurs ont alors investi dans des chaînes de production pour ensuite inciter les producteurs à en faire de même. Cet exemple d'une démarche collaborative réside dans une vision à long terme des relations clients/ fournisseurs dans un contexte de changement de stratégie.

De même, le groupe Club Med a opéré un virage stratégique et revu son positionnement dès 2004. Le groupe a décidé de monter en gamme et s'est en partie appuyé sur la direction achats. Pour relever ce challenge, la direction achats a donc renouvelé une grande partie de son panel fournisseurs tout en aidant certains partenaires à devenir plus compétitifs et performants.

Vidéo : La collaboratif transforme Bonduelle

La majorité des donneurs d'ordre opte désormais pour une approche collaborative avec les fournisseurs.

3 Instaurer un climat de confiance avec les achats collaboratifs

Si le bien-fondé de la démarche collaborative s'impose comme une évidence, comment procéder ? Il s'agit d'abord de sélectionner des collaborateurs stratégiques avec qui travailler en étroite collaboration. Cependant, des prérogatives doivent précéder cette démarche. " Dans un premier temps, il faut donner confiance aux fournisseurs et éduquer les acheteurs pour qu'ils apprennent à parler le langage de leurs prestataires ", explique le président-fondateur du cabinet Big Fish.

Selon, les résultats du Peak Collaborative Index, premier indicateur de mesure des relations collaboratives issu d'une étude Thésame, les trois principes majeurs susceptibles de faciliter cette relation collaborative sont : la justice, le respect et la responsabilité. Derrière ces valeurs se cachent des notions telles que la considération, la courtoisie, l'intégrité et le respect d'une concurrence loyale. Donner confiance à ses prestataires peut se traduire de différentes façons comme " déprécariser le travail de ses fournisseurs en lissant les achats sur l'année auprès de ces derniers ", énonce Nicolas Kourim. Responsabiliser ses fournisseurs en les faisant participer à des présentations stratégiques de l'entreprise ou en leur donnant la parole est également un axe à développer. C'est le cas de nombreux grands groupes qui organisent des conventions fournisseurs comme Pierre & Vacances ou le Crédit Agricole. Chez GDF, au cours de ce type d'événement, chaque fournisseur tient un stand pour y présenter ses innovations et susciter des collaborations.

A consulter : plaquette du Peak Collaborative Index

Justice, respect et responsabilité sont trois principes à prendre en compte pour instaurer une relation collaborative.

4 Démarche collaborative : impliquer ses fournisseurs dans la stratégie de l'entreprise

De son côté, le groupe Seb, spécialisé dans l'électroménager, a mis en place un dialogue poussé avec ses fournisseurs et défini des stratégies de marchés avec eux. Des réunions annuelles sont menées avec les fournisseurs stratégiques. Ces réunions sont de deux natures, soit des "performance reviews" basées sur les chiffres, soit des "strategic reviews" orientées sur les perspectives de business développement. Au cours de ces "strategic reviews", les fournisseurs décrivent leur stratégie, leur marché, etc. Ils doivent en parallèle mettre noir sur blanc la façon dont ils perçoivent les forces et faiblesses, opportunités et menaces de Seb. En parallèle, Seb fait le même travail sur ses fournisseurs avant que les deux parties ne confrontent leurs points de vue respectifs. Environ 30 à 40 réunions de ce type sont organisées chaque année. Au final, des objectifs sont fixés à court, moyen ou plus long terme.

Autre axe de collaboration, un partenariat gagnant-gagnant avec des objectifs communs et chiffrés partagés. Enfin, " la prise de risque en termes d'investissements doit être partagée par le client et le fournisseur ", souligne Jean Breton, directeur du département de l'innovation au sein de l'association Thésame.

Jean Breton (Thésame)

La collaboration est aussi gage d'innovation. Chez Kraft Foods, " le rôle des fournisseurs est de contribuer à l'émergence de cette innovation ", explique Christine Guelin, responsable des achats hors production de l'entreprise agroalimentaire. Pour mener à bien cette mission stratégique, " la direction achats doit être intégrée dans le processus de l'innovation de l'entreprise. Elle doit fonctionner en mode projet avec des services comme la R & D ", prévient Jean Breton.

Le spécialiste en agroalimentaire Danone est très investi sur le sujet. " Notre rôle est de rendre plus compétitifs nos fournisseurs pour surmonter les barrières technologiques de l'innovation. De plus, Danone a investi dans certaines start-up pour les aider à porter une innovation à un stade très en amont de leur recherche et développement ", détaille Philippe Bassin, directeur général sourcing and supplier development chez Danone. Grâce à des petits fournisseurs et au travail conjoint des achats et de la R & D, le groupe a réussi de beaux succès comme sa bouteille Actimel 100 % végétale à base de canne à sucre, conçue grâce à la découverte d'un fournisseur brésilien de résine verte repéré par le programme de recherche d'innovation baptisé Inside/Outside. De même, c'est une petite PME qui est à l'origine de la molécule utilisée pour le produit Danacol de Danone, censé réduire le cholestérol.

Dans le secteur automobile, le groupe Valeo met en place des chantiers collaboratifs une fois par an avec ses fournisseurs privilégiés "preferred suppliers" auxquels il accorde des droits pondérés en retour par des obligations.

Vidéo : Big Fish, Collaboration Achats, du discours à la pratique

De grandes entreprises comme Seb, Kraft Foods et Danone optent pour la collaboration en impliquant leurs fournisseurs dans la stratégie de l'entreprise.

5 L'innovation ouverte : une démarche collaborative qui porte ses fruits

nICoLaS KoUrIM (Big Fish)

Co-innovation, codéveloppement, cofinancement sont autant de nouvelles façons de travailler différemment avec ses fournisseurs. L'innovation ouverte ou "open innovation" est sur toutes les lèvres. Aujourd'hui, dans le secteur industriel, si 56 % des PME estiment que les grandes entreprises les ont aidées à progresser dans leurs performances, seules 36 % déclarent innover ensemble et 29 % mener des projets communs.

Pour renforcer la compétitivité de certains secteurs d'activité comme l'industrie et favoriser l'émergence de l'innovation, des pôles de compétitivité existent soutenus par les pouvoirs publics. La collaboration peut également être transversale avec des acteurs d'un même marché qui s'associent pour une cause commune. " Un système de collaboration peut naître au sein d'un même écosystème ", certifie Nicolas Kourim, président-fondateur de Big Fish. A titre d'exemple, fin janvier, Renault-Nissan, Daimler et Ford ont signé un accord tripartite unique pour accélérer la commercialisation des véhicules électriques à piles à combustibles. Cette collaboration à visée 2017 affiche notamment pour objectif "la réduction des coûts d'investissement associés à l'ingénierie de cette technologie", précise un communiqué conjoint des groupes.

Vidéo : Atelier EBI - Innovation ouverte: mutualiser ses efforts de recherches

Des plates-formes d'échanges existent également pour favoriser l'émergence de l'innovation. C'est le cas de la plate-forme Hypios, ou de celle de l'américain Innocentive. Ces plates-formes internet de crowdsourcing mettent en relation des entreprises demandeuses de solutions avec des fournisseurs innovants susceptibles d'apporter des réponses aux problèmes posés. " Hypios.com ne remplace en rien les missions des services de R & D des grands comptes mais permet d'élargir le champ des possibles ", tient à préciser Arnaud Albrecht, VIP Serve chez Hypios.com. Une fois le problème posé, la plate-forme Hypios.com cible les entreprises susceptibles de trouver la solution adéquate et les met en relation. Les fournisseurs apportant la bonne réponse peuvent empocher de 20 000 à 30 000 euros.

Vidéo : présentation de la plateforme Hypios par Samuel Musacchio, vice-président.

La collaboration se traduit aussi par une co-innovation, ou innovation ouverte. Grandes entreprises et PME innovent ensemble, mais aussi les grands groupes entre eux.

6 Fonction achats : le grand chantier de la collaboration en interne

Un autre grand axe de travail est celui de la collaboration en interne. " Premier champ de bataille ", pour Nicolas Kourim de Big Fish. Ainsi, les directions achats sont amenées à collaborer avec différents services (R & D, marketing, etc.) pour apporter plus de valeur aux services et produits finalisés. Cela passe notamment par des chantiers travaillés en mode projet. Au final, de tels changements de pratiques nécessitent la rédaction d'une feuille de route précise et d'objectifs chiffrés.

Mais quels sont les outils existants pour mesurer le degré de collaboration ? Bertrand Lalanne, directeur associé au cabinet de conseil Créargie, évoque des pistes de réflexion comme " le nombre de nouvelles idées, l'existence ou non de réunions autour du sujet de l'innovation ou encore la part de solutions provenant des fournisseurs dans les innovations produits ou services de l'entreprise ". Autant de nouvelles perspectives pour la fonction achat.

Zoom : un opus sur les achats collaboratifs récompensé

Le prix Aca Bruel récompense la contribution de professionnels ou de chercheurs à l'avancée des concepts ou des méthodes dans les domaines stratégiques et opérationnels des achats et/ou de la supply chain. Cette année, le prix Aca Bruel a été remis à Hugues Poissonnier, Michel Phillippart, Nicolas Kourim pour leur ouvrage Les achats collaboratifs.

Pour la fonction achats, la collaboration en interne avec d'autres services est une autre piste à explorer. Dans ce cas, la collaboration doit être mesurée.

7 " Le mode collaboratif permet de travailler plus rapidement dans le temps "

Catherine Candella, directrice RSE (groupe Chèque Déjeuner)

Accompagner ses fournisseurs sur la voie de la RSE. C'est le pari tenté (et réussi) par le groupe Chèque Déjeuner sur son siège de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine (92). Le groupe s'est engagé dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dès décembre 2010. Certifié ISO 14001 depuis 2009 et ISO 9001 pour les filiales du groupe, l'entreprise a sollicité l'organisme Bureau Veritas pour une évaluation de la certification ISO 26000.

Après s'être attaqué à des sujets annexes, Chèque Déjeuner a décidé de se concentrer sur son outil de production et son coeur de métier dans un axe développement durable. Ainsi, pour se démarquer de ses concurrents engagés dans une démarche verte avec notamment l'utilisation de papier 100 % recyclé ou la labellisation du cycle de vie des produits, le groupe Chèque Déjeuner s'est lancé dans une démarche de certification sur la chaîne entière de la fabrication de son papier. Chèque Déjeuner édite 311 millions de chèques par an soit 450 tonnes de papier. " L'objectif final étant d'être responsable de nos actions dès l'origine de la forêt ", explique Catherine Candella, directrice RSE Groupe. Le choix du label PEFC a été fait. Un choix motivé par le fait que PEFC prend davantage en compte la gestion des forêts de l'Hexagone que son homologue, le label FSC. Chèque Déjeuner travaille avec trois fournisseurs pour son papier dont Arjowiggins. Si son fournisseur de papier fiduciaire était déjà engagé dans une démarche PEFC et FSC, la société a souhaité certifier son unité de production, soit l'usine située dans l'est de la France qui édite également des billets de banque.

" Le mode collaboratif est important et permet de travailler rapidement dans le temps ", estime le directeur des moyens logistiques et généraux groupe, qui évalue à 156 jours la mise en place de la démarche. La collaboration en externe avec les fournisseurs a également été de mise en interne entre la direction de la qualité, la responsable grands comptes ou encore le service production. Les achats sont entrés dans la boucle dès le mois de mars 2012. Pour ce faire, des tests ont alors été réalisés en laboratoire sur des fibres PEFC longues et courtes pour étudier la résistance des différentes pâtes. Et un test a été réalisé en interne sur les chaînes de fabrication. En parallèle, le papetier Arjowiggins certifié FSC a accepté de se lancer dans une démarche PEFC. La labellisation de ce papier est effective depuis le début de l'année 2013.

Dans le même souci d'accompagnement de ses fournisseurs, le groupe Chèque Déjeuner a soutenu le prestataire de restauration Mamie Cocotte. Les achats ont aidé ce dernier qui proposait uniquement une offre interentreprises à développer une offre de restaurant commercial. Le groupe Chèque Déjeuner a ainsi appuyé son prestataire Mamie Cocotte sur les aspects juridiques et sur le choix du traitement monétique. Désormais, Mamie Cocotte gère le restaurant interentreprises de la ZAC de Louvresses dont bénéficient Thales, RTF (filiale d'EDF) ou la pépinière AG Real Estate.

Groupe Chèque Déjeuner

CA : 283 millions d'euros
Nombre de salariés : 2 000 personnes
Budget achats : NC
Nombre d'acheteurs : NC

NB : Chèque déjeuner édite 311 millions de chèques par an soit 450 tonnes de papier.

Le groupe Chèque Déjeuner s'est engagé dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dès décembre 2010. Explications de Catherine Candella, directrice RSE groupe.

8 Pour aller plus loin

Processus innovation : 60 % des acheteurs sont impliqués

Fournisseurs et donneurs d'ordres : la confiance grandit

Une gestion collaborative chez Canal+

Innovation ouverte : IdeXlab lance une plateforme d'intermédiation

Les Echos : L'avenir des achats est dans le développement des pratiques collaboratives

Des liens complémentaires à visiter pour en savoir plus sur la démarche collaborative et l'innovation ouverte.

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