Développer son leadership dans les achats publics

Le leadership ? « C'est la capacité à influencer sans avoir de pouvoir, d'autorité hiérarchique sur l'autre, répond Dominique Rondot, dirigeant de C3S Consulting. Un leader n'est pas forcément manager mais il est bon pour un manager d'avoir du leadership. » Et pourquoi le leadership est-il important dans les achats publics ? « Il est utile pour motiver les fournisseurs à répondre aux appels d'offres et à faire une réponse qualitative, explique Dominique Rondot. En interne, les acheteurs ont aussi besoin de leadership pour amener leurs prescripteurs à faire des cahiers des charges fonctionnels, pas uniquement techniques. »

Évaluer son leadership

Comme d'autres consultants, Dominique Rondot s'appuie sur la LEA (Leadership Effectiveness Analysis), un outil qui a fait ses preuves. Développé par l'entreprise Management Research Group, il évalue 22 comportements regroupés en six fonctions de leadership : la création de la vision, le développement de l'adhésion, la mise en oeuvre de la vision, la fonction de suivi, l'obtention des résultats et le fonctionnement en équipe. Une aide précieuse pour le développement individuel ou collectif en matière de leadership, en lien avec la stratégie achats de son organisation.

Le leader est d'abord celui qui a une vision. « Nous avons la vision d'une fonction achats qui se positionne en tant que prestataire de services, témoigne Philippe Maraval, directeur achats groupe de Pôle emploi. Au-delà de l'application du droit de la commande publique, les achats offrent une prestation pour optimiser les prix, la qualité et les délais. » En 2021, Pôle emploi a ainsi réalisé 1,6 milliard d'euros d'achats, dont 900 millions pour la prise en charge des demandeurs d'emploi. « Nous contribuons ainsi à améliorer leur employabilité, notamment par la formation continue, poursuit Philippe Maraval. À travers nos marchés publics nous mettons en oeuvre les politiques de l'emploi. »

Sa vision, l'acheteur leader cherche à la communiquer à ses interlocuteurs. « Développer son leadership, c'est d'abord proposer de bonnes pratiques d'achat en s'appuyant sur les règles de la commande publique, affirme Alain Bénard, président de l'Association des acheteurs publics. C'est aussi rendre l'achat public facile d'accès, compréhensible. C'est enfin emmener les autres acheteurs publics de son territoire et bâtir avec eux un programme commun de promotion de l'achat public. »

Chez Pôle emploi, Philippe Maraval a le souci d'impliquer dans la démarche de la direction achats les fournisseurs, ses collaborateurs et les prescripteurs. « Le sourcing fournisseurs nous permet de tester nos exigences et de les adapter en fonction de la maturité du secteur, rapporte-t-il. Nous avons ainsi adapté la clause carbone aux prestations intellectuelles. » Avec ses collaborateurs, il communique sur les objectifs, suit les indicateurs, sans oublier de célébrer les succès et les marchés innovants. « Nous organisons notre travail avec les prescripteurs, en les sensibilisant aux contraintes de calendrier », ajoute Philippe Maraval. Leur adhésion passe par la formation des cadres de Pôle emploi à la commande publique, avec notamment deux nouveaux modules d'e-learning.

Un leadership pluridimensionnel

Le leadership ne se réduit cependant pas à cette fonction de développement de l'adhésion. « La perception du leadership est souvent réduite au leadership charismatique, fait remarquer Dominique Rondot. Mais il ne suffit pas de donner envie aux gens. Le leader doit également être capable de contrôler, de suivre les choses. »

Autre dimension importante du leadership : le fonctionnement en équipe. « On parle souvent de leadership distribué, quand l'acheteur passe le relais à quelqu'un d'autre », ajoute Dominique Rondot. Cette capacité à bien travailler en équipe semble également essentielle à Alain Bénard : « Le pire des acheteurs est celui qui travaille en chambre, dans sa tour d'ivoire », souligne-t-il. Chez Pôle emploi, cette dimension se vit en particulier au travers de visioconférences mensuelles avec les régions, toutes dotées de services achats. « Nous faisons notamment des revues de marchés, précise Philippe Maraval. L'une de nos missions est d'apporter un support aux régions dans leurs relations avec les prestataires. »

Le leadership devient crucial lorsqu'il s'agit d'achats innovants. « Pour faire changer les choses, il faut en avoir la volonté », rappelle Romaric ServaJean-Hilst, professeur à Kedge Business School et coauteur de l'étude Les soft skills liées à l'innovation et à la transformation des organisations (Institut pour la transformation et l'innovation, mars 2022). Ce document rapporte que l'expression soft skills (« compétences douces » ou « transversales »), née au sein de l'armée des Etats-Unis aux débuts des années 1970, a été reprise par le monde de l'éducation, puis dans le management « pour en décrire les qualités et les différentes dimensions du leadership ». L'étude souligne que le leadership est présent dans trois des quatre rôles identifiés pour innover en entreprise, le rôle de l'innovateur, le rôle du médiateur, le rôle du promoteur et le rôle du sponsor : « Trois d'entre eux ont une fonction tournée vers les autres, c'est-à-dire des compétences relationnelles, relatives à la capacité à influencer, au leadership, à la capacité à réseauter, et à l'intelligence émotionnelle. »

Leadership et innovation

En matière d'innovation, le leadership des acheteurs publics peut s'appuyer sur le dispositif achats innovants pérennisé par décret en décembre 2021. Ils peuvent en effet passer, sans publicité ni mise en concurrence préalables, des marchés de travaux, fournitures ou services innovants de moins de 100 000 euros HT. Un dispositif notamment utilisé par Pôle emploi. « Notre leadership consiste à répondre présent quand émergent de nouvelles technologies, de nouvelles démarches, témoigne Gilles Collet, responsable achats IT chez Pôle emploi. Les exigences des utilisateurs de nos outils nous amènent aussi à évoluer. »

Les achats responsables sont également un terrain privilégié où s'exerce le leadership des acheteurs publics. « Dès lors que l'on parle d'achat innovant, d'achat responsable, on touche à quelque chose de nouveau et donc à l'aspect émotionnel. Face à l'inconnu, l'émotion qui vient c'est l'inquiétude, analyse Dominique Rondot. Être leader, c'est savoir gérer cette inquiétude. Le leader est à l'aise avec l'intelligence émotionnelle. » L'intégration du développement durable dans les marchés publics est en effet un défi qui peut susciter des appréhensions, des interrogations. « La décarbonation via les marchés déplace le champ d'intervention de la fonction achats. C'est un changement de paradigme important, une révolution culturelle, explique Philippe Maraval. Cette montée en puissance des objectifs secondaires n'est pas un critère de plus, c'est un déplacement de la direction achats sur le mode de fonctionnement de ses titulaires. C'est une innovation du quotidien à travers des objectifs sociaux, inclusifs, de décarbonation. » Acheteur rime décidément bien avec leader !