DossierBonnes pratiques : quand le secteur public s'inspire du privé
Dans un contexte économique qui fait de la gestion des coûts un impératif, les achats publics se professionnalisent et n'hésitent plus à s'inspirer des pratiques du privé. Cette enquête exclusive Ugap/Décision Achats décrypte les nouvelles tendances.

Sommaire
1 La commande publique, un outil de gestion
" Dans la mesure où la commande publique utilise la fonction achats comme un outil de gestion, son existence est le signe de la maturité de cette fonction dans le secteur public." Tel est le constat dressé par Michel Madar du cabinet achats Crop and Co. " Les acheteurs ont une problématique technico-économique à résoudre (stratégies d'achat, négociation, analyse de la performance financière, etc.), poursuit-il, tandis que le service des marchés est davantage axé sur l'administratif et le juridique. Il convient donc de clarifier les fonctions et de dissocier les achats des marchés. " Ainsi, 32 % des sondés appartiennent à une direction achats et 13 % à la commande publique. La majorité reste cependant rattachée à une autre direction (33 %).
Sans surprise, l'enquête met en évidence la professionnalisation des achats publics. Ainsi, 73 % des acheteurs interviewés estiment que leur métier s'est professionnalisé. Preuve en est avec le taux de formation des acheteurs puisque près de 46 % ont suivi une formation diplômante en achat ou un cycle de formation acheteur. " Il existe une véritable montée en puissance de la stratégie achats dans le secteur public ", souligne Sébastien Taupiac, directeur adjoint des achats de l'Ugap de 2008 à 2013 et aujourd'hui directeur délégué aux offres complexes, en s'appuyant sur les chiffres. " Dans 45 % des structures interrogées, la stratégie achats est en cours d'élaboration. " Et près de 84 % participent à la politique achats de leur établissement.
Au final, près de 87 % des sondés considèrent qu'il doit exister un métier d'acheteur public. Reste à savoir comment le définir : par des concours ? Une grille de salaire spécifique différente de celle du métier d'approvisionneur ? La question reste ouverte.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l'article suivant : Dix propositions pour une commande publique plus performante
Avec la montée en puissance de la stratégie achats dans le secteur public, cette fonction s'est professionnalisée. Ainsi, pour 87% des sondés, un métier d'acheteur public doit exister.
2 Les techniques du privé investissent le secteur public
Cette année, pour la première fois, l'enquête s'intéresse au parcours des acheteurs. La frontière entre le métier d'acheteur public et celui d'acheteur privé est-elle perméable s'interroge l'Ugap.
Si près de 26 % des répondants avouent avoir déjà occupé une formation achats dans le privé auparavant, seulement 19 % envisagent au final une carrière dans le public. Les raisons évoquées ? " Acheteur public est un métier passionnant, varié et pluridisciplinaire. Passant du mobilier à la restauration ou aux équipements sportif, l'acheteur public réalise des marchés sur des points très divers ", détaille Frédéric Magnan, directeur de la commande publique de la ville de Saint-Germain-en-Laye. " Cette diversité d'achats est peu ou pas présente dans le public privé. " S'ils sont 56 % des sondés à penser que les métiers d'acheteurs privé et public sont différents, quasiment autant (51 %) reconnaissent que l'un et l'autre utilisent les mêmes connaissances techniques et commerciales. À l'instar de la ville de Saint-Germain-en-Laye, où " des méthodes du privé sont appliquées, telles que le marketing achat, la négociation ou l'analyse fonctionnelle ".
Ainsi, la négociation, arme redoutable dans le secteur privé, trace son chemin dans le public. " Il existe une frilosité globale des acheteurs publics vis-à-vis de la négociation. Ces derniers ne savent pas sur quoi négocier, ne connaissent pas les limites de cet outil et ont peur de dénaturer la consultation , énonce Hervé Huguet, gérant du cabinet-conseil en achat public Citia. Il est pourtant possible de négocier avec chaque candidat sur des points différents, tout en respectant l'égalité de traitement. " Selon l'Ugap, 51 % des sondés avouent avoir recours à la négociation, si la procédure le permet. Les 49 % restants qui ne la pratiquent pas, l'expliquent par leur absence de compétence et de formation sur le sujet.
3 Cap sur la spécialisation
Autre signe de l'influence des achats privés dans le public : la spécialisation des acheteurs. Selon l'Ugap, de plus en plus d'acheteurs publics tendent à se spécialiser (19 %). " C'est une véritable transition, observe Sébastien Taupiac (Ugap). L'achat devient trop complexe pour être généraliste. "
D'une manière générale, " la préoccupation de performance financière a été antérieure dans le secteur privé ", analyse Michel Madar de Crop and Co, tout en soulignant que le Code des marchés publics a beaucoup évolué et notamment l'article 53, qui apporte de nouveaux critères de sélection des offres, hélas sous-utilisés (rentabilité financière, coût global, performance fonctionnelle, interopérabilité des solutions, etc.) en raison d'un manque de professionnalisation des acheteurs. Ainsi, trois quarts des acheteurs estiment être des acteurs majeurs dans la rationalisation de la commande publique.
Si le secteur public tend à prendre davantage en compte les techniques d'achats du secteur privé, certaines démarches et pratiques du privé n'ont pas encore obtenu leurs droits d'entrée. Ainsi, pour Hervé Huguet, la notion de coût total ou TCO (Total Cost of Ownership) pèche dans le secteur public. " Les acheteurs ne s'interrogent pas, par exemple, sur le coût de la réponse à un appel d'offres à un marché public pour une entreprise. Ainsi, dans le cas de prestations intellectuelles, le coût d'une offre, en réponse aux exigences du cahier des charges, peut facilement atteindre 1 000 euros, c'est-à-dire le montant de la marge nette pour un marché de 10 000 euros. "
" La négociation n'est pas une fin en soi ", prévient Éric Bompar, directeur du cabinet-conseil en achat Achatitude. " On a tendance à trop se focaliser sur les économies qu'elle permet de réaliser. Or, ce n'est qu'une partie de l'iceberg. Les acheteurs doivent se concentrer et travailler sur l'analyse de la valeur et sur les fonctionnalités de leurs besoins. "
Spécialisation des acheteurs, marketing achat, négociation ou encore analyse fonctionnelle sont autant de pratiques issues du privé qui ont fait leur entrée dans le secteur public. Tour d'horizon.
4 Développer la culture du sourcing
Si 70 % des sondés déclarent faire de la veille économique et technologique dans leurs secteurs d'achat, 30 à 50 % d'entre eux n'y passent... que 7 % de leur temps. Autre constat, cette veille n'est pas systématique dans près de 70 % des cas. Mais, chose étonnante, si près des trois quarts d'entre eux disent faire de la veille, ils ne sont que 56 % à déclarer ne pas avoir une bonne connaissance du tissu économique et industriel. En cause : le manque de moyens et de temps. " Si le benchmarking et le sourcing sont mentionnés dans le Code des marchés publics, ils ne sont pas inscrits dans la culture de l'achat public ", insiste Éric Bompar (Achatitude) alors même que " les acheteurs publics peuvent rencontrer leurs fournisseurs pour s'enrichir ".
La veille devrait occuper la moitié du temps d'un acheteur. " Pour un acheteur, le sourcing et la veille technique/fournisseurs représentent le point d'entrée de la profession, juge un acheteur, qui a souhaité garder l'anonymat. C'est d'autant plus important que je ne vois pas comment il est possible de réaliser des achats efficaces et innovants sans ce travail ", souligne-t-il.
" Le sourcing de l'acheteur est complémentaire de celui du technicien ", prévient Hervé Huguet (Citia). En d'autres termes, il faut faire attention à ne pas empiéter sur le terrain du technicien. " Les prochaines directives européennes devraientinstitutionnaliser la veille fournisseurs (sourcing) afin que les acteurs publics puissent s'autoriser à étudier le savoir là où il est, en amont des procédures de passation, c'est-à-dire sur le terrain ", insiste Michel Madar (Crop and Co).
5 Chercher l'innovation chez les fournisseurs
Autre point faible des acteurs publics : le manque de partage de l'information. " Les collectivités ne partagent pas suffisamment leurs expériences. Les acheteurs vont rarement contacter leurs homologues pour connaître la façon dont ils ont rédigé leur cahier des charges pour un marché similaire à celui qu'ils sont en train de préparer ", déplore le directeur d'Achatitude. Cette définition des besoins apparaît difficile pour près de 60 % des sondés. Faire du sourcing revient à aller chercher l'innovation chez ses fournisseurs. Or, l'article 53 du Code des marchés publics définit des critères relatifs à l'innovation. " Les acteurs publics n'utilisent pas toute la potentialité du Code ", insiste Michel Madar (Crop and Co). Pour susciter l'innovation, il faudrait rencontrer les fournisseurs et faire le point sur leurs offres, voire les réunir, avant la préparation d'un appel d'offres. " Malheureusement, les acheteurs aujourd'hui ne jugent l'innovation qu'à travers un dossier administratif ", avance l'acheteur anonyme. Cette frilosité vis-à-vis du sourcing peut s'expliquer par la peur du délit de favoritisme selon le gérant de Citia. Un débat qui n'est plus d'actualité pour Michel Madar.
Pour aller plus loin, vous pouvez lire le témoignage de David Niwczynski, responsable du service achats de la ville de Lyon : "Une bonne connaissance du marché fournisseur permet d'ajuster ses besoins"
Cette année, l'enquête de l'Ugap s'intéresse à la recherche de l'innovation par les acheteurs publics. Qui dit innovation, dit création et développement de techniques de veille fournisseurs, sourcing et benchmarking. Et dans ce domaine, les achats publics disposent une grande marge de progression.
6 Alléger la lourdeur administrative
" Les acheteurs publics ont pris conscience que la lourdeur administrative dans les procédures était un frein ", déclare Sébastien Taupiac (Ugap). À la question "Avez-vous mis en place des outils ou des solutions pour simplifier l'exécution des marchés ?", les acheteurs citent la dématérialisation des échanges (commandes, factures, etc.), la simplification des modalités administratives d'exécution ou encore des réunions avec les fournisseurs. Dans le même souci de simplification des démarches, 32 % des personnes interrogées envisagent d'imposer la dématérialisation dans les réponses aux appels d'offres à l'ensemble des achats. Une bonne nouvelle dont se félicite Sébastien Taupiac (Ugap) : " La France doit faire le nécessaire en ce sens car, dans trois ou quatre ans, le mouvement en faveur de la dématérialisation va s'accélérer en Europe. "
Parmi les autres sujets évoqués, l'accès des TPE/PME à la commande publique est toujours d'actualité. Plus de 50 % des PME sont titulaires de 32 % des marchés publics (en quantité). Pour leur favoriser davantage l'accès, les acteurs publics ont alloti leurs marchés, allégé leurs DCE (dossier de consultation des entreprises), dématérialisé leurs marchés et en ont assuré une meilleure diffusion. Ils ont également eu recours au sourcing.
7 L'accélération de l'externalisation
Enfin, " l'externalisation des achats n'est plus un sujet tabou ", avance Sébastien Taupiac. Ainsi, 62 % des répondants avouent externaliser ces derniers. Et plus de la moitié d'entre eux (62 %) le fait pour 10 à 30 % de leurs achats. Près de 40 % externalisent auprès d'une centrale d'achat et 36 % dans le cadre d'un groupement de commandes. " Tout peut s'externaliser, affirme le directeur délégué aux offres complexes de l'Ugap. C'est pourquoi nous avons pour projet de lancer une offre sur les voyages et déplacements courant 2014. " La restauration collective, les voyages et les déplacements ou encore la formation sont des types d'achats immatériels que les acteurs publics songent de plus en plus à externaliser. Aujourd'hui, la restauration collective tout comme les prestations intellectuelles représente 7 % des achats mis à l'extérieur tandis que les voyages et déplacements sont externalisés à hauteur de 5 %.
" Au final, les acheteurs publics ont conscience que l'acte d'achat, pour être performant, se découpe en trois étapes : l'amont (professionnalisation des acheteurs/sourcing, études de marché), la procédure elle-même (suivi approfondi de l'exécution) et l'aval (paiement rapide des fournisseurs) ", conclut Sébastien Taupiac.
Dématérialiser les échanges, simplifier les modalités administratives ou effectuer des réunions avec les fournisseurs sont autant de leviers mis en place par les acheteurs publics pour alléger la lourdeur administrative.
8 Méthodologie
L'enquête "Évolution des achats publics" a été réalisée en ligne au 2e trimestre 2013 par l'Ugap. Au total, 691 personnes ont répondu, dont 38 % de directions et services achats des collectivités, mais aussi des services de l'État (20 %) et du secteur hospitalier (21 %).
Voici la méthodologie de l'enquête exclusive Ugap/Décision Achats.
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