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Polémique autour des nouveaux délais de paiement

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Depuis le 1er janvier 2009, les délais de paiement sont plafonnés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours à compter de la date d'émission de la facture. La réforme a pris de court un certain nombre de donneurs d'ordres, qui exigent aujourd'hui des compensations.

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Une pratique illégale. En février dernier, le Syntec Informatique Chambre professionnelle des sociétés de conseil et de services informatiques, des éditeurs de logiciels et des sociétés de conseil en technologies. alertait ses adhérents et les pouvoirs publics sur le contournement, par un certain nombre de donneurs d'ordres, de la loi de modernisation de l'économie (LME) et notamment des nouvelles dispositions concernant les délais de paiement, désormais fixés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours à compter de la date d'émission de facture. Le Syntec Informatique reprochait, en effet, aux directions achats d'exiger une compensation financière du fait de cette réduction des délais de paiement, entrée en vigueur le 1er janvier: «La chambre professionnelle rappelle que l'article L442-6 du code de commerce sanctionne toute pratique visant à obtenir une remise rétroactive, non prévue contractuellement, sur les prix et tarifs des prestations déjà effectuées ou en cours d'exécution.»

Sydney Azoulay, SVP

«Les entreprises bénéficient encore de souplesse dans l'application de la LME. »

Pression sur les prestataires

Le Syntec Informatique allait même plus loin, en condamnant «toutes demandes consistant à exiger une compensation financière du fait de la réduction des délais de paiement», y compris pour les contrats où une renégociation annuelle des conditions contractuelles est prévue. «La LME vise à réduire et à uniformiser les délais de paiement. Le gouvernement a ainsi marqué sa volonté de ne pas faire des délais de paiement un point de négociation contractuelle. Des clients ne sauraient donc faire supporter à leurs prestataires le poids des conséquences de cette loi en faisant pression sur ces derniers pour obtenir des remises tarifaires.» Dont acte.

La situation dénoncée par le Syntec Informatique semble se confirmer sur le terrain. Selon plusieurs observateurs, un certain nombre d'entreprises demandent, en effet, à leurs fournisseurs une remise tarifaire du fait des nouveaux délais de paiement. Et une étude réalisée en avril dernier par Altares auprès de ses clients indique que 43 % des donneurs d'ordres ont demandé une compensation à leurs fournisseurs en raison de l'entrée en vigueur de cette disposition. «Compte tenu du contexte actuel, on peut comprendre que les entreprises cherchent des compensations et ce, bien que le respect de la réglementation et des bonnes pratiques commerciales ne donnent pas droit à des contreparties», souligne Valérie Vrignon, fondatrice du cabinet de conseil éponyme. Pour cette dernière, la réduction des délais de paiement ne doit pas donner lieu, non plus, à une compensation financière. «Si compensation il y a, elle pourrait s inscrire dans une démarche qualité globale, qui bénéficierait à la compétitivité des deux parties, estime-t-elle. Par exemple, la mise en place d'un processus de dématérialisation de factures.»

Pour autant, demander une compensation financière est-il illégal ou bien contraire à l'esprit de la loi, comme le dénonce le Syntec Informatique? Sur ce point, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a donné une réponse sibylline: «Au sens strict, une obligation légale d'ordre public [ce qui est le cas de la LME, NDLR] n'a pas à donner lieu mécaniquement à une compensation au premier euro. Toutefois, la situation des délais de paiement a toujours été prise en compte dans les négociations commerciales. Elle le sera également à l'avenir.» Pour Sydney Azoulay, manager de la direction fiscalité et vie des affaires chez SVP, «cette réponse ne peut que créer une certaine confusion» mais confirme qu'une compensation peut-être demandée lors de la renégociation d'un contrat, en particulier si les délais de paiement faisaient partie intégrante de la négociation. «Pour les donneurs d'ordres, négocier des délais de paiement supplémentaires représentait souvent la cerise sur le gâteau», rappelle Jean-Louis David, secrétaire général de l'Association française des Credit Managers et conseils (AFDCC).

Valérie Vrignon, Cabinet Valérie Vrignon

« On peut comprendre que les entreprises cherchent des compensations, mais le simple respect de la réglementation ne donne pas le droit à des contreparties. »

Des sanctions civiles à la clé

A l'image de cette polémique autour de la notion de compensation, l'application de la LME suscite de nombreuses interrogations. «Sur les 2000 appels que nous recevons en moyenne par jour, entre 15 et 20% concernent les dispositions relatives à la LME et aux nouveaux délais de paiement», souligne Sydney Azoulay (SVP). Selon ce dernier, les appels ne cessent d'augmenter depuis le 1er janvier dernier alors que l'entrée en vigueur de la loi était connue depuis août 2008. «Les questions les plus fréquentes concernent le champ d'application de la LME», reprend le manager. Quelques exemples parmi d'autres: les nouveaux délais de paiement s'appliquent-ils à tous les contrats, y compris ceux en cours? «Oui, s'il n'y a pas de commandes fermes», répond le spécialiste. La LME concerne-t-elle les contrats internationaux? «De notre point de vue oui, même s'il n'existe pas encore de jurisprudence sur ce point.» En théorie, un donneur d'ordres ne peut privilégier, en effet, un fournisseur étranger dont les délais de paiement seraient plus longs. «Mais dans les faits, cela restera dur à prouver», précise Sydney Azoulay

Ainsi, la LME a visiblement pris tout le monde de court. «Personne n'y croyait vraiment, mais le gouvernement n'a pas lâché», estime un observateur. «Beaucoup d'entreprises n'ont pas été informées suffisamment tôt de la réduction des délais de paiement, semble regretter Jean-Didier Clémençon, le président de l'AFDCC. Or, modifier des comportements de paiement et des modèles économiques basés en partie sur le jeu du crédit interentreprises n'est pas chose facile.» Il recommande ainsi de faire un état des lieux des délais de paiement dans l'entreprise, aussi bien côté clients que côté fournisseurs, de réviser les contrats et les documents commerciaux pour intégrer les nouveaux délais de paiement, de modifier les systèmes d'information et, enfin, de former les collaborateurs en interne.

Une réforme favorable aux PME

L'AFDCC, à l'image de la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (Cdaf) et d'autres associations professionnelles, organise depuis plusieurs mois de nombreuses conférences sur ce thème pour informer leurs adhérents des risques encourus en cas de non-respect de la loi. En effet, le dépassement des nouveaux plafonds fait l'objet d'une sanction civile, prévue à l'article L-442- 6 du code de commerce et pouvant donner lieu à une condamnation à des dommages et intérêts, voire à une amende civile. «Aujourd'hui, on observe une certaine tolérance et les entreprises bénéficient de souplesse dans l'application de la LME, avoue Sydney Azoulay (SVP). Mais des sanctions plus sévères devraient tomber d'ici à 2010 si les entreprises ne se mettent pas en conformité avec la loi.» Ce rôle incombera notamment à la DGCCRF ou, si un donneur d'ordres passe entre les mailles du filet, à tout fournisseur qui s'estimerait lésé.

Car l'enjeu est réel. La réduction des délais de paiement est considérée, du moins officiellement, comme une bonne chose. «La volonté du législateur est d'améliorer la trésorerie des entreprises françaises, surtout celle des PME. C'est un point très positif puisque nos observations démontrent depuis plus de vingt ans que les retards de paiement sont à l'origine d'un quart des défaillances d'entreprise», rappelle David Comte, directeur du développement et des partenariats chez Altares. Même analyse du côté de Jean-Didier Clémençon (AFDCC), pour qui la LME permet aux entreprises de réduire leurs risques, d'améliorer leur trésorerie et leur besoin en fond de roulement. «Mais cette nouvelle loi nécessite un temps d'adaptation qui, malheureusement, doit se faire dans un contexte économique défavorable. Si les PME souffrent aujourd'hui, ce n'est pas à cause de la LME, mais bien de la crise», relativise-t-il avant de pointer un dernier avantage: se rapprocher des délais de paiement en vigueur en Europe. Selon Intrium Justicia, en 2008, les délais de paiement étaient de 56 jours en moyenne en Europe, contre 60 jours en France.

David Chambeaud, vice-président achats, Thomson

David Chambeaud, vice-président achats, Thomson

Témoignage

«Nous continuerons à prendre en compte dans nos négociations le coût induit par les délais de paiement»


Conformément aux nouvelles dispositions de la loi de modernisation de l'économie (LME) , toutes les entités françaises du groupe Thomson règlent leurs fournisseurs français dans un délai de 60 jours maximum à compter de la date d'émission de la facture. Auparavant, le groupe technologique avait l'habitude de payer la plupart de ses fournisseurs français à 60 jours fin de mois, soit en moyenne 15 jours plus tard qu'aujourd'hui. «Par rapport à notre volume d'achats réalisé en France, l'impact de la LME est assez marginal sur notre gestion du cash», relativise toutefois David Chambeaud, vice-président achats du groupe Thomson.
Avec les fournisseurs concernés, l'impact lié à la réduction des termes de paiement à 60 jours nets a été abordé lors de négociations tarifaires annuelles du dernier trimestre. «La situation des délais de paiement a toujours été prise en compte dans les négociations commerciales, justifie David Chambeaud. Les fournisseurs intègrent le coût induit par les délais de paiement dans le prix final.» Les conditions contractuelles ont donc été revues à la baisse, notamment en raison de la modification des délais de paiement.
Au final, l'arrivée de la LME est jugée plutôt positive. «Cette loi permet d'harmoniser les délais de paiement en Europe», se félicite David Chambeaud. Selon ce dernier, ce sont avant tout les retards de paiement qui posent des problèmes dans les relations clients-fournisseurs. «Nous sommes très attentifs sur ce point car cela peut impacter la santé financière de nos fournisseurs, assure-t-il. En interne, nous avons renforcé nos procédures pour assurer des paiements en temps et en heure.»


Thomson:
Activité
Fournisseur de solutions pour la création, la gestion, la diffusion et l'accès de contenu vidéo
Chiffre d'affaires 2008
4,8 milliards d'euros
Effectif
23 000 salariés
Volume d'achats 2008
3,3 milliards d'euros
Effectif achats
130 collaborateurs

zoom

La Cdaf favorable aux dispositions de la LME


Les dispositions de la loi de modernisation de l'économie (LME) ont été favorablement accueillies par la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (Cdaf). «il y a longtemps que la Cdaf est pour la réduction des délais de paiement, indique Jean-Pierre Del Fondo, membre du bureau national et du comité directeur de la Cdaf Ile-de-France. Nous avons souvent pointé du doigt le fait que des délais de paiement trop longs représentaient un surcoût pour l'entreprise et fragilisaient les fournisseurs.» Néanmoins, la LME suscite une multitude de questions chez les membres de l'association. «Il faut bien reconnaître que l'application de la LME sur le terrain est compliquée à mettre en oeuvre. Nous aurions souhaité qu'aient lieu une concertation de toutes les parties et une harmonisation des conditions», regrette Jean-Pierre Del Fondo. Ainsi, pour répondre aux nombreuses interrogations de ses adhérents, la Cdaf Ile-de-France a déjà organisé trois soirées thématiques sur le sujet. «Notre rôle est d'informer nos membres sur les bonnes et les mauvaises pratiques en la matière. Par exemple, nous rappelons que renégocier directement un contrat sous prétexte que les délais de paiement ont été réduits n'est pas légal», précise Jean-Pierre Del Fondo. La Cdaf, principale association d'acheteurs en France, entend ainsi jouer pleinement sa mission de représentation et d'information.

 
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Sébastien DE BOISFLEURY

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