"La direction achats est le business partner essentiel d'une stratégie de marque"
Très orientée performance des achats et création de valeur, la nouvelle directrice achats de Sephora Collection, Laetitia Catrice, n'en oublie pas l'humain, qui reste au coeur de son action. Rencontre
Je m'abonneCette interview a été publiée dans le magazine Décision Achats n°224
Pourriez-vous nous présenter Sephora Collection et les achats que vous dirigez ?
Sephora est divisé en deux entités. La division retail, qui gère la partie magasins (achats indirects), et Sephora Collection, la marque qui pilote les gammes de produits vendus sous la marque Sephora (maquillage, bain, soin, accessoires, etc.), en exclusivité dans les magasins Sephora. Au niveau du siège, à Neuilly, je dirige les achats directs de la marque : en particulier la sous-traitance, le packaging et les accessoires. Mon client est le retail. Mon équipe est composée d'une quinzaine de personnes pour un spend global d'environ 170 M€.
Quels sont actuellement les principaux enjeux de votre direction achats ?
Nous avons trois enjeux au sein de la direction achats : une partie agilité, pour s'adapter toujours plus rapidement à la demande de nos consommateurs, une partie création de valeur - pour accompagner la marque dans sa croissance, en proposant des produits innovants et différenciants - et un troisième enjeu fondé sur démarche d'achats responsables intégrant l'écoconception. Les achats, au travers de la politique achats responsables, accompagnent les enjeux durables et responsables de la marque. Le pilotage de la fin de vie des produits, l'écoconception et l'upcycling sont aussi des enjeux importants. Créer une supply chain green est un vecteur de création de valeur.
Lire aussi : Compliance et achats responsables - Comment naviguer entre réglementation et création de valeur ?
En effet, à la suite de cette période de Covid et ce monde Vuca, travailler sur l'obsolescence de stocks devient une priorité. Les achats doivent accompagner la baisse de génération d'obsolescence. Il nous faut développer une vision end to end et aider notre supply à la fiabilisation de notre forecast. Il est important de connaître sa chaîne de valeur, maîtriser ses stocks dès l'amont et piloter tous les coûts de mise sur le marché. L'acheteur intervient du brief marketing jusqu'à la livraison en entrepôt. Les achats sont là pour construire une boucle vertueuse, pour simplifier, rationaliser et optimiser.
Quels sont vos plus gros volumes d'achats ?
Nos achats sont fondés sur un modèle de sous-traitance, nous n'avons pas d'usine en propre. Par conséquent, un de nos plus gros spend est représenté par ce scope sous-traitance où nous achetons auprès de fournisseurs des formules adaptées à notre besoin. Un autre spend important est celui de nos packagings (packs primaires et secondaires, tubes, flacons...) ; nous achetons également de nombreux accessoires (pinceaux, trousses, etc.). Cette catégorie est complexe, car les savoir-faire sont principalement asiatiques.
Quel est le rôle ou la valeur ajoutée des achats au sein de ces catégories ?
La fabrication de nos formules est confiée à ces sous-traitants, achats de matières premières compris. Notre valeur ajoutée repose sur la compréhension de ce qu'ils achètent et des marchés de commodités sur lesquels ils opèrent. L'analyse fine de leurs cost models est également importante. Pour ce faire, chaque acheteur dans sa catégorie doit connaître les outils de fabrication (savoir-faire, cadence de ligne, automatisation, etc.) de son panel fournisseurs. Au-delà de cet enjeu d'intelligence industrielle, nous avons un vrai défi de "time to market" notre valeur ajoutée réside dans le bon choix fournisseur, un "partner" deviendra stratégique si son outil de production, donc son lead time de production, est adapté à notre besoin. Nous proposer un lead time court est un réel avantage concurrentiel. Les circuits courts pour livrer vite et réapprovisionner vite deviennent le nerf de la guerre.
En effet, une rupture d'approvisionnement coûte toujours excessivement cher ; avoir le bon produit au bon endroit au bon moment est un vrai défi. L'agilité de notre supply amont devient un élément stratégique. La performance des catégories réside donc dans un choix judicieux de fournisseurs, capables de s'adapter, d'innover dans leurs produits et process et dans leur faculté à nous comprendre. On l'oublie trop souvent, mais une équipe commerciale performante est primordiale pour nous !
Quand vous évoquiez l'enjeu du choix fournisseur, quel est pour vous le profil du fournisseur idéal ?
Tout doit reposer sur une stratégie sourcing claire, En amont du choix fournisseurs et de la définition de son profil, il y a la phase de diagnostic versus le brief reçu, identifier le besoin, l'enjeu commercial et comprendre ainsi les attributs du produit et de la gamme à développer. Une fois que l'on a compris ce besoin, il s'agit d'opérer un sourcing fournisseur adapté sur la base de critères bien définis et pris dans un panel restreint de fournisseurs partenaires. Ces fournisseurs partenaires de la marque ont été sélectionnés sur des critères stratégiques clairs. Être capable d'avoir des usines proches de nos lieux de vente, avec une production agile et courte et des savoir-faire intégrés. Il faut également qu'il soit en mesure d'investir pour innover demain. Et qu'il ait envie de travailler avec Sephora Collection, qu'il aime la marque et ses produits. On peut avoir des fournisseurs au savoir-faire très élevé, mais si on ne trouve pas cette envie de collaborer et de créer ensemble, cela ne fonctionne pas.
Qu'achetez-vous en Asie ?
Nous achetons des accessoires tels pinceaux, trousses et petits cadeaux et c'est en Asie que nous les trouvons. Les sous-traitants et le packaging sont principalement en Europe.
La relocalisation est-elle un axe de travail pour votre direction achats ?
La relocalisation n'est pas un axe stratégique en soi, mais c'est un axe footprint, c'est-à-dire des fournisseurs et des productions qui sont proches du lieu de site de distribution. Nous avons une grosse part de marché aux opérons aux États-Unis et en Chine, et il est important d'avoir des fournisseurs au profil international pour servir les hubs américains et chinois.
Notre priorité est d'aller chercher une dynamique de création de valeur, nous devons essayer de trouver, au sein de la direction achats, les moyens de faire croître le chiffre d'affaires de la marque. L'objectif est d'avoir les bons fournisseurs qui vont être capables d'investir demain, de proposer des innovations et de s'appuyer sur des chaînes de production courtes. La direction achats doit être là pour accompagner la croissance de la marque. La direction achats est le business partner essentiel d'une stratégie de marque, quelle qu'elle soit et qu'elle soit au travers des fournisseurs un support de l'innovation, de notre compétitivité et de notre démarche RSE.
Les achats deviennent un acteur incontournable, à 360°, du marketing, du développement, de la finance, de l'audit interne. Les softs skills et les hard skills d'un acheteur lui permettent aujourd'hui d'appréhender rapidement cette vision à 360° des enjeux. C'est la clé d'une bonne direction achats. C'est l'humain, l'équipe, qui intègre les enjeux à 360° d'une marque.
Quels sont les grands axes de votre politique RSE ?
La RSE est l'un des trois piliers de notre stratégie achats. Nous avons défini notre politique achats responsables en fonction des engagements de la marque sur les aspects sociaux, éthiques et environnementaux. Le management des risques repose sur des critères que l'on suit et que l'on anime avec nos fournisseurs. Le risque d'image, notamment, est fort pour nous. Nous menons de nombreux audits. Nous travaillons avec nos fournisseurs sur des road map green, sur des matières biosourcées, des filières sans plastique, sur la réduction du transport aérien. Il y a vraiment deux aspects. Un angle achats responsables sur la partie fournisseurs (audits sociaux et environnementaux, éthique/compliance). Nous devons également nous assurer que nos fournisseurs l'intègrent dans leur développement, aussi bien les PME que les multinationales. Le deuxième facette concerne les solutions que nous pouvons, nous, achats, apporter : solutions de process technologiques, industriels, alternatives écoconçues...
Aujourd'hui, lors des business review avec nos fournisseurs, l'essentiel de la discussion porte sur les moyens que l'on se donne pour incarner ce développement durable et partager la façon dont ils peuvent nous aider ; nos fournisseurs ne nous ont pas attendus pour avoir des road map RSE très poussées.
Lire la suite en page 2 ce et article : Que faites-vous pour "verdir vos packagings" et abaisser votre consommation de plastique ? - Sur quels éléments votre direction achats agit-elle pour contribuer à abaisser l'empreinte carbone de l'entreprise ? - J'imagine que vous travaillez beaucoup en lien avec le marketing ? - Ensemble, il vous faut "sentir" les tendances... Quelles sont celles que vous avez identifiées et qui vont driver le business ? - Lorsque vous détectez une innovation chez un fournisseur, quels moyens êtes-vous capables de déployer pour l'aider à la développer ? -
et en page 3 de cet article: Vous avez probablement des fournisseurs qui travaillent aussi pour des concurrents. Comment parvenez-vous à être un client cible ? - Comment identifiez-vous la performance achats et comment travaillez-vous avec la finance sur ce sujet ? - Comment êtes-vous structurés ? - Quels enseignements tirez-vous de cette période très particulière ? - Comment envisagez-vous l'évolution de la fonction ? - Qu'est-ce qui vous ferait dire : "J'ai réussi ma mission chez Sephora" ?