L'acheteur influenceur/acteur du changement dans l'entreprise tant en interne qu'en externe
La transformation, le changement sont souvent associés à la fonction achat, peut-être parce qu'elle n'a jamais cessé d'évoluer et qu'elle évoluera encore...
Je m'abonneL'acheteur au travers de sa position d'interface entre les clients internes et les fournisseurs initie, subit, de nombreux changements voire des transformations. La digitalisation, les différentes crises, les enjeux sociaux et environnementaux ont engendré un climat propice à l'inconstance nécessitant pour la fonction achat de se remettre en cause de façon chronique. Elle doit donc être capable d'influencer, porter, piloter, et accompagner le changement afin d'apporter à la firme tous les leviers de performance opérationnelle et économique indispensables à son développement.
Le quotidien de l'acheteur, un environnement complexe
Contextualisons l'environnement dans lequel évolue l'acheteur, il est confronté à plusieurs facteurs : des crises (économique, sanitaire, géopolitique) ; une volatilité des prix (matières premières, énergies, etc.) ; de nouveaux acteurs sur les marchés fournisseurs ; des exigences plus importantes des clients ; des évolutions technologiques constantes ; de nouveaux « business models » , une recherche de performance et de compétitivité accrue. L'ensemble de ces facteurs positionne son rôle à l'épicentre des transformations de l'entreprise, avec d'un côté, un « écosystème fournisseurs », et de l'autre, les clients (Bichon, Merminod, et Kamann, 2010). Ajoutons à cela, que « le changement est désormais envisagé comme une posture permanente affectant les entreprises et les individus qui les composent » (Pesqueux, 2008). L'ensemble de ces phénomènes oblige l'acheteur à subir et/ou piloter des changements intrinsèques à son activité et ses enjeux. Multiplicité et hétérogénéité, ce sont deux mots traduisant bien la complexité du métier d'acheteur. La multiplicité des marchés fournisseurs à suivre, à comprendre et à connaître, l'hétérogénéité des besoins à appréhender et à s'approprier sont des sources de complication.
Nous pouvons notamment observer cette complexité lors de la réalisation d'achats de matières premières (titane, aluminium, énergies, etc.) sur des marchés pénuriques, d'achats de prestations intellectuelles (marketing, IT, etc.) nécessitant une diversité d'expertises, ou encore d'achats de composants électroniques avec des problématiques d'obsolescence. Selon Van Weele (2009), la multiplicité des marchés fournisseurs à surveiller et donc à connaître, explique la difficulté des acheteurs à analyser en profondeur ces marchés. L'internationalisation des achats a considérablement étendu le périmètre d'investigation des marchés fournisseurs et a influencé significativement les stratégies achats (Bruel et al., 2007).
De la même manière, l'acheteur s'efforcera de réduire les interfaces avec les fournisseurs qui sont des sources de dispersion et d'inefficacité dans la relation. La mutation des organisations de production avec des modules ou des ensembles finis ou semi-finis (exemples : aéronautique, automobile) et donc des besoins, renforce et accélère la mise en place de « supply chain » sécurisée et interopérable. À cela, il convient d'ajouter une tendance forte à l'impartition qui a un impact fort sur la demande externe, la gestion des risques et le pilotage de la relation fournisseurs (Barreyre, 2010). L'ensemble de ces facteurs créent de l'intrication organisationnelle (Merminod et Poissonnier, 2016) dans les relations qu'elles soient internes ou externes et influencent le profil des acheteurs et leurs compétences.
Implication amont, collaboration, et co-construction : les piliers de la conduite du changement
L'implication amont, première étape clé du processus achat, est la première difficulté à laquelle doit répondre l'acheteur. Elle est d'autant plus ardue qu'elle combine deux enjeux : disposer d'une connaissance de l'ensemble des familles d'achats à adresser et disposer des ressources suffisantes pour traiter l'ensemble des demandes. L'acheteur ne peut pas être raisonnablement un multi-spécialiste omnipotent sur l'ensemble des besoins, même s'il saura s'adapter ; la courbe d'apprentissage liée à la prise de connaissance de certains marchés fournisseurs peut être longue, mais reste obligatoire pour l'acheteur. Il devra également connaître les méthodes attachées à l'analyse du besoin telles que la conception à coûts objectifs, l'analyse fonctionnelle, l'analyse de la valeur, etc., et ce malgré, leurs niveaux de complexité. Quant à la rédaction du cahier des charges, il existe plusieurs méthodes. C'est en effet au client interne d'exprimer son besoin et de rédiger le cahier des charges afférent, ce qui ne veut pas dire que l'acheteur n'y contribuera pas. Au contraire, son rôle est bien d'apporter toute sa connaissance du marché fournisseurs en amont au travers du marketing achat pour favoriser l'adéquation des besoins aux marchés externes le plus rapidement possible. Ces situations sont encore assez fréquentes et placent l'acheteur en position délicate vis-à-vis du client interne et sont sources de situations conflictuelles. Van Weele (2009) repositionne les objectifs de l'acheteur vers l'externe dans cette étape amont plutôt qu'en interne au travers de l'analyse des gains potentiels et des leviers pour y parvenir. Dans tous les cas, l'acheteur doit maîtriser l'ensemble des composantes du coût des fournisseurs ainsi que les leviers accessibles pour que son intervention se déroule dans les meilleures conditions (Monczka, Trent, et Handfield, 2005). La construction de démarches collaboratives par la fonction achat permettra de faciliter les relations interorganisationnelles procurant sous certaines modalités des avantages concurrentiels en fonction (Dyer et Singh, 1998).
Des situations polymorphes à forts enjeux générateurs de changement
Le rôle de la fonction achat est devenu de plus en plus composite au fil du temps, du fait
des changements économiques, environnementaux, sociétaux, et technologiques, et de l'augmentation de son niveau de maturité améliorant ainsi sa légitimité.
Intéressons-nous aux situations pour lesquelles l'acheteur devra conduire le changement :
- Transformation d'organisation et/ou de gouvernance ;
- Lancement d'un nouveau produit et/ou service ;
- Démarche d'amélioration de la compétitivité ;
- Externalisation d'une activité ;
- Changement d'outil et/ou de processus ;
- Fusion entre deux sociétés ou vente de tout ou partie d'une société ;
- Changement de fournisseurs ;
- Élaboration d'un nouveau modèle économique ;
- Développement de l'innovation ;
- Partenariat avec une start-up ou une PME innovante ;
- Évolution de la culture d'entreprise ;
Lire aussi : L'acheteur, architecte de l'économie circulaire ?
- Déploiement d'une nouvelle stratégie achat ;
- Mise en place d'une démarche achats responsables ;
- L'intégration d'une nouvelle technologie ;
- Co-développement avec des fournisseurs ;
- Relocalisation de la production ;
-...
Toutes ces situations ajoutent de la complication au quotidien de l'acheteur, et nécessitent de sa part un panel de compétences larges et de plus en plus orientées vers les aptitudes interpersonnelles (communication, leadership, créativité, relationnel, collaboration, coconstruction). La fonction achat est donc de plus en plus souvent présentée comme un levier pour introduire et mener le changement dans l'entreprise. De fait, le développement de l'externalisation, de la RSE, du numérique et de l'innovation via les marchés fournisseurs entraîne des modifications structurelles dans les relations interentreprises et engendre fréquemment des changements dans les organisations clients et fournisseurs impliquées.
La fonction achat est donc un acteur/influenceur du changement via son positionnement dans l'entreprise, mais aussi à l'extérieur sur les marchés fournisseurs. Elle fait le lien entre les opportunités, les innovations des écosystèmes fournisseurs et les attentes des clients au travers de ses compétences relationnelles. Elle transforme les modes de fonctionnement, les schémas de production, contribue au développement de nouvelles supply chain, tout en analysant les pratiques de l'entreprise par rapport aux bonnes pratiques externes. De plus, de par sa finalité, la fonction achat est dans une démarche d'amélioration continue l'obligeant à remettre en cause continuellement les solutions achats sélectionnées hier et aujourd'hui pour construire celles de demain en intégrant ainsi de manière systémique la conduite du changement dans son « mindset » et son « operating model ». Une position « challenging » mais passionnante...
Pour aller plus loin :
Raphaël Belliere - Lottier (Docteur en Sciences de Gestion) est Directeur Général Adjoint en charge des Achats, du Digital et de l'Innovation MEOGROUP.