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Innovation : comment et pourquoi les achats y contribuent

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
Innovation : comment et pourquoi les achats y contribuent
© lenets_tan - Fotolia

Pourquoi est-ce aux achats de se saisir de ce sujet et... le font-ils? Comment s'organiser en interne et comment travailler avec l'externe ? Quelles compétences intégrer pour mener à bien cette mission? Les retours d'expériences et témoignages recueillis sur notre table ronde apportent un bel éclairage sur ce sujet.

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Le 18 novembre, dans le cadre d'un événement digital organisé par Décision Achats, nous avons organisé une table ronde sur le thème de la contribution des achats à l'innovation. Cette table ronde a réuni Karine Alquier-Caro - directrice achats groupe de Legrand, Eric Dos Santos, directeur achats innovation & partenariats chez Schneider Electric ; Romaric Servajean-Hilst - Professeur et directeur académique des parcours achats MAI executive education et Jean-Pierre Cousy, directeur R&D de Legrand , division infrastructures numériques. Leur témoignage:

Pourquoi les achats doivent-ils contribuer à l'innovation? Et... le font-ils?

Eric Dos Santos - Les achats ne sont pas que des facilitateurs, c'est une fonction impliquée dans les sujets clefs de l'entreprise. Ils doivent contribuer au développement de l'entreprise, à sa résilience. L'ensemble de l'entreprise doit comprendre le positionnement et la valeur ajoutée des achats dans le processus d'innovation.

Mais on part de loin. La réalité n'est pas là... La Covid a exposé encore plus la fonction achats sur sa capacité à rendre sa Supply Chain resilient (delivery, customer intimicy, data insight, supplier Relationship) et continuer à contribuer à la transformation de l'entreprise : l'innovation, Sustainability,... . La Covid-19 ne modifie pas nos priorités à long terme ! Je considère que les achats sont un maillon clé de l'innovation et qui doit continuer à être déployer dans l'ensemble de l'organisation achats et l'entreprise. La valeur ajoutée des achats se situe aussi bien sur la Bottom line que la Top line de l'entreprise pour servir les différents besoin court /moyen & long terme.

Exemples : Comment l'innovation peut-elle être au service de la résilience de la supply chain ? Comment l'innovation contribue-t-elle à répondre à notre enjeu ESG ? Comment l'innovation contribue-t-elle à l'innovation des offres de produits, software & service? La question est comment faire pour la rendre "scale" dans ce monde actuel ?

La notion de partenariat est forte aux achats pour aller du transactionnel vers la cocreation de valeur (au travers du codéveloppement, open innovation, etc.) avec notre ecosystème de partenaires (fournisseurs connues ou inconnues, start up, academics, etc.). Nous travaillons étroitement avec nos équipes projets/Business pour être en "Procurement Earlystage" autour de nos roadmap (inclusions technologiques), les domaines stratégiques (exemples : Sustainability, IA, Building of the future,...). Est-ce qu'aujourd'hui ce modèle de collaboration est elle mature dans toutes les entreprises, nos fournisseurs ? Avons-nous toujours la capacité à manoeuvrer nos organisations, investissement pour être le plus pro-actif ? pour "scale le modèle"

Romaric Servajean-Hilst : Les achats ont du mal à être impliqués dans l'innovation. La plupart du temps ils le sont administrativement car il faut référencer les fournisseurs ou valider les demandes d'achat. Ce n'est pas là qu'est la valeur. Dans l'Observatoire des Achats et de l'Innovation que j'ai monté avec les étudiants du MAI de Kedge Business School, ce que l'on voit c'est que plus ils sont impliqués, mieux ils le sont. Quand les achats réussissent à participer aux projets d'innovation, ils interviennent dès l'amont ; c'est là qu'est la valeur.

Karine, vous, achats, avez été fortement impliqués dans une innovation qui a été primée lors des Trophées Décisions Achats / CNA. Pouvez-vous nous expliquer rapidement ce que vous avez développé et nous dire surtout comment et pourquoi et comment les achats sont montés en première ligne ?

Karine Alquier-Caro : Nous avons développé un interrupteur sans fil dans le cadre d'un partenariat avec le CEA Tech de Grenoble. Nous sommes partis d'un besoin interne pour monter un partenariat au niveau groupe. Il fallait une coordination transverse pour mener cette rupture d'innovation. Pour convaincre tout le monde, l'équipe a demandé à la direction des opérations qui s'est tournée vers la direction achats, la direction la plus transverse qui pouvait assurer la cohésion du partenariat. La direction Future tech a des compétences très technologiques mais moins de coordination, d'arbitrage et de gestion globale des composantes d'un partenariat. La direction achats est la plus à même de faire le lien entre l'offre partenaires et les besoins structurels du partenaire. Il fallait quelqu'un qui soit proche de la direction et qui ait le bon niveau stratégique pour orienter les arbitrages.

La direction des opérations me savait capable de convaincre en interne et en externe.

Romaric, existe-t-il une dominante ? Des secteurs où les achats sont plus en pointe sur l'innovation ?

Romaric Servajean-Hilst : Aujourd'hui, on ne voit pas de lien statistique entre secteurs d'activité et niveau d'implication des achats dans l'innovation. On ne voit pas non plus de différence entre achat direct et indirect. Par contre, les premiers à avoir travaillé sur ce sujet sont les acteurs de l'automobile, puis de la pharmacie, de l'électricité, de l'aéronautique et ensuite dans le secteur bancaire. Il y a eu beaucoup d'initiatives intéressantes il y a 4 ou 5 ans. Mais la Covid a tout remis à plat. La crise a été un prétexte pour rogner sur les postes ou sur les rôles des achats dans l'innovation ; l'innovation, a fortiori aux achats, cela vient bousculer les habitudes.

Lire la suite en page 2 de cet article: Quelle organisation mettre en place pour mener à bien cette mission "quête de l'innovation"? et Quelles sont les compétences requises pour faire des achats d'innovation ?, en page 3 de cet article


Quelle organisation mettre en place pour mener à bien cette mission "quête de l'innovation"?

Quelle organisation interne ?

Eric Dos Santos - Schneider Electric : L'innovation doit être diffusée au travers de l'organisation achats. C'est pour cela que nous avons décidé chez Schneider Electric de mettre l'innovation au plus proche du business, des opérations avec nos équipes projets, les achats d'exploitation, le catégorie management. Est-ce la bonne solution ?

Mon rôle centrale est de transformer et de développer la culture de l'innovation au sein des achats, et au travers de nos différents parties prenants (comme la R&D, le business/customer, Global Supply Chain,...). Je suis la porte d'entrée de notre organisation Innovation@edge qui reporte au Comex.

Notre proposition de valeur est de capter, collaborer & développer avec nos fournisseurs dans une approche end to end. L'innovation est au coeur de notre relation fournisseur comme un éléments de la performance et d'attractivité. Nos équipes achats doivent être les plus agiles possible dans les relations externe/interne.

Un des exemples concrets a été de transformer notre collaboration avec les startups où nous avons adapté nos process achats (exemples : création d'une catégorie, audit & contrat adapté, people avec des compétences spécifiques, start up coaching) et élargi nos modèles d'engagement comme l'incubation, l'investissement pour compléter l'approche de codéveloppement technologique ou des nouveaux business model. Ce travail est payant puisque nous avons réalisé plus de 50 projets d'innovation avec eux cette année au travers de nos différents zones géographiques.

Karine, vous avez travaillé main dans la main avec Jean-Pierre Cousy, directeur R&D de Legrand et lors de la cérémonie des Trophées, vous l'avez associé à la remise de prix. Un partenaire habituel, pour vous ?

Karine-Alquier-Caro : Oui,en effet. Les acheteurs sont partie prenante dans le processus de développement des produits nouveaux du Groupe. Mes équipes, en particulier les acheteurs opérationnels sont présents auprès des plateaux de développement R&D. Nous avons depuis 6 ans investi pour développer les compétences Achats pour mieux porter les innovations fournisseurs auprès des équipes R&D et challenger les spécifications dans les projets en gardant une approche fonctionnelle du besoin . Les acheteurs ont été formés à la méthode agile également.

Jean-Pierre Cousy - Comment envisagez-vous la relation avec les achats ?

Jean-Pierre Cousy : Le partenariat entre la direction recherche et développement est les achats est plus que nécessaire : il s'est déjà concrétisé par une vingtaine de collaborations depuis une quinzaine d'années mais là, nous sommes passés un cran au-dessus. Souvent, nous étions dans un passage de relais avec les achats, alors que, dans le cas présent, nous a travaillé en amont ensemble. Et nous sommes allés chercher une collaboration avec un écosystème complet. Les achats sont allés chercher un contrat cadre qui puisse s'intégrer à nos études avec un plateau dédié. Nous avons aussi travaillé avec le juridique et les achats ont piloté la rédaction du contrat de collaboration. Nous nous sommes appuyés sur un document de cadrage de démarrage partenarial qui a cadré la relation avec nos partenaires, "le mémo collaboration".

Beaucoup de direction achats se plaignent d'être dans une position de sous-traitants et je suis toujours surpris de voir que notre façon de travailler n'est pas la norme. Pour moi, c'est une évidence. Les achats sont des partenaires tout au long du processus.

Karine, pouvez-vous nous dire si, suite à ce projet le regard interne sur les achats a évolué en interne ?

Karine Alquier- Caro : Le regard sur les achats a changé. Nous avons eu de bonnes retombées et la fonction achats est reconnue en interne comme légitime pour porter des projets de co-innovation. Nous sommes sollicités sur d'autres projets. Ce changement culturel faisait partie de ma road-map. J'ai été mandaté pour ouvrir les achats sur l'innovation, entre autres champs. J'ai été aidée par l'arrivée de la startup Netatmo, achetée par Legrand, qui a bousculé les choses. Nous avons appris à mieux accompagner les start-ups à intégrer notre écosystème fournisseurs et Innovation.

Romaric, quel regard portez-vous sur ce cas d'école?

Romaric Servajean-Hilst : Il faut souligner l'importance de la genèse de la relation qu'ont souligné chacun de leur côté Karine Alquier-Caro et de Jean-Pierre Cousy. Ils ont démarré sur un besoin qui a été structuré en interne par la Direction Achats avec la R&D puis le partenariat a été monté sur la base d'un mémo de cadrage. C'est là pour moi que se trouvent beaucoup des clefs de la réussite du partenariat Achats-R&D puis client-fournisseur innovant : ils ont pris le temps de savoir ce qu'ils voulaient chacun et de ce qu'ils voulaient faire ensemble. C'est la clef du bonheur des couples.

Mesure des Kpis

Eric, comment mesurez-vous l'impact de l'innovation ?

Eric Dos Santos : Nous avons décidé de mesurer l'impact autour de trois dimensions : Contribution la croissance du groupe (en xx€ => nouvelles offres, nouveau business model), Efficacité (=> Vitality index, R&D pour accélérer les projets, Qualité, Cost, process) et le dernier l'impact sur la Sustainabilité (green material, circular economy, carbon footprint,etc...)

Cette mesure d'impact est un bon levier pour valoriser la contribution des partenaires qui se fait aussi au travers d'Award pendant nos temps fort comme les suppliers Days. Bien évidemment, il reste encore des points d'amélioration pour rendre plus robuste cette mesure et contribution des achats..

Quelle organisation mettre en place avec l'externe ?

Karine - Comment avez-vous travaillé avec votre écosystème sur ce projet ?

Karine Alquier-Caro : Avec le CEA Tech, nous avons organisé une relation à plusieurs niveaux : des comités de pilotage projet régulier dont un trimestriel auquel je participe, un comité stratégique annuel dans lequel les projets majeurs et événements de l'année (ateliers de présentation spécifiques Techdays ou Workshops) sont arbitrés et pré-programmés, lors duquel nous faisons le point sur le contrat cadre, en présence de notre Directeur Général Adjoint.Avec les autres partenaires, nous organisons également des Techdays durant lesquels ils présentent leurs innovations à nos R&D, acheteurs et marketeurs ainsi que des Design Focus Events, plus liés à un besoin pour un projet particulier, une soutenance spécifique.

Lire la suite en page 3 de cet article : Quelles sont les compétences requises pour faire des achats d'innovation ?


Quelles sont les compétences requises pour faire des achats d'innovation ?

Eric Dos Santos : Il faut accompagner les différentes contributions et transformation des compétences de l'acheteuse/acheteur de demain, sur ce que j'appelle l'acheteur 4.0 !

Cet acheteuse/acheteur qui vient compléter ces compétences de la performance industriel de ces fournisseurs au travers de la resilience de la supply chain (Quality, delivery, cost & compliance & risk) vers des acheteurs(ses) natifs digitaux, en enrichissant la partie innovation qui est beaucoup plus orienté vers le business et la collaboration. Pour cela, nous développons des compétences autour du digital, du partenariat management, business accumen, l'inclusivité (empathie) et la culture de l'innovation.

Développer une communauté d'acheteur(se)s, avec différents niveaux d'expertise autour de l'innovation, est notre modèle ! Sachant que pour cela, nous devons avoir des ambassadeur(se) team que j'anime pour déployer dans toute l'organisation (worldwide). Comme évoqué au début, tous les acheteurs n'ont pas le même niveau d'expertise ou opportunités, priorités. Le challenge est de diffuser ce mindset et pratique dans l'ensemble de l'organisation. C'est pour cela qu'il faut continuer à travailler notre community management et adapté nos pratiques ainsi que nos KPIs !

Romaric Servajean-Hilst : La palette des compétences est large. Il y a d'un côté toute une palette de compétences "hard skills" qui correspondent à ce qui est demandé pour des achats stratégiques mais également à des contract managers. Et de l'autre côté il faut une palette de soft skills qui demandent encore à être développées aux achats et qui correspondent plus à celles que l'on va retrouver chez les intrapreneurs. Sans la combinaison de ses compétences soft et hard, les résultats ne peuvent être là.

Karine, avez-vous, en interne, des acheteurs uniquement dédiés à l'innovation ?

Karine Alquier-Caro : Nous avons des process très structurés sur les achats projets. Mais je ne souhaite pas faire de distinction entre les acheteurs innovation et des acheteurs opérationnels. Ils sont présents dans les projets de R&D et ils travaillent avec l'appui des category managers. Il est difficile de changer d'interlocuteur pour parler uniquement d'innovation par rapport à l'interlocuteur achat opérationnel ou corporate habituel.

Les acheteurs sont-ils bien formés pour répondre aux enjeux de l'innovation ?

Romaric Servajean-Hilst :vIl y a un vrai besoin de compétences à tous les niveaux des départements Achats mais aussi Innovation. Car il faut savoir innover mais aussi collaborer. Souvent la clef se trouve dans la capacité des achats à vraiment travailler avec ses clients internes pour se et leur poser les bonnes questions business. Ils doivent comprendre le business, avoir une curiosité très forte pour la technologie et être en empathie.

Le défi pour nous académiques est de former les acheteurs pour répondre aux enjeux de demain. Mais le quotidien fait qu'il faut aussi répondre aux enjeux d'aujourd'hui, c'est un équilibre difficile à créer. Il faut créer des acheteurs ambidextres.

Il faut aussi les former sur le plan juridique, ce qui fait aujourd'hui rarement partie des compétences acquises. Ils doivent comprendre les impacts en termes de risques, savoir lire et comprendre les contrats, jusqu'au bout, savoir dialoguer avec les juristes. Par exemple, il faut qu'ils soient formés sur la négociation de contrats complexes, comme sur de la co-innovation, mais aussi sur la bonne application de clauses résolutoires sur un contrat classique.

Mais, finalement ... ces acheteurs sont-ils encore des acheteurs ?

Eric Dos Santos : Cela dépend de la proposition de valeur que l'on donne à la fonction achats. Nous, les achats, sommes une porte sur l'extérieur, sur l'écosystème qu'on essaie de manager, constitué de fournisseur, des startups et de de nos compétiteurs. L'externe, par essence, c'est le métier d'acheteur. La relation fournisseurs est leur mission. Je ne dis pas que l'acheteur est légitime sur tout, mais je dis qu'il doit être impliqué dès l'amont. Il faut ensuite décloisonner les schémas habituels, revoir les fondamentaux. Donc OUI les acheteurs sont des Innovateurs & business développeurs !

Romaric Servajean-Hilst : Ce que disait Eric plus tôt est très juste sur la mise en place de communautés d'acheteurs innovants pour réussir la greffe. J'ajouterai également qu'il faut aussi transformer le management des achats. Sans un management qui comprend l'acheteur qui innove, celui-ci s'épuise vite. Le manager doit alors être celui qui accompagne et non pas celui qui contrôle. On ne gère pas un acheteur qui fait de l'innovation comme l'acheteur qui achète des commodités. Il faut un changement de posture de ceux qui dirigent. Il faut former toute la chaîne hiérarchique.

Est-ce que ce n'est pas la personnalité du directeur achats qui fait la différence ?

Romaric Servajean-Hilst : C'est effectivement le plus souvent une question de personne car la plupart des organisations ont des stratégies orientées innovation. Il suffit qu'un patron des achats ne comprenne rien aux achats d'innovation pour que tout s'effondre. A chaque changement de poste dans les directions Achats comme Innovation, et le turn-over y est important, il faut tout reprouver et les acheteurs innovants peuvent se fatiguer à longue. Il faut des directeurs achats qui aient une vraie vision stratégique. C'est de la vision stratégique que découle la capacité à innover. La maturité achats est plus souvent liée à des histoires de personnes qu'à des histoires de secteurs.

Karine,que vous a apporté ce projet en tant qu'acheteuse ?

Karine Alquier-Caro : Ce fut très enrichissant. Cette opération nous a permis de grandir avec notre écosystème, en plus de générer un gain à deux. Cet échange est très riche. Nous avons noué un vrai partenariat qui fait que le CEa Tech nous présente ses innovations en cours et nous pouvons dire ce qui nous intéresse. Nous pouvons organiser notre échange et eux peuvent mesurer le potentiel de mise sur le marché de ce sur quoi ils travaillent. De notre côté, nous pouvons nous projeter sur l'intégration de ces innovations dans notre feuille de route de développement produits nouveau. Cette réussite est très gratifiante. L'innovation est effectivement une question de personnes, tout dépend des gens et de ce qu'ils ont envie de faire - et nous avons capitalisé dessus.

 
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