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DossierÀ quoi ressemblera la fonction achats en 2025 ?

Des rapports de force renversés en faveur des fournisseurs, des organisations achats qui devront allier centralisation et flexibilité : tel est, en substance, le schéma que dessine Natacha Tréhan, maître de conférences responsable du master Desma et chercheur au Cerag, une unité du CNRS.

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À quoi ressemblera la fonction achats en 2025 ?

1 Des achats créateurs de valeur

Nous sommes au coeur d'un changement de paradigme économique que nous nommons, à la suite de Halévy, la "révolution noétique" (du grec noôs "connaissance"). Elle est le passage de la société des objets et de la consommation à la société de la connaissance et de l'information, d'une économie industrielle à une économie immatérielle. Cette révolution s'accompagne d'une recherche de sens et de valeurs morales. Ce changement de paradigme économique impacte les missions de la fonction achats.

D'une logique historique de réduction des coûts, les achats sont passés à une dimension de gestion des risques, principalement au cours de la décennie 2000. Ils se doivent, demain, de contribuer à la création de valeur pour les clients finaux, a fortiori les actionnaires.

Créer de la valeur nécessite d'accompagner l'entreprise dans la (re)définition de son business model. Une compréhension fine de la chaîne de valeur de l'entreprise est au coeur des attentes des directions générales. Elles ambitionnent également que les achats deviennent des apporteurs d'affaires et qu'ils contribuent à l'identification de cibles potentielles dans une logique de business development.

La contribution à la création de valeur passera, selon les directions générales, par un rapprochement des achats avec le marketing et le commercial.

Dans certaines entreprises, les acheteurs accompagnent déjà les forces de ventes lors de rendez-vous clients. Cela contribue à donner du crédit au discours commercial. Ces derniers peuvent ainsi proposer de nouveaux marchés grâce à la captation de l'innovation chez leurs fournisseurs. Les directions générales pensent aussi que les achats peuvent identifier des cibles potentielles pour de futures joint-ventures ou des fusions-acquisitions.

Enfin, dans un monde en quête de sens, les directions générales attendent des achats qu'ils soient les premiers contributeurs aux enjeux de CSR (corporate social responsibility)

L'auteur

Natacha Tréhan est docteur en sciences de gestion, maître de conférences à l'IAE de Grenoble et directrice du master Desma. Elle est chercheur au Centre d'études et de recherches appliquées à la gestion (Cerag), unité de recherche du

CNRS.

L'ensemble de l'étude "La fonction Achats demain : analyse prospective par la méthode PM" sera publiée courant 2014 dans la revue Management et Avenir. Elle a été menée auprès de 42 directeurs généraux et achats.

Interview de Natacha Tréhan "En 2025, le rapport de force s'inversera au profit des fournisseurs"

Si les entreprises attendaient historiquement des achats qu'ils réduisent avant tout les coûts, les directions générales ambitionnent désormais que cette fonction devienne apporteuse d'affaires. Ce qui passera par un rapprochement avec les services marketing et commercial.

2 Réinventer les relations avec les fournisseurs

Dans le cadre de ce nouveau rapport de force, il va devenir impératif de se différencier de ses concurrents à l'achat afin de devenir un client préférentiel auprès de ces fournisseurs. Le premier défi consistera à repenser les modes de rémunération de ces fournisseurs.

L'enjeu consiste à se démarquer des schémas dominants des concurrents à l'achat (volume contre réduction de prix) afin de devenir client cible. L'acheteur devra construire un écosystème intégrant le partage de la valeur ajoutée entre client et fournisseur. Nous irons de plus en plus vers des modèles de rémunération de type "pay as you grow" ou "revenue sharing". Aujourd'hui, seulement 7 % des entreprises dans le monde proposent des contrats de partage des gains avec leurs fournisseurs.

De plus, il convient de repenser les indicateurs de performance des fournisseurs best in class. Aujourd'hui, le modèle classique reste celui des acheteurs qui notent leurs fournisseurs et leur appliquent des plans de progrès. Demain, la mesure de performance sera co-construite et bidirectionnelle.

Enfin, si la fonction achats se doit de réinventer les relations avec les fournisseurs, c'est parce que les "types" de fournisseurs ne seront plus les mêmes. À l'avenir, la création de valeur passera par l'open-innovation, basée sur le partage, l'échange, la sérendipité.

D'une logique de co-développement classique avec un fournisseur, l'innovation va éclore au sein de relations réticulaires intégrant aussi bien des particuliers, des clients et des centres de recherche que des concurrents.

L'acheteur gérera ainsi une pluralité de fournisseurs protéiformes, ce qui nécessitera de repenser les notions de propriété intellectuelle et les frontières organisationnelles de l'entreprise.

En 2025, on observera un véritable renversement des rapports de force en faveur des fournisseurs "best in class". Comme de nombreux directeurs achats l'ont souligné : " Demain, ce sont les fournisseurs best in class qui nous choisiront. "

3 Vers plus de "fléxi-centralisation" au sein des organisations achats

Ainsi, ces dernières vont tendre vers une "fléxi-centralisation".

  • Centralisation
    Afin de favoriser la visibilité sur les marchés fournisseurs et le "one voice to supplier" (le fait d'avoir un seul point d'entrée vers les fournisseurs-clés).
  • Flexibilité
    En raison d'un environnement complexe et face aux incertitudes, les besoins d'adaptabilité augmentent.

Le

s achats doivent donc résoudre cette contradiction entre une tendance à la centralisation des organisations et un besoin de flexibilité.

Pour y parvenir, les outils ­collaboratifs et de partage vont se généraliser au sein des organisations achats. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs déjà largement adopté Twitter, Facebook, réseaux sociaux internes, sharepoint, etc.

Le renversement du rapport de force en faveur des fournisseurs stratégiques combiné à la raréfaction de certaines matières premières, ainsi que la concentration de nombreux marchés fournisseurs vont favoriser la transformation des organisations achats.

4 De la notion de client interne à celle de business partner

Pour de nombreux directeurs achats, le terme de "client interne" limite, voire biaise, la relation entre acheteurs et prescripteurs. Afin de faire face aux enjeux futurs de réinvention des business models et de création de valeur, la fonction achats doit être appréhendée comme un partenaire d'affaires à part entière par les business units (BU) et non uniquement comme une fonction support ou de service.

Les relations avec ces BU doivent être mutuellement exigeantes, comme le souligne notamment le directeur achats de Sanofi. Leurs objectifs réciproques doivent converger pour construire et défendre l'avantage concurrentiel de l'entreprise.

L'acheteur doit développer en priorité son leadership, c'est-à-dire sa capacité à influencer ses prescripteurs sans autorité hiérarchique. Une qualité également déterminante dans la transformation des relations avec les fournisseurs. Les directeurs achats parlent d'"intelligence émotionnelle".

Selon eux, les soft skills seront de plus en plus importants demain.

Plus qu'une fonction support ou de service, la fonction achats doit désormais être appréhendée comme un partenaire d'affaires à part entière par les business units. Pour ce faire, l'acheteur doit développer en priorité son leadership.

5 L'acheteur de demain : un mutant noétique

Théoricien américain du management

Théoricien américain du management

Peter Drucker

Dans l'esprit des "T Men", du théoricien américain du management Peter Drucker, les acheteurs doivent être, a minima, de bons spécialistes-généralistes. En effet, les acheteurs doivent être des professionnels experts dans leur métier (dimension verticale du T) avec une bonne compréhension des autres fonctions de ­l'entreprise (dimension horizontale du T) et de sa stratégie.

Mais, pour faire face à l'incertitude grandissante, à l'hyper-information et aux challenges de la révolution noétique de demain, les acheteurs devront de plus en plus sortir des logiques binaires, remplacer la logique du OU exclusif par celle du ET inclusif. Ils devront développer une pensée holistique et non parcellaire, allier à la fois rationalité et intuitivité. Développer la créativité pour résoudre des problèmes complexes sera essentiel.

Avec la raison, on va de A à B, avec l'imagination on va partout. Il conviendra donc de réhabiliter le cerveau droit.

Tous ces éléments caractérisent, en fait, un mutant noétique tel qu'il est défini par Halévy.

Plus qu'un expert, l'acheteur devra veiller à développer une bonne compréhension des autres fonctions de l'entreprise et de sa stratégie. La clé ? En développant notamment une pensée holistique et non parcellaire.

6 Rétrospective de la fonction achats

  • Années 1970

    Les crises pétrolières sont les ­premiers catalyseurs de la reconnaissance de la fonction achats. L'entrée dans une croissance ralentie, une inflation et des taux d'intérêt élevés, une intensification de la concurrence, une demande des consommateurs vers une offre plus différenciée sont autant de paramètres qui vont inciter à une meilleure prise en compte des achats comme contributeurs à la défense de l'avantage concurrentiel des entreprises.
    Le Professeur Barreyre, en France, a été le premier à reléguer la dimension administrative du "materials management" derrière la dimension plus stratégique du "purchasing management". Sous son impulsion, naissait la première formation universitaire habilitée, en France, à délivrer un diplôme de 3e cycle pour former de futurs managers achats : le Desma (aujourd'hui master de l'IAE de Grenoble). Mais cette reconnaissance des années 1970 signifie souvent "réduction des coûts".

  • Années 1980

    Il faut attendre cette décennie pour migrer vers une logique de "gestion des ressources fournisseurs" qui est à relier à la découverte du modèle japonais.
    Apparaît alors la notion "d'entreprise ­étendue".

  • Années 2000
    La professionnalisation des achats amorcée dans l'industrie se diffuse dans le tertiaire au début des années 2000 (banques, assurance, télécommunications...).
    De nouveau, la crise agit comme un catalyseur de la reconnaissance des achats.

  • Après 2000

    L'explosion de la bulle internet en 2000-2001 provoque un ralentissement de l'activité économique et une crise financière. C'est ainsi que la fonction achats groupe est créée fin 2000 à la Société Générale, en 2001 chez Axa et en 2003 chez France Télécom. De même, la crise de la dette publique est à l'origine de la diffusion de la fonction au sein du secteur public.
    En Europe, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 1997, en incitant à la maîtrise des dépenses publiques, favorise la prise de conscience de l'importance des achats.
    En France, la révision générale des politiques publiques de 2007 renforce le PSC avec, comme résultante, la création du Service des achats de l'État en 2009. La complexification des relations inter-­entreprises combinée à un environnement de plus en plus instable, imprévisible fait de la sécurisation de la supply chain la priorité à la fin des années 1990. La fonction achats est au coeur des problématiques de gestion du risque durant toute la décennie 2000.
    Au final, la fonction achats est une fonction relativement jeune, dont l'actualité est encore en construction et le futur à bâtir.

Des crises pétrolières en 1970 à l'explosion de la bulle internet dans les années 2000 ; focus sur les années qui ont marqué les différentes étapes et évolutions de la fonction achats.

7 Pour en savoir plus...

Les acheteurs parlent ressources humaines

Comment s'organisent les plans de formations achats? Quelle est la politique de gestion de carrière? Quels sont les débouchés pour les acheteurs? Autant de questions qui ont été débattues par une quarantaine de directeurs achats lors d'une table ronde organisée mi-janvier. Compte rendu.

Accompagner la mutation des achats en centre de profit

La fonction achats présente un caractère stratégique dans l'entreprise, à tel point qu'elle est souvent considérée comme centre de profit. Mais comment accompagner la maturité des achats pour en faire un tel centre de profit ? Issu de Décision Achats n°163 - Avril 2013

Les achats, une fonction-clé de l'écosystème

Devant un parterre d'acheteurs du public et du privé, et de consultants, les spécialistes de la question achats se sont succédé pour dresser un portrait non exhaustif de la fonction, de ses enjeux et de ses défis à l'aube de 2013. RSE, gestion du risque fournisseurs, profil de l'acheteur de demain... sont autant de points abordés lors de cette journée de conférence achats qui s'est tenue le 11 décembre dernier à l'Hôtel International Scribe, à deux pas de l'Opéra de Paris.

Pour en savoir plus sur la fonction achat nous vous invitons à consulter ces liens complémentaires

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