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DossierCréer le service achats d'une PME

Poser la première pierre d'un service achats digne de ce nom ? Ou faire monter en puissance une structure achats balbutiante ? Un pari qui peut intéresser un acheteur senior. Car les PME sont de plus en plus nombreuses à percevoir l'opportunité économique qu'offre la professionnalisation des achats.

Publié par Stéphanie Marius le
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Créer le service achats d'une PME

1 Déployer une culture achats en partant de zéro

Et si l'avenir des acheteurs était dans les PME ? Voilà la question que l'on peut se poser tant les achats deviennent, crise économique oblige, une fonction structurée dans un nombre croissant de petites entreprises. Si la création d'un tel service en PME se justifie d'abord par un ratio élevé des achats dans le chiffre d'affaires, "dans bon nombre de sociétés industrielles, cette part dépasse 80%, contre 30% pour les entreprises de services", constate Grégory Richard, manager performance achats au sein du cabinet en management des coûts Lowendalmasaï. Le défi, pour tout acheteur oeuvrant dans une PME -qui plus est industrielle-, consiste donc à optimiser les familles "stratégiques", notamment les achats directs, coeur de l'activité. Mais, qu'il s'agisse de rationaliser la supply chain ou d'optimiser les achats de matières premières, de tels objectifs doivent être appréhendés de manière spécifique dans une petite structure, aux enjeux et ressources qui diffèrent de ceux d'un grand compte. Surtout si vous êtes seul pour vous atteler à un tel chantier! "Mettre en place un premier poste d'acheteur au sein d'une PME qui n'en a pas la culture s'avère forcément complexe, rappelle Grégory Richard, d'autant que l'acheteur n'y dispose pas d'une latitude forte pour structurer, en amont, sa démarche, vis-à-vis des fournisseurs."

2 Faire preuve de pragmatisme

Capacité de négociation limitée, sourcing à l'international complexe à mettre en oeuvre, etc., face à de telles contraintes, difficile de déployer une stratégie achats par familles. D'où la nécessité de faire preuve de pragmatisme. Une qualité essentielle pour obtenir des remises auprès des fournisseurs, malgré un volume global d'achats ne dépassant pas, dans certains cas, 15 à 20 M€ par an. "En effet, une PME est moins attractive qu'un grand compte sur le marché des fournisseurs. C'est pourquoi elle doit s'appuyer sur les acteurs de son écosystème local, plus enclins à travailler avec elle, selon des intérêts communs", note Guillaume Leprince, manager chez Meotec, cabinet de conseil en achats. Lequel rappelle que, pour bénéficier des mêmes avantages de négociation que les grands donneurs d'ordre, recourir à un groupement d'achats est une alternative intéressante.

On l'aura compris, structurer une fonction achats en interne, en partant de rien ou presque, suppose une certaine dose d'adaptation. "À la différence de ce qui se passe chez les grands comptes, dotés de services achats structurés où les tâches sont fractionnées, dans une PME, l'acheteur unique doit tout gérer de front: la dimension stratégique et tactique des achats sans oublier les problématiques opérationnelles", constate Grégory Richar. Un périmètre d'intervention plus large, qu'il faut savoir assumer.

3 Exit l'acheteur-approvisionneur !

"Certes, il est stimulant d'avoir la responsabilité du process achat de A à Z, mais gare à la polyvalence à tout va, qui peut entraver le sens même de l'action des achats", prévient Gregory Richard. En effet, comment apporter de la valeur ajoutée aux clients internes, tout en gérant seul un large panel de catégories, pouvant aller des achats de production jusqu'aux frais généraux? "Il est impossible de développer une compétence technique sur tous les segments d'achats, d'où la nécessité de miser sur une professionnalisation progressive, selon les priorités de l'entreprise. Tout d'abord, en boostant son expertise sur les familles générant le plus d'opportunités, de facto, les achats directs. Puis, en s'appuyant ponctuellement sur des cabinets extérieurs pour gérer, dans un second temps, les achats moins coeur de business, à l'instar des frais généraux", conseille le manager. L'enjeu d'une telle spécialisation est de taille: éviter de tomber dans les travers de l'acheteur de PME multitâche cantonné à des missions annexes: approvisionnement, gestion des moyens généraux... "Cette figure a fait son temps dans les PME, lance Gregory Richard, tant l'acheteur moderne doit savoir apporter un faisceau de leviers plus larges sur les familles où il est expert."

4 Binôme gagnant-gagnant

Un prérequis essentiel pour susciter la reconnaissance des clients internes. "Surtout dans les sociétés industrielles où les achats s'avèrent très techniques. Le challenge, pour les acheteurs, consiste donc à instaurer un dialogue d'égal à égal avec les prescripteurs", note Guillaume Leprince. Un binôme gagnant-gagnant loin d'être aisé à instaurer, "qui plus est dans les PME où les clients internes, forts d'une certaine ancienneté, n'ont jamais côtoyé d'acheteurs au cours de leur carrière. Dans ces conditions, difficile pour eux de collaborer avec ces nouveaux venus et, plus encore, de leur déléguer certaines prérogatives", développe le spécialiste. À charge pour vous de les convaincre! Comment? "Il n'y a pas de recette miracle, si ce n'est démontrer petit à petit, sur chaque nouveau dossier, la valeur ajoutée générée par les achats et ce, tout en s'appuyant sur le soutien de la direction générale, toujours nécessaire mais loin d'être suffisant", analyse Stéphane Grenat, business manager chez Meotec. Une fois ce cap franchi, reste à faire grandir un tel service via les recrutements. "Attirer des jeunes acheteurs dans une PME n'est pas une mince affaire. D'où la nécessité de capitaliser sur les points forts d'un tel poste: l'autonomie élargie, le périmètre plus large de responsabilités, la possibilité de conduire des projets de A à Z...", conseille Gregory Richard. De quoi compenser quelques hiatus de taille, comme les perspectives d'évolution plus limitées et, surtout, le salaire moindre.


Nombre de PME et d'ETI décident de créer ou de doper leur service achats, ayant atteint une taille qui justifie ce besoin. Mais comment insuffler une culture achats en partant de rien ou presque ? Réponses.

5 "Transformer mes collaborateurs en acheteurs autonomes", Olivier Quintin, éditions Lefebvre Sarrut

Vous êtes passé de responsable achats chez Schindler France et Euler Hermès, où vous gériez des budgets de 100 à 150 M€, à un poste de directeur achats en ETI où vous gérez un budget de 30 M€... N'est-ce pas difficile?

Olivier Quintin : Disons que cela suppose une bonne dose d'adaptation, d'écoute et de curiosité. D'autant que c'est la première fois que je travaille dans une structure relativement petite, dépourvue de direction achats en tant que telle. C'est dire si mon quotidien diffère largement de ce qu'il était, il y a quelques mois encore, en tant que responsable achats chez Schindler France ou Euler Hermès (groupe Allianz). Ainsi, depuis mon arrivée au sein des éditions Lefebvre Sarrut, au printemps 2014, mon challenge consiste à professionnaliser la fonction achats, de A à Z, au sein des trois entités historiques de l'entreprise, à savoir les éditions Francis Lefebvre, les éditions Dalloz et les Éditions Législatives. Pour ce faire, j'ai en charge la quasi-totalité des dépenses des différentes structures, à l'exception des achats de papier de production (ouvrages, codes, mémentos...) et des achats informatiques.

Quel était l'existant en termes de bonnes pratiques achats ?

L'entreprise n'avait pas vraiment de stratégie achats, hormis la recherche de la qualité, souvent payée au prix fort. En effet, les dépenses étaient gérées de manière isolée et au fil de l'eau par les équipes des moyens généraux, à savoir six collaborateurs dispatchés dans les différentes entités du groupe, chaque maison étant historiquement indépendante l'une de l'autre. Aussi, pour davantage consolider les coûts, j'ai employé les grands moyens : transposer, autant que possible, les leviers achats déjà monnaie courante dans les grands comptes à cette structure, plus petite. C'est-à-dire encourager la signature de contrats avec des prestataires globaux afin de favoriser un niveau de service commun à nos trois entités. De quoi mutualiser les dépenses en jouant sur l'effet volume pour obtenir des accords tarifaires plus en ligne avec les prix. Après six mois, nous commençons donc à largement regrouper et massifier nos achats, en rationalisant les contrats existants afin d'optimiser notre portefeuille fournisseurs sur un nombre de familles d'achats de plus en plus important.

Sur quelles familles un tel travail a-t-il déjà été mené ?

Pour l'heure, je me suis attelé à six catégories d'achats indirects, telles que les fournitures de bureau, où nous avons réduit le nombre de fournisseurs de trois à un et obtenu une révision tarifaire à la baisse. Pour optimiser les coûts, nous avons élaboré un catalogue produits commun propre à harmoniser les références d'une filiale à l'autre. Concernant la téléphonie mobile, je me suis inspiré de la méthodologie employée chez Schindler, en signant un accord global auprès d'un seul opérateur, contre deux auparavant. Pour en finir avec des modes de consommation disparates, nous avons réduit le nombre de forfaits d'une soixantaine à trois. Idem au niveau des modèles de téléphone, puisque les collaborateurs n'ont désormais le choix qu'entre trois types de terminaux mobiles. "Last but not least", ce nouveau contrat garantit un niveau de service plus élevé, incluant l'entretien et le remplacement régulier des appareils défectueux et ce, à un coût global très inférieur à celui négocié lors de nos précédents contrats. Autre catégorie optimisée : nos dépenses travel, via la définition et la mise en place d'une politique voyage commune, le référencement d'une seule agence contre quatre par le passé et la généralisation de notre self booking tool à toutes les entités du groupe. Grâce à toutes ces actions, nous avons réalisé des économies variant de 10 à 65 % selon les familles. L'objectif étant d'étendre une telle démarche d'optimisation aux autres catégories d'achats : maintenance des courants électriques, courrier, entretien des locaux...

Sur quelles ressources en interne vous appuyez-vous pour implémenter avec succès de telles actions ?

Je travaille de concert avec les moyens généraux, qui sont directement sous ma responsabilité. Nous misons ainsi sur la complémentarité : alors que je gère la stratégie sur chaque famille, ils se chargent de l'opérationnel. De cette manière, je peux les associer, à des degrés divers, au processus achats : formalisation des besoins, lancement des appels d'offres, élaboration du reporting, etc. Une démarche gagnant-gagnant pour chacune des parties. En effet, je peux m'appuyer sur une équipe qui a la connaissance de l'entreprise, un soutien essentiel pour définir les cahiers des charges en adéquation avec les besoins de chaque entité. En échange, je développe les compétences de mes collaborateurs afin qu'ils deviennent de vrais acheteurs autonomes. Car c'est bien la vocation d'une telle collaboration.

Un challenge qui semble ambitieux...

Effectivement. Un tel apprentissage doit s'organiser étape par étape, de manière à ce que l'acquisition des connaissances soit fructueuse pour les équipes. Car le développement de ces nouvelles règles et principes de fonctionnement achats suppose la remise en cause des habitudes maison. Si ce projet est chronophage - les équipes n'ayant jamais été formées aux achats auparavant -, il porte toutefois largement ses fruits. J'ai la chance d'être entouré de professionnels désireux de se familiariser avec des pratiques achats qui relèvent souvent du bon sens. L'expérience actuelle nous permet de confronter nos savoirs, et ainsi d'apporter plus de valeur ajoutée à la fonction achats, largement en phase avec la réalité de terrain et les attentes du management. Une configuration qui diffère de celle prévalant au sein des grosses structures, où la dimension théorique des achats prend souvent l'ascendant sur le volet pratique.

Être acheteur dans une petite structure comporte donc moult avantages...

Plus que jamais ! Je note d'ailleurs un autre gain, et pas des moindres : la plus grande réactivité dont je dispose dans une ETI. Exit les circuits de validation à rallonge ! Dans un grand groupe très "processé", on a souvent l'impression de se battre contre des moulins à vent. Là, il n'est pas nécessaire de se nourrir de présentations Powerpoint indigestes pour faire passer une idée ou une stratégie. Et chacun peut mesurer rapidement les effets concrets des actions mises en place. Quoi de plus motivant que de pouvoir assister en direct à l'aboutissement d'un projet mené de bout en bout ? Autant d'avantages qui ont, bien sûr, leur revers : l'absence, pour l'heure, d'outil d'e-procurement et de système de workflow de validation, ce qui rend plus complexe toute démarche de reporting achats, sans compter le risque continuel d'être happé par des problématiques purement opérationnelles... Sur ce point, je veille d'ailleurs à être très vigilant. Car mon objectif premier est de conserver une vision stratégique et sur le long-terme des achats, ce qui suppose une bonne dose d'organisation. Disons que c'est ma gymnastique au quotidien, dans un groupe qui n'a pas peur de faire évoluer son fonctionnement pour booster la professionnalisation de ses collaborateurs.

Transposer les recettes déjà employées dans les grands comptes pour professionnaliser les pratiques achats des éditions Lefebvre Sarrut, telle est la stratégie d'Olivier Quintin, directeur environnement de travail et achats au sein de l'ETI. Rencontre.

6 Achats responsables: les PME sont concernées

Optimiser les coûts pour doper la performance de son organisation: si un tel objectif est prioritaire pour tout service achats en PME, aussi balbutiant soit-il, encore faut-il remplir un prérequis: "Inscrire une telle démarche dans une logique de durabilité des achats!" rappelle Jacques Schramm, p-dg du cabinet de conseil A2 Consulting. Car plus la notion de "cycle de vie" sera intégrée dans la mise en oeuvre de vos process d'achats, aussi bien directs qu'indirects, plus vous gagnerez en performance et optimiserez vos dépenses. Si une telle approche sur le long terme des achats a déjà largement fait son chemin chez nombre d'acheteurs de grands comptes, c'est loin d'être le cas dans tous les services achats des PME ou ETI. La preuve: alors que 70% des PME, dotées ou non d'un service achats, se disent "conscientes" des enjeux de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), achats responsables en tête, seuls 32% ont engagé une démarche claire sur le sujet, d'après une étude 2012 de l'Observatoire des achats responsables (Obsar). Parmi les freins évoqués, près de 28% des sondés évoquent un budget insuffisant et le manque de temps pour mener une telle démarche.

Selon Hugues Carlier, directeur associé du cabinet Des enjeux et des hommes, spécialisé dans l'accompagnement des entreprises dans leur problématique sociétale, "le premier obstacle réside dans la méconnaissance qu'ont les différents acteurs, au sein des PME et ETI -notamment au niveau du top management-, des gains financiers générés par les achats responsables." Pourtant, que la PME mise sur l'achat de mobilier certifié PEFC ou de matières premières issues du commerce équitable, force est de constater que "de telles initiatives constituent d'abord des leviers de taille pour réduire les coûts, analyse Jacques Schramm, tant la valeur ajoutée des achats responsables est de privilégier une approche en coût global et création de valeur".

7 Une méthode pas à pas

Mais comment faire, dans la pratique, pour favoriser de tels achats dans des petites structures, a fortiori celles qui sont dépourvues d'une véritable culture achats? Certaines PME misent sur le pragmatisme, en démarrant par des initiatives à la carte, privilégiant, çà et là, l'acquisition de tel produit éco-labellisé (papier recyclé, stylo écolo, etc.). Un moyen certainement efficace pour faire valoir d'entrée de jeu l'action nouvelle des achats en interne, et ce, au-delà de toute logique de réduction des coûts. "Mais encore faut-il que de telles actions s'inscrivent dans une politique globale d'entreprise, portée pleinement par le dirigeant et son responsable achats", indique Jacques Schramm. On l'aura compris, pour conférer un poids réel à une telle politique, l'engagement de la direction est nécessaire. "Ce, pour faire valoir ce projet transverse auprès des collaborateurs et favoriser la diffusion des bonnes pratiques. Car, sans l'adhésion des salariés, l'échec est assuré", développe Alain Chatenet, délégué général de l'Obsar. C'est pour accompagner les acheteurs de PME dans la formalisation opérationnelle d'une telle stratégie que l'Obsar a rédigé un guide -Comprendre les achats responsables- téléchargeable gratuitement sur son site. Un support clés en mains fournissant des indicateurs propres à mieux structurer une telle politique. "De quoi aider l'acheteur à mieux identifier les priorités RSE de son entreprise, en fonction de ce qu'elle achète", conclut Alain Chatenet.

Pour bien structurer la fonction achats en PME, encore faut-il y associer, en amont, une politique ad hoc d'achats responsables. Si certains acheteurs de PME se décident à franchir le cap, l'exercice se révèle toutefois complexe.

8 "Un acheteur en PME se doit d'être polyvalent": Yannick Thiry, Store Electronic Systems

Structurer la fonction achats de Store Electronic Systems -PME en forte croissance spécialisée dans les systèmes d'étiquetage électronique pour la grande distribution-, c'est le challenge que relève Yannick Thiry, responsable des achats industriels et méthodes achats de l'entreprise depuis janvier 2014. Une création de poste "destinée à booster la performance de l'entreprise en concentrant et professionnalisant la gestion des achats, auparavant éclatée entre les différents services", rappelle l'intéressé.

En tant que responsable des achats industriels et méthodes achats groupe, Yannick Thiry doit faire preuve de polyvalence. "En effet, j'interviens à plusieurs niveaux. À commencer par le pilotage des achats directs, de la définition de la stratégie à la conduite de plans d'actions en lien avec les objectifs fixés par la direction générale". Un poste stratégique placé sous la bienveillance du comité de direction, ce qui a permis à Yannick Thiry d'être rapidement identifié en interne. "Mon périmètre de fonction est très clair, je peux m'atteler sans encombres à la priorité qui m'est fixée : prendre en main les principaux projets industriels pour améliorer notre marge brute. Un passage obligé pour ensuite rayonner vers d'autres catégories d'achats." Et pour diffuser les bonnes pratiques achats sur l'ensemble des dépenses, Yannick Thiry entend jouer le rôle de chef d'orchestre auprès des prescripteurs. Une collaboration complexe à mettre en oeuvre? "Non, répond l'acheteur, car j'ai forgé ma légitimité par étapes, en ayant d'abord développé mon expertise sur les achats directs, puis intégré des projets transverses, comme celui portant sur la certification ISO 9001."

La création d'un service achats nécessite d'être soutenue par la direction générale et ses missions doivent s'élargir progressivement. Yannick Thiry, responsable achats d'une PME, témoigne.

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