La confiance dans les achats : enjeux et perspectives...
La confiance est le moteur de l'économie. Natacha Tréhan partage avec nous sa vision sur les enjeux de la confiance dans les achats et propose cinq challenges que la fonction va devoir relever demain.
Je m'abonneL a confiance est l'un des thèmes les plus traités en recherche, mais aussi un des plus débattus. À la suite des travaux de McAllister (1995)1 , nous appréhendons la confiance de façon bidimensionnelle comme une croyance:
1. dans la bonne volonté, la bienveillance de l'autre (dimension affective liée aux liens émotionnels tissés) : cette dimension se développe, dans le temps, par la fréquence des interactions, par le partage de valeurs communes.
2 . dans l'expertise, les compétences, la fiabilité de l'autre (dimension cognitive liée aux connaissances disponibles) : cette dimension peut se caractériser par une certification, un audit de l'autre partie.
En se basant sur le postulat que sans confiance, pas de transactions économiques, la fonction achats va devoir relever cinq challenges majeurs.
Challenge n°1 : Demain les achats géreront de plus en plus des écosystèmes complexes
Les technologies s'hyperspécialisent, mais l'innovation naît de leur hybridation (comme en mécatronique, par exemple, à l'intersection de la mécanique, de l'électronique, de l'automatique et de l'informatique). Pour sourcer les solutions de demain, les acheteurs devront savoir orchestrer des relations entre acteurs hétérogènes (centres de recherche, grands groupes, universités, start-up...) au sein d'écosystèmes complexes, avec des contraintes temporelles fortes (enjeux de time to market). Or, plus les acteurs sont multiples, plus leurs valeurs sont hétérogènes, plus la contrainte temporelle est forte, plus la confiance est difficile à développer et moins les projets aboutissent.
Aussi, comme les sportifs, entraînez-vous à travailler dans des environnements complexes en dehors de contraintes temporelles. Les pôles technologiques ne sont pas l'apanage des directions de l'innovation, de la R&D. Il est essentiel que les directions achats y soient présentes de façon active. On peut souligner la présence d'un des CPO de Schneider au conseil d'administration de Minalogic, pôle des technologies du numérique. Dans la même logique, inspirez-vous des Kyohokai orchestrés par Toyota : créez des réseaux de fournisseurs auto-apprenants et partagez avec eux, dans le temps, sur une grande variété de sujets (gestion environnementale, sécurité, qualité...). La fréquence des échanges, le partage de savoirs ancrent, dans le temps, la dimension affective de la confiance et créent une dynamique vertueuse.
Challenge n°2 : Demain les achats manageront de plus en plus des acteurs hétérogènes sur des plateformes digitalisées
Deux types de plateformes vont devenir déterminantes pour les achats dans le futur :
1. Les plateformes d'open innovation
2. Les plateformes de freelance, non pas celles de la "gig economy", mais celles proposant des profils pointus avec des compétences "rares" (en 2020, 50 % des travailleurs indiens et américains seront freelance- Institute for The Future-).
L'usage de ces plateformes rend difficile le développement de la dimension affective de la confiance, car les relations s'inscrivent rarement dans le temps, les acteurs sont hétérogènes et multiples. Pour contrebalancer l'absence de dimension affective, la dimension cognitive, basée sur la croyance en l'expertise, la compétence, va devenir prépondérante. En d'autres termes, la notation des fournisseurs freelance ou des "solvers" (pour l'open innovation) va devenir la règle. C'est déjà le cas sur la plateforme Malt, par exemple. Avec la digitalisation des échanges, nous nous acheminons vers de nouveaux marchés : ceux de la confiance cognitive.
Des "Trip advisors" de plateformes fournisseurs vont émerger. De plus en plus de startups proposent (tentent de proposer, comme SupplyHive, par exemple) des solutions de notations partagées de fournisseurs entre donneurs d'ordres de même secteur. Sont alors soulevés des problèmes d'intégrité des notations, de fiabilité des données.
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La blockchain s'inscrit dans ces nouveaux marchés de la confiance pour garantir l'origine de produits, la traçabilité, l'authenticité de documents, des transactions... C'est une solution pour compenser la perte de la dimension affective de la confiance dans les relations digitalisées.
Challenge n°3 : Demain les achats géreront de plus en plus des fournisseurs polymorphes
Nous nommons "polymorphe" un fournisseur qui peut être à la fois un concurrent, un client, un prestataire 2 . Cette tendance va s'accroître dans tous les secteurs car les technologies digitales reconfigurent les frontières des entreprises et leur business model. Par exemple, un des fournisseurs clé de terminaux pour Orange est Apple, mais Apple est aussi son premier concurrent sur les offres de divertissement (musiques, vidéos, jeux...).
En développant le paiement en ligne, la concurrence avec Apple est renforcée et Orange devient aussi un concurrent de ses clients les banques... De la même façon, Samsung est un fournisseur clé d'écrans OLED pour Apple, mais aussi un concurrent clé.
L'enjeu demain sera donc de savoir gérer la coopétition (une combinaison de coopération et compétition). Il faudra sortir du dualisme manichéen : "tu es mon ami, j'ai confiance, je coopère, versus tu es mon ennemi, je suis en concurrence, je n'ai pas confiance". Apprenez l'ambivalence ET la confiance !
Lire la suite en page 2 : Challenge n°4 : Demain l'innovation sera une injonction pour les achats - Challenge n°5 : Demain les achats contribueront de plus en plus au ré-enchantement de l'entreprise
(1). McAllister ( 1995 ) "Affect- and cognition-based trust as foundations for interpersonal cooperation in organizations", Academy of Management Journal, n° 38.
(2). Tréhan, Pourrat ( 2018 ) "Exploring the influence of power in the dynamics of customer-supplier coopetition in the case of supplier dominance" , International Management Review
Challenge n°4 : Demain l'innovation sera une injonction pour les achats
Devoir véhiculer l'innovation requiert la collaboration des fournisseurs "best-in-class", des startups les plus prometteuses, des freelances aux compétences uniques... Le problème est que toutes les directions achats veulent collaborer avec ces fournisseurs "pépites". Dès lors, ce sont eux qui choisissent leurs clients et non l'inverse.
L'enjeu demain, pour les achats, ne sera plus de manager les fournisseurs, mais de les motiver. La motivation, pour entrer dans une relation se fonde, a minima, sur la confiance cognitive qui atténue la perception du risque. Dans le temps, la confiance affective se développe et renforce les liens. Mais, n'oubliez pas que confiance et motivation sont fragiles et ne sont jamais acquis. Apprenez à entretenir la flamme ! Et surtout apprenez à vous différencier de vos concurrents à l'achat !
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Challenge n°5 : Demain les achats contribueront de plus en plus au ré-enchantement de l'entreprise
Un des enjeux futurs déterminants des CEO et des gestionnaires d'actifs va être de renforcer, restaurer la confiance dans l'entreprise, en (re)définissant son rôle dans la société. Larry Fink, président de BlackRock (le plus grand gestionnaire d'actifs au monde) affirme: "Les entreprises avec une raison d'être très claire en matière de développement durable seront plus performantes". En France, la loi Pacte renforce la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie des entreprises et leur donne la possibilité de préciser une raison d'être, voire d'opter pour un statut d'entreprise à mission 3 . Certaines ont compris que l'on pouvait concilier réussite économique, responsabilité citoyenne et impact positif. L'intérêt croissant pour la certification B Corp en est la preuve. Il s'agit de la certification la plus exigeante au monde avec les standards les plus élevés en matière de transparence et de responsabilité (Blédina, Patagonia, Nature & Découvertes, les Laboratoires Expanscience... sont des B Corp).
La fonction achats a un rôle déterminant à jouer dans la restauration de la confiance dans l'entreprise par sa contribution à la notation extra-financière. Connaissez les organismes qui notent votre entreprise et leurs critères. Allez au-delà de la seule contribution par l'audit RSE fournisseurs. Votre contribution est beaucoup plus vaste : consommations énergétiques, optimisation des transports, écoconception, gestion des déchets, matériaux de substitution... Tous ces projets passionnants ne pourront se faire sans collaboration, ni confiance avec l'ensemble des parties prenantes et ils impacteront positivement la confiance dans votre entreprise.
En conclusion, "La confiance est un élément majeur : sans elle, aucun projet n'aboutit" (Eric Tabarly)
(3). Tréhan ( 2018 ), "Nouvel objet social de l'entreprise : nouvel essor de la fonction achats ? "
Par Natacha Tréhan, docteur en sciences de gestion, maître de conférence en management des achats à l'Université de Grenoble, chercheur au centre de recherche CERAG. Elle intervient auprès de CEO et CPO sur les stratégies achats et l'avenir de la fonction.