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Thierry du Villard (Jarden Corporation EMEA) : "Achats et supply chain doivent développer des synergies"

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Thierry du Villard (Jarden Corporation EMEA) : 'Achats et supply chain doivent développer des synergies'

Piloter les achats européens d'un grand compte 100 % décentralisé, fort de 10 business units et de 120 marques, tel est quotidien de Thierry du Villard, vice-président achats et supply chain de Jarden, groupe américain spécialisé dans les produits de la maison et des loisirs extérieurs.

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Comment implémenter une politique achats dans un grand compte décentralisé comme Jarden Corporation ?

Thierry du Villard : Le challenge est de taille car Jarden Corporation se décline comme un conglomérat de 10 business units (BU) aux activités très diverses. Si toutes nos marques vendent des biens de grande consommation, - parmi lesquelles Mapa Spontex, spécialisée dans la fabrication d'éponges et de gants -, chacune d'entre elles reste dédiée à un marché très spécifique (les tentes, les cartouches de gaz et barbecue pour CampingGaz, les bougies d'intérieur pour Yankee Candle, les tétines et biberons pour Nuk et Tigex, etc.). Telle une "somme de PME", dotées d'une culture propre, auprès desquelles il n'est pas toujours aisé de faire-valoir des pratiques achats communes.

C'est d'ailleurs là tout la valeur ajoutée de ma fonction : faire des achats un levier fort de centralisation en interne, tout en veillant à respecter les spécificités des entités existantes. Un pari stimulant dans un groupe américain aussi récent que Jarden, crée en 2003, où la mise en oeuvre de synergies est un enjeu essentiel de performance.

Pour atteindre un tel objectif, sur quelles ressources vous appuyez-vous en interne ?

En premier lieu, je m'appuie sur le patron des achats et supply chain monde de Jarden, basé à New York, dont je dépends directement. Dès 2010, année du rachat du groupe Mapa Spontex - dont j'étais à l'époque le directeur achats -, le mandat qui m'a été confié, en tant que vice-président purchasing & supply chain pour la région EMEA, était très clair : être le relais terrain d'une démarche globale d'intégration de nos BU européennes dans un environnement groupe. Et ce, pour générer des synergies multi-BU au sens large, en termes de compétitivité, de massification, de benchmark, etc., au sein d'une fonction achats très éclatée. Avec pas moins de 60 acheteurs & supply chain managers répartis dans les différentes BU de la zone EMEA.

Si je travaille de concert avec ces équipes en fonctionnel et matriciel, je n'ai donc aucune autorité hiérarchique sur elle, chaque membre étant sous la direction de son président de BU. Une configuration certes complexe, mais qui est loin d'être un réel obstacle dans un groupe jeune et dynamique comme Jarden. Un état d'esprit très américain qui favorise une culture sans tabou ouvrant la voie à tous les possibles. De cette manière, j'ose plus facilement réformer certains process sensibles ou lancer de nouveaux dossiers. Je collabore alors en direct avec les présidents de chaque marque, voire en organisant ponctuellement des séminaires achats avec les équipes.

Quelles synergies avez-vous pu mettre en place ?

La mutualisation des achats a pu être menée sur une kyrielle de catégories intégrées à mon scope, équivalant, au total, à 1 milliard de dollars (800 millions d'euros). Et ce, qu'il s'agisse des achats directs et matières premières - acier, fer-blanc, caoutchouc, packaging, énergie, entrepôts, transport maritime -, ou des achats indirects à l'instar des voyages d'affaires ou des voitures en location longue durée. Au-delà de la massification, l'objectif consiste à développer les pratiques de benchmark entre les BU. Et pour cause : la forte diversité de notre groupe se prête aisément au déploiement d'une approche collaborative permettant à une entité de s'inspirer des bonnes idées d'une autre pour réaliser des économies. Véritable chef d'orchestre, j'essaie d'être le fer de lance d'une telle démarche propre à uniformiser la culture achats du groupe et surtout je m'attache à créer des ponts entre des équipes achats qui se connaissent encore assez mal.


Quid de votre politique en matière de gestion des risques ?

C'est un volet essentiel de notre politique achats. Et il se concentre essentiellement sur la couverture physique ou financière de commodités stratégiques de Jarden avec nos fournisseurs ou des banques. En effet, en tant qu'entreprise américaine cotée au New York Stock Exchange, avec une capitalisation boursière de plus de 5 milliards de dollars en mars 20131 (4 milliards d'euros), nous sommes astreints à certaines obligations, comme faire une communication financière trimestrielle. Ainsi, les achats ont tout leur rôle à jouer pour soutenir le cours de bourse de l'action Jarden et ce, en offrant un maximum de garanties à notre direction générale en matière de dépenses achats à venir.

Mon challenge au quotidien consiste donc à limiter les risques d'évolution des prix sur un panel de commodités : énergie, acier, caoutchouc... Un travail prévisionnel d'autant plus essentiel que nos achats pèsent largement sur le business global du groupe, avec un volume de dépenses au niveau monde de plus de 3,5 milliards de dollars (2,37 milliards d'euros), sur un chiffre d'affaires de près de 8 milliards de dollars (6,3 milliards d'euros). Pour mieux anticiper des fluctuations sur les matières premières, nous misons notamment sur la sécurisation des contrats avec nos fournisseurs mondiaux, et ce, pour bénéficier d'une protection sur les prix jusqu'à 2016.

Comment se caractérise votre relation fournisseurs ?

Dans un groupe comme le nôtre, très orienté marketing achats, l'identification de fournisseurs capables d'apporter de l'innovation est essentiel. Ainsi, un de nos axes premiers est le développement de nouveaux produits en misant davantage sur la coconstruction de solutions ralliant des ressources internes et externes, à savoir nos fournisseurs stratégiques. À ce titre, les achats jouent un rôle-clé d'interface entre ces deux univers. Par exemple, au sein de notre structure achats à Hong Kong et à Dongguan, en Chine du sud, forte de 400 collaborateurs, nombre de personnes se concentrent sur le développement de nouveaux produits avec les fournisseurs.

Un travail d'autant plus essentiel que notre volume d'achats équivaut à plus de 1,5 milliard de dollars en Asie (1 milliard d'euros). Mon objectif est donc de généraliser ces partenariats de codéveloppement en Europe. Un chantier de taille qui suppose d'ores et déjà une plus grande harmonisation des pratiques en matière de sourcing.

Vous avez la double casquette, achats et la supply chain, est-ce difficile à porter ?

Plus que jamais ! Car si ces deux fonctions sont souvent présentées comme interconnectées et naturellement aptes à communiquer, dans la pratique, bon nombre d'antagonismes les séparent. Et pour cause : si la vocation des achats est de massifier les volumes et d'augmenter les MOQs (quantités minimums de commandes, NDLR) pour baisser les prix, une telle démarche gonfle mécaniquement les stocks. Un scénario en contradiction avec les objectifs des directions supply chain, soucieuses de préserver des stocks faibles pour booster la performance de l'entreprise en termes de cash disponible. C'est dire la nécessité de trouver des compromis pour optimiser la collaboration entre les deux fonctions !

Un parti que nous avons adopté en montant par exemple à Shanghai des plateformes de consolidation mettant fin à l'usage de containers par fournisseur dans nos entrepôts. En effet, grâce à ces plateformes de groupage, nous recourons à des containers plus volumineux pouvant contenir des produits multi­fournisseur. Ce procédé permet de réduire les coûts de transport via la diminution des frais fixes par produit acheminé et ce, tout en abaissant la quantité de produits stockés par référence dans nos entrepôts en Europe. De quoi permettre de réconcilier les objectifs des deux fonctions. Et surtout de renforcer la valeur ajoutée des achats en interne.

1) En 2013, Jarden occupait la 383e place du classement Fortune 500 des plus grosses entreprises américaines, publié par le magazine Fortune.


De quelle manière cette valeur ajoutée est-elle renforcée ?

Je pense que la fonction supply chain a un grand rôle à jouer pour davantage crédibiliser l'action des achats en interne. En effet, force est de constater que les acheteurs sont, par nature, moins tournés vers les clients que la supply chain ! Alors que les responsables logistiques sont en première ligne dans la livraison des produits, travaillant ainsi de concert avec le marketing et les commerciaux, les achats, eux, restent trop souvent arc-boutés sur leurs process de sourcing et de négociation fournisseurs. Plus procéduriers et rigides, ils sont ainsi parfois coupés de la réalité business de l'entreprise. Si l'implication nouvelle des achats dans la recherche d'innovation fournisseurs renforce désormais leur rôle dans le développement des produits, leur contact plus renforcé avec la supply chain pourrait aussi les aider à rompre définitivement avec cette posture unique de cost killer. D'où la nécessité que les deux fonctions travaillent vraiment main dans la main.

Quid de vos gros chantiers pour 2015 ?

L'un des gros projets est l'intégration du marché sud-américain dans mon scope. Je reviens d'ailleurs tout juste du Brésil, un pays stratégique où Jarden a procédé à cinq acquisitions entre 2011 et 2014. Si cette visite a permis la rencontre d'une trentaine de fournisseurs locaux avec lesquels des contrats vont être signés, elle a surtout constitué un cadre idéal pour définir une politique achats dédiée. J'ai rencontré les équipes achats et supply chain afin de les accompagner dans le déploiement d'une telle stratégie. L'idée étant d'associer les pratiques de ces BU à celles de leurs homologues européennes, pour favoriser encore et toujours des synergies. Un tel plan d'action est d'autant plus essentiel que le groupe Jarden, adepte de la croissance externe, procède à de nouvelles acquisitions à travers le monde tous les six mois. À ma charge, donc, de convaincre, à chaque fois, les BU du bien-fondé de telles synergies achats et supply chain, via la communication et la sensibilisation. Un vrai travail de vente en interne.


Jarden Corporation

Activité : Biens de grande consommation (dont les produits de la gamme Spontex)

Chiffre d'affaires: 8 milliards de dollars

Volume d'achats :3,5 milliards de dollars

Effectif : 30 000 collaborateurs

Effectif achats & supply chain en Europe : 60 collaborateurs

 
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