[Tribune] Le bonheur dans l'entreprise, utopie ou impératif ?
Tout l'enjeu du management collaboratif réconciliateur est de faire de beaux résultats avec des collaborateurs épanouis et heureux en conciliant l'économique et l'humain, l'économie et l'écologie, le bonheur individuel et le bonheur collectif. Un sujet qui concerne tous les managers...
Je m'abonneC'est en période difficile, d'incertitudes ou de crise qu'il faut libérer le bonheur dans l'entreprise. Ou les gens ont plus de bien-être et de plaisir et libèrent des stratégies de conquête, ou le système entier va se dégrader.
Comment allier bienveillance et exigence ?
Ce que cherche avant tout l'entreprise pour exister, c'est le profit, créer de la richesse. Quand elle ne fait pas de profit, c'est souvent parce que le bonheur n'est pas là. Un collaborateur heureux rendra un client également heureux. Autrement, l'échec de cette entreprise sera programmé. Les gens travaillent pour obtenir une reconnaissance, trouver un équilibre, faire sa place dans la vie, mais aussi pour être utile et découvrir des nouveaux univers. Ils travaillent par amour d'eux-mêmes et de leurs enfants. Cela vaut également pour les patrons, les actionnaires et les clients. Aucune entreprise n'aurait pu exister si celui qui l'a fondée n'avait pas eu la certitude de créer son propre bonheur. C'est pour cela que des termes comme holocratie ou CHO (Chief Happiness Officer) ont fait leur apparition dans le vocabulaire courant. L'entreprise doit être une entité vivante et privilégier l'intelligence collective. La hiérarchie, avec son organigramme classique, ne fait plus partie de ce nouveau paysage. Les rôles sont affectés en fonction des compétences. Supprimer les positions de pouvoir et la bureaucratie permet de donner plus d'agilité à l'entreprise.
Il est vrai que le bonheur en entreprise est un concept qui ne semble pas être prioritaire dans la conscience collective en tant que moteur de la performance. Jusqu'aux années 2000, l'effort, la volonté, la conscience professionnelle constituaient pour l'entreprise les critères majeurs de la performance individuelle et collective avec une étanchéité presque parfaite entre une vie professionnelle parfois dévorante et une vie personnelle avec ses valeurs propres souvent peu ou pas respectées.
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Depuis, nous avons changé de monde ; avec la mondialisation, l'arrivée du numérique, la transition écologique, les dérèglements climatiques et la formidable accélération du temps, les nouvelles générations hyper connectées appelées communément les Y et les Z n'ont pas la même relation avec l'entreprise que leurs aînés. Elles y sont d'abord moins attachées et sont friandes d'espaces de liberté n'acceptant une certaine hiérarchie que si elle leur apporte le bien-être au présent et les fait progresser vers leur idéal professionnel et personnel.
Si on fait du chiffre sans bonheur, on va tourner en rond jusqu'au moment où le système va se dégrader
Si beaucoup pensent que la réussite professionnelle, ce n'est pas forcément le bonheur, il n'en est pas moins vrai qu'elle constitue une première étape nécessaire à l'accession à celui-ci, à condition toutefois que le travail soit un lieu de plaisir. Avec le management par la terreur on a fait du travail une torture et on s'est lourdement trompé. L'entreprise, c'est souvent le seul lieu où l'individu peut développer ses talents et trouver son achèvement. L'espoir d'un futur épanoui et le plaisir du chemin à parcourir sont les deux moteurs du succès. A l'inverse, la non réussite professionnelle constitue probablement la plus sûre manière de ne jamais conquérir son bonheur. Celui qui s'épanouit dans son métier rentre chez lui l'esprit libre, disponible pour la famille. Celui qui s'épuise dans son boulot, rentre chez lui le soir énervé, renfermé, et abîme la vie de la famille. L'échec peut révéler la nature mauvaise de l'homme. Mais à qui est imputable l'échec ?
On s'accorde à dire que le bonheur c'est l'état de pleine satisfaction. Et si le bonheur était la capacité permanente et sereine à accomplir tous les talents et toutes les promesses dont nous sommes porteurs ? L'entreprise ne doit pas avoir de doute sur la manière dont elle amène les collaborateurs à s'en approcher.
"Le bonheur est cet état d'esprit où on peut aimer le présent" a écrit Edouard Limonov, écrivain russe et dissident politique.
Je pense en effet que le bonheur c'est être bien ici et maintenant tout en étant conscient du chemin qui reste à faire pour être meilleur : meilleur père, meilleur conjoint, meilleur frère, meilleur ami, meilleur collaborateur, meilleur manager. Celui qui ne cherche pas à être meilleur est déjà moins bon. L'excellence est aux limites du possible mais chaque progrès est payant et nous donne de l'énergie en plus pour l'atteindre. Il n'y a pas d'individus limités. Il n'y a que des individus qui se croient aux limites de leurs possibilités. Le profit et le bonheur sont les deux ailes de la performance. Quand on atteint un niveau de performance partagé, le bonheur est infini. (cf. l'équipe championne du monde de football).
Si on fait du chiffre sans bonheur, on va tourner en rond jusqu'au moment où le système va se dégrader et il en va de l'entreprise comme de l'individu, il n'y a pas d'état stationnaire. Ou elle avance, ou elle recule. Le point stable n'existant pas, le non progrès est fatal. La journée au travail, c'est le plaisir à vivre, l'apprentissage, le sourire, la croissance des chiffres.
Pour cela le management doit avoir l'obsession du plaisir et du bien-être. Le plaisir, c'est la relation positive, le bien-être, c'est la cohésion fraternelle et émotionnelle, dans un système relationnel, organisationnel et culturel ponctué de séquences ressourçantes qui associent la bienveillance et la convivialité. C'est tout l'enjeu du management collaboratif réconciliateur : faire de beaux résultats avec des collaborateurs épanouis et heureux en conciliant l'économique et l'humain, l'économie et l'écologie, le bonheur individuel et le bonheur collectif.
Par Jean Noël Gaume, auteur et conférencier, spécialiste du management haute performance. Passionné par le monde de l'entreprise comme celui du sport de haut niveau, inventeur du management réconciliateur, il est adepte, pour partie, de l'entreprise libérée sans pour autant souscrire, dit-il, "aux élucubrations de ceux qui prônent cette libération sans véritables stratégies rationnelles d'instrumentation." Il a été aussi dirigeant de plusieurs sociétés. Il a reçu le Prix de la meilleure gestion d'entreprise remis par le ministre des Finances, chargé par le ministre de l'Industrie de la restructuration industrielle, co-fondateur d'Orgma, directeur délégué national du CRECI, conférencier, consultant, Jean-Noël Gaume est intervenu auprès des plus grandes entreprises et dans tous les secteurs d'activité.
"Pour performer durablement, l'entreprise doit fermer une porte derrière elle définitivement et en ouvrir une autre. Elle doit sortir de la dictature du "ou" pour entrer dans l'obligation du "et" en réconciliant simultanément les intérêts de l'entreprise et les intérêts des personnels, le travail et le plaisir, l'argent et le bien-être, l'engagement professionnel et la qualité de vie personnelle."