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Évaluation des tiers : les achats en première ligne

Publié par Eve Mennesson le | Mis à jour le
Évaluation des tiers : les achats en première ligne

Entrée en vigueur le 1er juin 2017, la loi Sapin 2 consacre un volet à l'évaluation des tiers, parmi lesquels les fournisseurs. Une évaluation à laquelle les achats doivent activement participer. Une tâche chronophage mais qui permet de rationaliser sa base fournisseurs.

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Parmi les huit piliers que comporte la loi Sapin 2, l'un d'entre eux, le quatrième, est consacré à l'évaluation des tiers. Un volet éminemment important en termes de lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent, ce que cherche à combattre cette réglementation. "En pratique, nous observons qu'environ 75% des cas de corruption proviennent de la relation des entreprises avec des tiers", révèle Anne Gaustad, avocate associée chez Hughes Hubbard & Reed. Or, une étude Grant Thornton (décembre 2018) révèle que seules 15% des entreprises se déclarent conformes aux exigences légales en termes d'évaluation des tiers. D'après cette étude, le dispositif est actuellement perçu comme "lourd" et "complexe" à mettre en oeuvre.

D'ailleurs, seules 12% des entreprises déclarent vouloir traiter tous leurs tiers, comme le recommande l'AFA. Les autres fixent un seuil de déclenchement (comme le montant des transactions par exemple) ou se focalisent sur une ou plusieurs catégories de tiers. Or, lorsque les entreprises se dirigent vers cette seconde option, ce sont souvent les fournisseurs qui sont choisis. La direction des achats a donc un rôle important à jouer dans cette évaluation des tiers et doit même saisir cette opportunité pour améliorer sa gestion des fournisseurs.

Évaluer les personnes importantes au sein de l'entreprise

Avant de s'intéresser à la manière de procéder pour réaliser une évaluation des fournisseurs efficace, il s'agit de savoir quelles sont les attentes de l'agence française anticorruption (AFA), l'organisme chargé de vérifier la réalité et l'efficience des mécanismes de conformité anticorruption mis en oeuvre par les entreprise. "Concernant l'évaluation des fournisseurs, il y a trois éléments à prendre en compte : le portefeuille existant, les nouvelles entrées en relation mais aussi le suivi dans la durée, en fonction du niveau de risque", précise Joseph Mocachen, responsable de l'offre conformité chez Ellisphère.

Pour chacun de ces trois éléments, il s'agit de recueillir un certain nombre d'informations. Tout d'abord des informations concernant l'entreprise elle-même mais aussi concernant les dirigeants, actionnaires et bénéficiaires effectifs de l'entreprise. "L'AFA attend une évaluation des personnes physiques qui jouent un rôle important au sein de l'entreprise. Il s'agit de s'assurer que ce sont des personnes recommandables, qu'elles ne sont par exemple pas présentes sur des listes sensibles faisant état de sanctions ou de condamnations", pointe Joseph Mocachen. Il faut évidemment également regarder si les fournisseurs ne sont pas sur des listes d'embargo. "L'objectif est de savoir avec qui on contracte afin de ne pas courir le risque d'être impliqué dans des affaires de corruption", résume Cécile Terret, counsel chez Bryan Cave Leighton Paisner.

Joseph Mocachen a également souligné la nécessité de réaliser un suivi sur la durée. Il s'agit donc de réaliser régulièrement des évaluations des fournisseurs. L'AFA n'est pas très claire concernant ce point. "Les entreprises ont l'obligation de faire une réévaluation régulière de leurs tiers mais les textes ne précisent pas la fréquence. On admettra que les tiers à risque doivent être réévalués tous les ans afin de s'assurer que la situation ne s'aggrave pas tandis que les autres pourront l'être tous les trois ans", pense Nicolas Guillaume, associé et en charge de la ligne Business Risk Services de Grant Thornton.

Quoi qu'il en soit, ne pas hésiter à se rendre sur le site de l'AFA pour consulter le questionnaire d'évaluation et commencer et à y répondre : en effet, en cas de contrôle, l'organisme ne laisse que deux semaines pour y répondre ! L'organisme publie également sur son site des guides pour aider les entreprises à se mettre en conformité.

Cartographie des risques et bases de données

D'autres organismes publient des guides pour aider les entreprises à y voir clair avec cette loi Sapin 2, et notamment l'évaluation des tiers. A l'instar de Altares-D&B qui a organisé en février dernier un webinar consacré à l'évaluation des tiers. Lors de ce webinar, différentes étapes ont été identifiées et notamment l'importance de la cartographie des risques pour identifier et surtout prioriser les tiers à évaluer. Romain Maillard, senior manager chez BM&A, insiste lui aussi sur l'importance de soigner sa cartographie des risques en termes d'évaluation des fournisseurs : "L'évaluation des tiers prend beaucoup de temps. Il faut donc s'appuyer sur la cartographie des risques qui va permettre de pointer les fournisseurs à risque", conseille-t-il.

Une fois cette identification réalisée, il s'agit de recueillir un maximum d'informations sur les fournisseurs à évaluer. C'est ce que Altares-D&B nomme "l'enrichissement". Cette étape peut se faire grâce à des bases de données mais certaines informations sont difficilement trouvables, notamment concernant des entreprises hors Occident. Joseph Mocachen (Ellisphère) recommande donc de s'associer à des partenaires locaux chargés de récupérer de l'information qui ne serait pas présente sur des bases de données ou sur le web. "Il faut montrer au régulateur que le maximum a été fait", souligne-t-il.

Nicolas Guillaume (Grant Thornton) invite quant à lui à consulter différentes bases de données et à ne pas faire confiance uniquement à une seule. "Elles sont souvent complémentaires", explique-t-il. Il rapporte également que les outils ne font pas toujours la différence entre une citation positive ou négative : par exemple, l'entreprise évaluée peut être plusieurs fois associée au mot corruption mais pour son comportement exemplaire dans ce domaine. "L'analyse humaine est encore nécessaire. D'où l'importance de se concentrer sur les fournisseurs à risque mais aussi d'envisager l'externalisation de cette tâche chronophage d'évaluation", conclut Nicolas Guillaume.

Il existe également des outils qui permettent de réaliser cette évaluation, comme la plateforme IndueD de Altares-D&B. S'outiller permet de plus de mettre en place des alertes en cas de modifications mais aussi de générer un rapport de conformité, qui est demandé par l'AFA en cas de contrôle. Quel que soit le moyen utilisé pour réaliser cette évaluation - interne, externalisation, logiciel - il s'agit d'être patient et méthodique. La gestion des "faux positifs" dont nous avons parlé plus haut, notamment, est très chronophage. Romain Maillard (BM&A) invite à étaler dans le temps l'évaluation des tiers afin d'avoir réalisé l'ensemble de l'évaluation dans les trois ans. "Tous les tiers doivent être évalués mais si lors d'un contrôle tout n'a pas été fait mais que c'est planifié, l'AFA se montrera indulgente", pense-t-il.

Quels sont les risques d'une non-conformité à la loi Sapin 2 ?

La loi Sapin 2 prévoit une sanction administrative d'un million d'euros pour les entreprises qui n'ont pas mis en place de mesures de prévention et de lutte contre la corruption. Par ailleurs, les entreprises peuvent être contraintes à se mettre en conformité avec la mise en place d'un monitoring dont le coût est assumé par l'entreprise condamnée. Surtout, les dirigeants peuvent personnellement être sanctionnés : l'amende administrative s'élève pour eux à 200 000 euros maximum. Ces sanctions seront rendues publiques et feront donc courir un fort risque d'image aux entreprises concernées.

Si, jusqu'à présent l'AFA s'est montrée clémente, elle a annoncé bientôt prononcer des sanctions auprès des entreprises qui n'auraient pas engagé de mesures de prévention et de lutte contre la corruption, à hauteur de leurs moyens. A savoir également que, si les injonctions de l'AFA restent infructueuses, les dirigeants peuvent être poursuivis pénalement.

Collaboration avec les autres directions

Dans cette évaluation des tiers, le rôle de la direction des achats est primordial. Elle peut en effet prendre en charge cette évaluation, notamment en recueillant des informations auprès des fournisseurs. En effet, comme l'observe Nicolas Guillaume (Grant Thornton), "les grandes entreprises n'hésitent pas à envoyer le questionnaire d'évaluation à leurs fournisseurs auquel ils doivent se conformer s'ils souhaitent garder leur client". Les recherches via des bases de données et des informations trouvées sur Internet peuvent donc être complétées par ce type de questionnaire.

Auprès des fournisseurs avec lesquels l'entreprise est déjà en relation mais aussi les nouveaux entrants. "Pour les nouveaux fournisseurs la question est de savoir quand intégrer l'évaluation dans les process. Faut-il évaluer tous les fournisseurs consultés ou vérifier seulement celui pressenti au moment de l'attribution au risque de devoir remettre en cause son choix ?", se questionne Nicolas Guillaume. Il conseille de prendre le sujet le plus en amont possible. "Jusqu'à présent, on posait à ses fournisseurs des questions sur la RSE et leur solidité financière. Il s'agit juste d'ajouter l'éthique et la corruption. Avec également le RGPD et le devoir de vigilance, la qualification de ses fournisseurs se fera désormais de manière approfondie", avance-t-il.

Cette évaluation approfondie doit d'ailleurs être vue comme une chance par la direction des achats : cela permet d'optimiser sa base fournisseurs, de la nettoyer des entreprises avec lesquels on ne travaille plus (car l'évaluation prend du temps) mais aussi de se poser la question de l'intérêt de continuer à faire des affaires avec tel ou tel acteur s'il s'avère risqué. Cependant, Jospeh Mocachen (Ellispère) met en garde: "Ces évaluations ne veulent pas dire qu'il faut stopper tout business avec une entreprise qui aurait rencontré des problèmes par le passé. Cela sert à prendre les bonnes décisions en s'aidant, pourquoi pas, d'indicateurs. Surtout, il faut être capable, en cas de contrôle, de dire pourquoi il a été décidé de continuer de traiter avec telle ou telle entreprise suite aux évaluations réalisées". Nicolas Guillaume souligne cependant la difficulté de sortir du côté manichéen de cette évaluation: "Soit il y a un problème, soit il n'y en a pas mais il est difficile d'attribuer un score", note-t-il.

Quoi qu'il en soit, si les achats sont importants dans cette évaluation des fournisseurs, ce ne sont pas eux qui prendront la décision de continuer avec tel ou tel fournisseur au vu du risque déterminé. C'est bien souvent au responsable conformité que revient cette tâche. Les achats, par contre, devront apporter une information claire, complète et fiable. Ce qui oblige donc la direction des achats à travailler avec d'autres directions. "L'évaluation des tiers oblige la direction achats à travailler en collaboration avec d'autres acteurs de l'entreprise comme la compliance, le juridique, le secrétaire général, etc...", observe Nicolas Guillaume. Encore un sujet qui nécessite de casser les silos !

 
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