DossierFaut-il oser le groupement d'achats?
Se grouper pour mieux acheter... Cette approche utilisée par les PME -qui ne bénéficient ni de masse critique, ni de ressources achats- commence à gagner les grandes entreprises et organisations du public comme du privé. Comment en tirer le meilleur parti?

Sommaire
- Créer ou rejoindre un groupe d'achats?
- Le groupement d'achats dans le secteur public
- De la centrale au groupement d'achats dans le secteur public
- Approlys, la centrale d'achat territoriale
- Centr'Achats: de la centrale au groupement
- Groupements d'achats dans le privé: zoom sur Gicaf, Gap et Ronax
- Comité de direction
- Quels modes de gouvernance dans le groupement d'achats?
- Bonification de fin d'année
- Les acheteurs restent impliqués
- Quelles limites à ce mode de fonctionnement?
- Cohabitation entre... concurrents
- Une limite au groupement
1 Créer ou rejoindre un groupe d'achats?
Parfois confondus, à tort, avec les centrales d'achats, les groupements (ou consortiums) associent au capital leurs membres et bénéficiaires. Les relations entre ces derniers sont régies par une charte ou un règlement intérieur.
Dans ce cadre, un contrat est passé entre plusieurs donneurs d'ordres du groupement et un fournisseur, via le mandataire, qui gère momentanément une mission d'achats pour un nombre bien défini de clients.
Reste que rejoindre un groupement existant, ou le créer, soulève plusieurs interrogations: le choix du statut juridique (dans le cadre d'une création), le mode de gouvernance, l'implication des acheteurs dans le processus, la concurrence entre les entreprises membres, etc.
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L'aéronautique européenne regroupée autour d'un hub de commandes
Dans le secteur aéronautique et défense -avec Airbus Group, Safran, Thales et Dassault- la plateforme AirSupply de BoostAeroSpace couvre les échanges supply chain entre les entreprises et leurs fournisseurs (plans d'approvisionnement, commandes, avis d'expédition, réception, auto-facturation...). "Les industriels ne se regroupent pas pour négocier des quantités plus importantes, mais pour offrir un canal de communication commun aux fournisseurs", précise Pierre Faure, président de BoostAero International. Initiée en 2005, cette infrastructure a pour objectif d'homogénéiser les processus supply chain pour gagner en productivité, d'optimiser les modes d'approvisionnement et donc la gestion des stocks et des délais. Pour minimiser les délais, l'acheteur envoie son plan d'approvisionnement exprimé selon deux horizons: l'un flexible -incluant un certain engagement- et l'autre prévisionnel. Le fournisseur peut alors lancer ses achats de matières premières et de produits semi-finis en amont, puis finaliser la production et son expédition à réception de l'appel du client. "La collaboration sur le prévisionnel permet d'augmenter le niveau de confiance entre les parties, de réduire les délais et d'optimiser les stocks de sécurité et donc, de ménager le besoin en fonds de roulement", précise Samy Scemama, responsable du management technique des standards BoostAero.
Rejoindre un groupement existant, ou le créer, soulève plusieurs interrogations: le choix du statut juridique (dans le cadre d'une création), le mode de gouvernance, l'implication des acheteurs dans le processus, la concurrence entre les entreprises membres, etc.
2 Le groupement d'achats dans le secteur public
Dans le secteur public, le choix de participer à un groupement -tous les directeurs achats interrogés sont unanimes- répond principalement à une volonté de l'État de maîtriser et de réduire ses dépenses. Figure de proue des groupements publics, UniHA n'échappe pas à la règle.
Créé en 2005 sous l'impulsion de plusieurs CHU qui souhaitaient moderniser la fonction achats à l'hôpital, ce groupement de coopération sanitaire (GCS) dispose d'un statut privilégié autorisant des coopérations entre le secteur public et privé, la ville et l'hôpital.
Cette forme juridique lui permet d'associer différents établissements de santé (publics comme privés) avec tous les acteurs du secteur médico-social, quelle que soit leur structure. UniHA est doté de la personnalité morale de droit public.
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Trois questions à...
Élisabeth Chollet, acheteuse Services GCS UniHA
Vous êtes acheteuse dans la filière services du groupement UniHA et basée au CHU de Nantes. En quoi consiste votre mission et quels sont vos objectifs?
Le ministère des Affaires sociales et de la Santé demande aux hôpitaux publics de globaliser leurs achats. Notre mission consiste donc à comprendre et à identifier les besoins des différents établissements, à les aider à mieux connaître le marché et à leur proposer une stratégie plus efficace. À chaque procédure, nous obtenons entre 30 et 35 adhésions, alors que nos objectifs, pour la filière services, sont plutôt de l'ordre de 40-45 sur 58 établissements.
Comment réagissent les acheteurs dans les établissements? N'ont-ils pas l'impression d'être dépossédés de leurs prérogatives?
Il arrive en effet que certains acheteurs se sentent dépossédés de la prise de décision finale ou estiment qu'ils auraient fait mieux que nous. Mais, dans l'ensemble, ils nous connaissent et nous font confiance. Et puis ceux qui ne sont pas d'accord ont toute liberté de ne pas adhérer aux procédures d'achats.
Concrètement, comment parvenez-vous à les intégrer dans les procédures?
Suivant le calendrier des achats publics, les thèmes d'achats sont annoncés aux acheteurs, que nous invitons à des réunions ou à des conférences téléphoniques. Nous leur présentons alors le marché, les fournisseurs, nous expliquons la stratégie à mettre en place et nous l'argumentons. C'est un travail d'équipe. Souvent, les réticences sont levées grâce aux témoignages d'établissements plus en avance que les autres sur un sujet, qui font part de leur expérience et de leur success story.
Dans le secteur public, le choix de participer à un consortium répond principalement à une volonté de l'État de maîtriser et de réduire ses dépenses.
3 De la centrale au groupement d'achats dans le secteur public
4 Approlys, la centrale d'achat territoriale
Trois départements (Eure-et-Loire, Loir-et-Cher et Loiret) et la région Centre se disputent -la bataille est politique- la primeur du lancement d'un groupement d'achats.
Ces départements ont créé, le 20 mars 2014, Approlys, un groupement d'intérêt public (GIP), sans capital et à but non lucratif, ouvert aux collectivités et intercommunalités.
"Nous avons fait le choix du GIP car c'est la structure qui présente le plus de sécurité juridique et d'efficacité opérationnelle", souligne Jean-Charles Manrique, directeur d'Approlys et directeur général des services du conseil général du Loiret.
5 Centr'Achats: de la centrale au groupement
Le GIP protège le groupement d'achats de la requalification des prestations en marché public et de la gestion de fait, puisqu'il dispose d'un comptable public, agent du Trésor. Un mode de fonctionnement plus souple qu'il n'y paraît a priori. "Ainsi, ajoute Jean-Charles Manrique, à terme, Approlys pourra être élargie aux intercommunalités et à d'autres collectivités, qui, dans le cadre du GIP, auront l'opportunité d'organiser leurs achats entre elles."
De son côté, la région Centre a monté Centr'Achats, une centrale, sous statut associatif, plus simple. "Mais, reconnaît Marc Sauvage, directeur des achats de cette région, notre association migrera peut-être vers un groupement pour accompagner son développement et recruter des salariés." Initialement créée pour les entités gérées directement ou indirectement par la Région, Centr'Achats est notamment ouverte aux lycées et CFA, aux collectivités territoriales, aux opérateurs de l'État en région (Pôle emploi, CNRS, etc.) et aux universités.
Le groupement est une structure plus intéressante pour négocier les volumes avec le fournisseur quand la centrale d'achats est plus souple, du fait de son pouvoir de décision. Voici deux exemples.
6 Groupements d'achats dans le privé: zoom sur Gicaf, Gap et Ronax
Chaque groupement opte pour un statut juridique en ligne avec les objectifs de ses fondateurs et membres: association loi de 1901, société, GIE,?etc.
Les adhérents du Gicaf (Groupement des installateurs en conditionnement d'air et froid) -qui rassemble 40 entreprises de tailles diverses- ont ainsi opté pour le statut peu contraignant d'association loi de 1901.
"Il fait notre charme et notre force. La structure est légère: pas de locaux, ni de salariés, nous sommes tous bénévoles. Simplement, les membres paient une cotisation annuelle de 3 000?euros, ce qui nous permet de financer les frais d'hébergement lors de nos rencontres", témoigne Bertrand Meynet, secrétaire du Gicaf.
7 Comité de direction
Le Groupement d'achats de la plasturgie ouest (Gap), qui regroupe 17 entreprises et une quarantaine de fournisseurs, parmi lesquels les grands chimistes mondiaux, s'est, quant à lui, créé sous la forme d'une SAS, pilotée par un comité de direction nommé en assemblée générale.
Ronax, un autre groupement du secteur de la plasturgie, est, quant à lui, un GIE.
Chaque groupement opte pour un statut juridique en ligne avec les objectifs de ses fondateurs et membres.
8 Quels modes de gouvernance dans le groupement d'achats?
UniHA, fédération de groupements de commandes, gère, au total, 150 marchés. La décision achats est donc portée par les coordonnateurs de filières au nom de 58 hôpitaux. Mandat est donné à chaque pilote par l'assemblée générale pour la durée du contrat.
9 Bonification de fin d'année
"Chaque établissement membre reste libre de rejoindre ou pas une opération, pour laquelle nous avons des obligations de performance", explique Bruno Carrière, directeur général d'UniHA.
De son côté, le Gicaf négocie avec chaque fournisseur une grille de remise (jusqu'à 10%), un volume de chiffre d'affaires déclenchant une bonification de fin d'année (BFA) et des conditions de paiement. "Chaque adhérent perçoit sa BFA en fonction du montant dépensé, mais reste libre de son choix", souligne Bertrand Meynet.
10 Les acheteurs restent impliqués
"Nous ne pouvons pas conduire des achats sans que les utilisateurs soient associés au projet. C'est pourquoi nous avons opté pour une organisation décentralisée, avec 15 pilotes répartis dans les CHU chargés des 15 grandes familles d'achats", poursuit Bruno Carrière. Étude de marché, appel d'offres, mise en concurrence, évaluation, choix et signatures des contrats... Les pilotes gèrent leur famille d'achats pour les établissements ayant adhéré, mais n'exécutent pas les contrats. Chaque établissement conserve, en effet, la gestion de ses commandes et de ses facturations. Les acheteurs restent donc clairement impliqués, mais redéfinir leur mission constitue un préalable incontournable pour qui veut rejoindre ou créer un groupement.
"Notre organisation s'appuie sur la mutualisation et la valorisation des moyens et des compétences issues des trois départements, sans coût de gestion supplémentaire et sans recrutement", avance Jean-Charles Manrique pour Approlys (CG du Loiret).
Toutes les équipes achats des collectivités membres sont donc mobilisées. Elles travaillent sous la houlette d'un comité de pilotage composé du directeur d'Approlys et de son staff technique. Les acheteurs des trois départements prennent en charge, à tour de rôle, les quatre marchés (plateforme de dématérialisation des marchés publics, fluides, matières premières de type granulats, sels de déneigement et fournitures). Car les acheteurs ne doivent pas se sentir privés de leur mission. Bruno Carrière estime qu'il s'agit d'une question de génération: "Les plus anciens sont peu enclins à céder une parcelle de leurs prérogatives, d'autant qu'ils ont construit la politique achats de leur établissement."
Les groupements sont l'occasion de modes de gouvernance innovants. Cependant, chaque établissement conserve la gestion de ses commandes et de ses facturations.
11 Quelles limites à ce mode de fonctionnement?
Lâcher du lest est une question vraiment sensible, anxiogène. "Mais, tempère Christine Millet, la présidente du Gap, la fonction achats n'est pas totalement déléguée au groupement, les directeurs achats perdent la négociation sur certains postes mais prennent la responsabilité pour d'autres, avec des missions à plus forte valeur ajoutée."
Ainsi dans sa propre entreprise, Millet Marius SAS, le directeur des achats a pris en charge pendant une période bien délimitée (puisque les portefeuilles tournent entre acheteurs) le pilotage des achats d'emballages plastiques pour l'ensemble du Gap, "une mission qui l'oblige à professionnaliser sa démarche, car il doit rendre compte à plusieurs entreprises", ajoute la dirigeante. Les prestations des responsables achats sont rémunérées par le groupement à des tarifs définis selon le nombre de jours par an et la complexité de la mission. Le?groupement Gap n'emploie qu'un salarié, une?directrice des achats chargée de coordonner les différents pilotages, d'animer les réunions entre les acheteurs, de vérifier l'avancement des dossiers en cours.
12 Cohabitation entre... concurrents
La problématique de la concurrence entre membres d'un groupement, a fortiori s'il s'inscrit dans une stratégie verticale, est réelle mais pas insurmontable. "Dans le secteur privé, cette question est évidemment exacerbée pour les achats stratégiques", confirme Frédéric Ménelot, président de Crop&Co. Le problème s'est récemment posé au sein du Gicaf. "Nous avons dû demander l'avis de chacun des membres avant d'intégrer une nouvelle entreprise", indique Bertrand Meynet.
13 Une limite au groupement
Au côté du groupement UniHa, une centrale d'achats a été créée il y a deux?ans pour gagner en réactivité et traiter les sujets plus complexes, notamment les achats innovants. "Le groupement s'avère une structure plus intéressante pour négocier les volumes avec le fournisseur, qui a une visibilité sur le nombre d'hôpitaux rejoignant l'opération. Pour sa part, la centrale permet de gagner en réactivité, car elle n'a pas besoin de recueillir d'adhésions pour mettre en place une stratégie et travailler sur de nouveaux marchés", souligne Bruno Carrière. Par exemple, les hôpitaux sont désormais soumis à une procédure de certification de leurs comptes, auparavant délivrée par le Trésor Public. Ils ont donc besoin de faire appel à des commissaires aux comptes.
La centrale d'achats a lancé une étude avant que les acheteurs des hôpitaux ne se soient mobilisés. Aujourd'hui, 36?établissements se sont emparés du sujet. Dans la région Centre, Marc?Sauvage confirme que la centrale d'achats "est plus souple, du fait son pouvoir de décision". La centrale apparaît en réalité comme un deuxième outil, au service du premier, le groupement.
Le consortium permet d'obtenir des résultats tangibles et rapides ainsi qu'une professionnalisation des pratiques achats. Par contre, la gouvernance n'est évidente avec les partenaires que sur les sujets ou les catégories les plus simples.
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