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Abandon de Notre-Dame-des-Landes : un cas d'école pour les achats publics?

Publié par Marie-Amélie Fenoll le - mis à jour à
Abandon de Notre-Dame-des-Landes : un cas d'école pour les achats publics?

L'Etat a annoncé le 17 janvier l'abandon du projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Quelles sont les indemnités prévues dans un tel cas? Quels recours juridiques peuvent avoir le groupe Vinci et les collectivités déjà engagées sur le projet? Réponses de Me Dal Farra, avocat chez UGGC Avocats.

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Quels sont les recours prévus et/ou les indemnités pour les six collectivités locales qui ont déjà versé 31 millions d'euros, dont 18 millions de subventions à Aéroports Grand Ouest ?

En application de l'article 4.M-b) du contrat de concession, six collectivités locales (régions Pays de la Loire et Bretagne, département de Loire Atlantique, communauté urbaine de Nantes-Métropole et communautés d'agglomération de la région nazairienne et de Cap Atlantique), rassemblées par la suite au sein du Syndicat mixte aéroportuaire du grand ouest (SMA), ont contribué au financement de la réalisation de l'aérodrome de NDDL notamment sous forme de subventions d'investissement attribuées au concessionnaire.

Toutefois la convention de subventionnement n'encadre pas les conséquences indemnitaires et contentieuses de sa résiliation ou de sa caducité - laquelle pourrait être tenue pour acquise par le seul effet de la résiliation du contrat de concession, dont elle constitue l'accessoire indissociable.

Cela étant, la jurisprudence devrait permettre de régler la question. En premier lieu, on oublie souvent que les collectivités locales pourraient attaquer la résiliation du contrat de concession, du fait qu'elles pourraient considérer que cette décision est contraire à l'intérêt général. En deuxième lieu, et à tout le moins, ces collectivités pourraient obtenir des compensations financières : non seulement le remboursement des subventions payées en pure perte notamment à la société AGO, qui pourra valablement demander à l'Etat de prendre ce remboursement en charge, mais également le manque à gagner qu'elles subissent, du fait que leur participation contractuelle aux résultats de la concession est désormais réduite à néant.

Quelles sont les clauses prévues pour le groupe Vinci dans le cas de l'abandon du projet d'aéroport ?

[NDLR : En 2010, le groupe de BTP avait remporté l'appel d'offres pour la concession et la construction de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Il s'agissait alors d'une délégation de service public pour une durée de 55 ans.] L'article 4D du cahier des charges de la concession prévoit que la renonciation de l'Etat à la réalisation de l'aérodrome Notre Dame des Landes " est assimilé à une résiliation de la concession pour motif d'intérêt général " et que dans un tel cas, l'indemnité de résiliation est " calculée selon les modalités définies par le II de l'article 81 ". Par suite, d'une part, l'Etat n'a pas pris une décision qui n'aurait que trop tardé : il est revenu sur une décision déjà prise et a renoncé à exécuter un engagement contractuel datant de 2010, d'autre part, la renonciation au projet entraîne de façon certaine la résiliation du contrat de concession dans l'intérêt général.

Pouvez-vous détailler l'article 81 ? Qu'entend-on par la notion " d'intérêt général " ?

La résiliation pour motif d'intérêt général a vocation, dans les conditions prévues au contrat, à apporter une indemnisation maximale au concessionnaire, qui subit une résiliation alors qu'il n'a pas commis de faute.

L'indemnisation comporte trois principales composantes prévues par l'article 81 du cahier des charges de la concession : les frais de débouclage des instruments de financement (encours des financements privés externes, des fonds propres et des quasi-fonds propres injectés réellement préalablement à la date de résiliation par les actionnaires du concessionnaire la société Aéroports du Grand Ouest (AGO), etc.), la compensation du manque à gagner de la société concessionnaire (calculé selon les modalités précisées par l'article 81, diminué de l'encours des fonds propres et des quasi-fonds propres injectés préalablement à la date de résiliation par les actionnaires du concessionnaire) et la compensation des frais de rupture des contrats en cours avec les prestataires et les financeurs.

Lire la suite en page 2 : Quel serait le montant des indemnités versées au groupe Vinci?



Quel serait le montant des indemnités versées au groupe Vinci?

[NDLR : Lors d'une conférence de presse, les médiateurs ont évoqué " une indemnisation prévue de 350 millions d'euros maximum "] Le rapport de la mission de médiation n'a en réalité fourni aucun chiffrage précis du montant de l'indemnité de résiliation due au concessionnaire, la société AGO (détenue par Vinci à 85%). S'il est fait état d'un écart de l'ordre 350 M€ entre l'option de d'abandon de l'opération de NDDL et celle du réaménagement de l'aéroport de Nantes-Atlantique, il est précisé dans le rapport que c'est " hors prise en compte d'une éventuelle indemnisation du titulaire du contrat de concession " (pp. 10 et 45 du rapport).

On peut s'interroger sur l'expression éventuelle indemnisation alors que celle-ci est juridiquement certaine. Mais de toute façon, le chiffrage était très difficile à effectuer lorsque le rapport a été établi (décembre 2017). D'une part, chaque composante de l'indemnisation appelle des évaluations difficiles à réaliser en quelques jours, d'autant que juridiquement l'arrêté conjoint des ministres chargés de l'aviation civile et du budget censé prononcer la résiliation du contrat n'a toujours pas été notifié. Pour ne citer qu'un seul exemple, l'assiette du bénéfice manqué sur la durée du contrat, qui est de 55 ans, peut évidemment prêter à des évaluations diverses. D'autre part, il est possible que les parties préfèrent négocier en vue d'une transaction, plutôt que de porter l'indemnisation du concessionnaire devant les tribunaux.

Qu'en est-il des sous-traitants de Vinci ? Ont-ils un recours à déposer auprès de Vinci pour d'éventuels frais engagés?

Les prestataires que la société AGO a recrutés pour les besoins de l'opération aujourd'hui abandonnée ont vocation à être indemnisés. S'ils sont titulaires d'un contrat, la rupture de celui-ci par le concessionnaire sera compensée, ce dernier étant lui-même couvert par l'Etat des charges exposées dans ce cadre. S'ils ne sont pas titulaires d'un contrat, tout dépendra alors de savoir de quelles promesses ils pourront se prévaloir pour obtenir de l'Etat une indemnisation à raison de l'abandon de l'aéroport de NDDL.

Peut-on faire un parallèle avec l'abandon de l'écotaxe?

Oui, car il s'agit là encore pour l'Etat de revenir sur un projet qu'il avait fermement décidé de mettre en oeuvre par contrat, moyennant le versement d'une indemnité conséquente, dont le principe et les composantes sont encadrées par un contrat (de concession en l'occurrence, de partenariat public privé dans l'affaire écotaxe).

A cet égard, l'Etat doit aussi prendre garde aux conséquences de son attitude : l'instabilité de sa parole et même de ses engagements contractuels sur des opérations de très grande ampleur renchérit à chaque fois les coûts du contrat suivant.

Si demain un nouveau projet de très ampleur est lancé, chaque opérateur économique candidat aura en tête les exemples de l'écotaxe et de Notre-Dame des Landes : il aura retenu que contracter avec l'Etat est un exercice désormais périlleux.

Lire la suite en page 3 : Quel futur scénario?


Quel scénario pour la suite ? (nouvel appel d'offres, recours au tribunal des entreprises face à l'Etat, ...)

L'opération de NDDL ayant été abandonnée, il faudra procéder à la conclusion d'un nouveau contrat après une procédure de publicité et de mise en concurrence, pour le nouveau projet.

L'aménagement du contrat de concession actuel serait en effet impossible, à la fois du fait de l'article 4D de son cahier des charges qui prévoit sa résiliation automatique en cas d'abandon du projet NDDL, mais aussi en raison de la jurisprudence du Conseil d'Etat qui interdit de toute façon que des contrats conclus après une mise en concurrence puissent faire l'objet de modifications substantielles de leur objet ou de leur économie - ce qui serait le cas en l'espèce.

Il ne serait évidemment pas possible non plus de donner à la société AGO ou en pratique à Vinci des assurances de quelque nature que ce soit pour la gestion du futur projet, car celles-ci risqueraient de troubler les conditions de la future mise en concurrence.

Il serait même prudent d'indemniser la société AGO rapidement - comme le prévoit du reste le contrat de concession, qui stipule qu'un acompte de 30% doit être versé au jour de sa résiliation et le reste dans les six mois de celle-ci -, pour éviter toute liaison possible entre le désintéressement de Vinci et l'attribution du nouveau contrat.

Or la conclusion du nouveau contrat est relativement urgente, car la concession actuelle, qui devrait être résiliée assez rapidement, inclut l'exploitation des aéroports de Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir.

De plus, l'Etat pourrait être confronté à un contentieux portant sur la légalité de la décision de résiliation prise par l'Etat. Regrettablement, le droit à indemnisation d'AGO n'est pas contractuellement lié à l'absence de contentieux sur ce point, alors que l'annulation de la résiliation pourrait faire revivre le contrat à un moment où le concessionnaire aurait été indemnisé.

Enfin, l'Etat devra trouver un sort à l'ensemble des parcelles qu'il a expropriées pour les besoins de l'opération aujourd'hui abandonnée. Les propriétaires expropriés auront certes la faculté de racheter les terrains dans le cadre d'une opération de restitution, laquelle s'analyse comme une nouvelle vente. Cependant, ces propriétaires pourraient aussi ne pas souhaiter récupérer les terrains, au regard notamment des éventuelles dégradations causées par les occupants du site hostiles au projet. L'Etat pourrait donc se retrouver avec une importante réserve foncière qu'il pourrait avoir du mal à valoriser aux mêmes montants que ceux qu'il a acquittés lors de l'expropriation.

La mise en oeuvre du nouveau projet n'est pas acquise à ce jour : elle pourra faire l'objet de recours, de la part des riverains contre les autorisations d'urbanisme, puis de la part des candidats évincés contre le processus de choix du nouveau concessionnaire. S'agissant des premiers, ils pourraient, le cas échéant, chercher à obtenir l'indemnisation des préjudices attachés à l'aggravation des nuisances générées par le réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique.


Ancien haut fonctionnaire (direction des affaires juridiques de Bercy, Conseil d'Etat, cour suprême administrative française) et universitaire, Maître Thierry Dal Farra, est avocat associé chez UGGC Avocats, où il dirige le Département de Droit public des affaires.


 
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