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Autolib: comment et à quel titre, le groupe Bolloré peut-il demander la remise en cause de la résiliation du contrat?

Publié par Marie-Amélie Fenoll le - mis à jour à
Autolib: comment et à quel titre, le groupe Bolloré peut-il demander la remise en cause de la résiliation du contrat?
© Mikael Lever - Fotolia

Quelles sont les raisons de l'échec de la délégation de service public d'Autolib? A quel titre, le groupe Bolloré réclame-t-il 233 millions d'euros pour éponger le déficit d'Autolib? Réponses de Me Thierry Dal Farra, avocat en droit public des affaires.

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Pour rappel, le 25 mai dernier, le groupe Bolloré a engagé par courrier la procédure de résiliation du contrat Autolib. Les élus locaux, réunis le jeudi 21 juin en Conseil syndical, ont confirmé cette résiliation. Dans l'intérêt des abonnés et des salariés, l'entreprise et le Syndicat Autolib' Vélib' Métropole (SAVM) ont convenu que le service Autolib s'arrêtera progressivement à partir du 2 juillet et d'ici le 31 juillet.

A quel titre, le groupe Bolloré réclame-t-il 233 millions d'euros d'ici à 2023 pour éponger le déficit du service de voitures électriques en libre-service ?

Le SAVM a voté la résiliation du contrat d'Autolib du groupe Bolloré au nom de l'intérêt général. Mais le groupe Bolloré tient pour responsable la mairie de Paris de ne pas avoir su réglementer ou au moins limiter la concurrence des initiatives privées et d'avoir fait preuve de laxisme, d'inertie, voire de décisions contradictoires [NDLR : citons entre autres la concurrence de Blablacar ou des offres VTC, l'arrivée d'Uber, etc...] Sans compter que la piétonisation des voies sur berges décidée par la maire Anne Hidalgo n'aide en rien à l'utilisation du service Autolib.

Le groupe Bolloré reproche à la mairie de Paris de ne pas avoir su protéger les bases du contrat. Il peut donc demander à requalifier le motif dit " d'intérêt général " avancé pour la résiliation du contrat. Car dans un contrat de type de délégation de service public (ou DSP) comme celui d'Autolib, il peut y avoir un plafonnement des clauses dites de responsabilité. En résumé, le groupe Bolloré peut via la jurisprudence, faire sauter le plafonnement des indemnités liées aux clauses de responsabilité et demander une indemnisation du préjudice subi, soit depuis la mise en place du service en 2011 et du préjudice futur, soit du bénéfice manqué à venir... Or, cette résiliation devrait apparaître comme une grâce pour le groupe Bolloré qui est aujourd'hui déficitaire.

[NDLR : selon les informations du journal le Monde, révélant un audit du cabinet EY sur le sujet : en novembre 2016, l'industriel faisait savoir au SAVM pour la première fois que les comptes seraient dans le rouge, à hauteur de 179,3 millions d'euros, au terme de la délégation de service public, en 2023.]

Sur quelle jurisprudence peut s'appuyer le groupe Bolloré pour demander la remise en cause du motif de résiliation ?

La délégation de service public a été résiliée pour motif d'intérêt général. Si le contrat prévoit en l'espèce qu'il doit être dûment justifié, il n'encadre pas l'appréciation de l'autorité concédante. Or en droit commun et faute de stipulation contraire, la jurisprudence administrative retient une acception extensive de ce motif permettant ainsi à la puissance publique de sortir du contrat pour mieux servir l'intérêt général.

Le Conseil d'Etat a déjà admis que l'abandon d'un projet au coût élevé et à la rentabilité socio-économique faible puisse justifier une mesure de résiliation pour motif d'intérêt général. Il est toujours difficile de contester l'intérêt général d'une résiliation lorsque l'administration souhaite tirer les conséquences d'une évolution significative du paysage économique, évolution qui est précisément à l'origine des difficultés du titulaire du contrat en l'espèce. En réalité, l'enjeu sera indemnitaire.

Si le titulaire a subi des pertes, la résiliation ne peut être qu'un soulagement pour l'avenir. Mais alors le débat se porte sur les pertes passées et la question de savoir si elles entraient dans l'aléa économique que le délégataire de service public devait supporter dans ce type de contrat, ou si en réalité le service public qu'a dessiné le contrat à l'origine a cessé d'être viable pour des raisons imputables à l'administration concédante ou évitables par celle-ci si elle avait été plus diligente.

De sorte que si en théorie, la décision de résiliation peut être contestée en justice, le succès d'une telle action est très aléatoire. Tout le débat sera financier.

Lire la suite en page 2 : Dans ce type de contrat, ne peut-on pas demander une révision des termes du contrat pour tenter de s'adapter et d'évoluer en fonction de l'évolution du paysage économique ?




Dans ce type de contrat, ne peut-on pas demander une révision des termes du contrat pour tenter de s'adapter et d'évoluer en fonction de l'évolution du paysage économique ?

Il peut arriver que, d'un commun accord (mais ce n'est évidemment pas obligatoire pour la personne publique), les parties à un contrat de délégation de service public tel que celui d'Autolib' s'accordent pour modifier le contrat, afin de l'adapter à son environnement économique et technologique - du reste, le contrat Autolib' avait d'ailleurs déjà fait l'objet de plusieurs avenants.

Mais la liberté contractuelle de l'administration, soumise à des procédures obligatoires de mise en concurrence préalable, n'est pas sans limite : la jurisprudence et les textes prohibent les modifications substantielles des délégations de service public, notion qui désigne les changements qui sont susceptibles de bouleverser l'économie du contrat ou d'en changer l'objet.

La clé de ce type de contrat est d'avoir un paysage économique pérenne et une administration qui l'est tout autant. Comment pouvait-on imaginer en 2011, date de l'entrée en vigueur d'Autolib, la multiplication des offres concurrentes sur le marché ? L'administration doit faire attention que cela ne porte pas atteinte au contrat. Il faudrait passer d'une collectivité qui gère des DSP à une collectivité qui deviendrait régulatrice de services et fixerait simplement des agréments aux initiatives privées en s'assurant uniquement des notions de sécurité relatives au paiement et au matériel. Ou avant de lancer une DSP, il faut réaliser une étude sérieuse sur les initiatives privées dans le secteur et en cas d'absence de ces dernières, alors il peut paraître opportun de lancer une offre de service public soit en régie soit en délégation. Mais la question de fond reste : a-t-on encore besoin du service public ? "

Mais sur quel type de service les contrats de délégation (DSP ou PPP) présentent-ils encore un intérêt ?

Les marchés de partenariat (anciennement PPP) présentent un intérêt particulier en ce qui concerne le secteur immobilier notamment comme le projet Balard. [NDLR : PPP passé entre le ministère des armées et le groupement Opale, composé de Bouygues, Thalès, Sodexo, Dalkia, du Fond d'investissement et de développement des partenariats public-privé (FIDEPPP) et de South Europe infrastructure equity finance (SEIEF).].

Si oui, quel est-il ?

Du point de vue des personnes publiques, le principal intérêt des marchés de partenariat contrat réside dans la possibilité de faire préfinancer les investissements par le titulaire tout en en lissant le remboursement dans le temps. Mais cet objectif est parfois un peu trop rapidement poursuivi par les personnes publiques qui négligent les évaluations préalables nécessaires pour déterminer les coûts, sur le long terme, de ce type de projet.


Ancien haut fonctionnaire (direction des affaires juridiques de Bercy, Conseil d'Etat, cour suprême administrative française) et universitaire, Maître Thierry Dal Farra, est avocat associé chez UGGC Avocats, où il dirige le département de droit public des affaires.


 
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