[Interview] "Il faut porter la compréhension du métier d'acheteur en interne", Franck Léna, directeur achats du CEA
À la tête de la direction des achats et partenariats stratégiques du CEA, Franck Léna a à coeur de faire reconnaître le rôle et l'apport de l'acheteur à chaque étape de la vie d'un marché. Avec son équipe, il contribue à faire évoluer la culture et les pratiques achats du CEA.
Je m'abonneComment la commande publique du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est-elle organisée ?
Le volume d'achats du CEA se monte à environ 2,5 Md€. La DAPS gère directement environ 10 % de cette dépense que représentent les marchés nationaux, les marchés massifiés et les marchés régionaux de logistique et des services généraux. Les 90 % d'achats restant sont décentralisés au niveau des unités achats sur les 9 sites en France. Chaque unité lance elle-même les consultations et appels d'offres. La DAPS est donc une direction fonctionnelle qui a un rôle de coordination, de pilotage et d'animation auprès des unités achats opérationnelles, sous la déclinaison de sa stratégie.
Comment fonctionne la DAPS au quotidien ?
La DAPS compte 27 collaborateurs répartis dans trois services qui constituent la colonne vertébrale des achats du CEA.
Le service performance et outils (SPO) a pour mission de mettre à disposition de la fonction, l'ensemble des outils informatiques nécessaires au pilotage et au suivi de la fonction achat. Il est composé de statisticiens notamment chargés de récolter l'ensemble des éléments d'achat, de les analyser dans le but de disposer de tableaux de bords exploitables par la direction générale et les différentes unités achats, en interne, par les tutelles et la Direction des achats de l'État en externe. C'est un travail important et éminemment stratégique qui permet d'analyser l'évolution des marchés au plan national pour en évaluer la performance et ajuster la stratégie achat du CEA.
Le service stratégie et marchés nationaux (S2MN) est en charge de la recherche et de l'analyse des principaux besoins partagés de chaque centre du CEA et d'identifier ainsi les opportunités de mutualisation afin de rationaliser nos achats.
Le service du référentiel et de la commission des marchés (SRCM) assure la veille juridique et la mise en oeuvre de la réglementation. Ce service anime la commission préliminaire pour sécuriser le plus en amont possible la passation des marchés qui relèvent des autorités de contrôle du CEA, dont la Commission consultative des marchés (CcM) présidée par un membre de la Cour des comptes ou du Conseil d'État, qui se réunit une fois par mois à l'effet d'émettre un avis sur les marchés conclus au-delà de certains seuils. C'est également le SRCM qui assure la formation des prescripteurs et des acheteurs du CEA : tout nouvel acheteur passe ainsi deux fois deux jours en formation pour être opérationnel, tant au niveau technique, qu'au niveau des contraintes réglementaires.
Quels sont les enjeux et les difficultés auxquels votre équipe doit faire face ?
Pour une direction fonctionnelle, le challenge est d'impliquer les unités opérationnelles dans la stratégie définie au plan national et de mettre en cohérence l'ensemble des bonnes pratiques. Cette action se traduit, entre autres, par la tenue de réunions régulières pour échanger avec l'ensemble des acteurs de la fonction achat. La DAPS tient donc le rôle de conseil et d'accompagnement important de toutes les unités achats du CEA. Il existe également un travail de compréhension du métier d'acheteur à promouvoir en interne auprès des opérationnels : trop souvent cantonné à la rédaction d'un cahier des charges et à la publication d'un appel d'offres, le rôle de l'acheteur doit se concevoir dès l'amont d'un projet.
L'acheteur doit participer à l'élaboration d'un projet au sein de son équipe pilote, en menant à la fois un sourcing de qualité, en conseillant sur la procédure à appliquer et en dimensionnant le marché au juste besoin. Au-delà, il a également un rôle important dans l'exécution d'un marché et jusqu'à sa clôture, y compris les éventuels avenants le cas échéant. Il faut savoir qu'au CEA nous achetons très rarement "sur étagère" car nous avons un grand nombre d'achats prototypes et spécifiques.
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Quelle est votre position en matière de RSE et d'innovation ?
Nous essayons d'innover sans cesse pour optimiser nos achats, mais aussi pour porter et accompagner un changement dans la culture achat de nos prescripteurs scientifiques en leur proposant d'intégrer dans les marchés de nouvelles clauses environnementales et sociales. Une cause me porte également : le secteur protégé. Même si l'activité du CEA ne représente pas un champ d'application des plus faciles pour ce type de marchés, il existe toutefois des opportunités que je souhaite soutenir, comme l'entretien des jardins et espaces verts. Au niveau national, le volume d'achats dédié au secteur adapté représente aujourd'hui 3M€ ; c'est peu, mais c'est un début que je souhaite "performer".
Favoriser l'accès des PME-PMI fait partie des objectifs de la commande publique, comment travaillez-vous ce point ?
Développer la relation avec les PME/PMI fait en effet partie de nos objectifs de fonctionnement, nous y sommes donc particulièrement vigilants. Sur ce point précis, le CEA s'est vu décerner en 2018 la note A par le jury du Pacte PME, ainsi distingué parmi les grands groupes industriels français qui avaient présenté un dossier. Pour réussir cet objectif, nous développons nos contacts et faisons preuve de pédagogie au profit des PME/PMI qui souhaitent collaborer avec le CEA. Nous mettons ainsi à leur disposition des outils qui facilitent l'accès à nos marchés. Sur ce point précis et en 2017, nous avons intégré la plateforme de dématérialisation des achats de l'État "PLACE" et la plateforme d'innovation ouverte du Pacte PME. Nous travaillons étroitement avec les Chambres de commerce et d'industrie, notamment celle d'Aix-Marseille-Provence et chaque centre CEA organise un certain nombre de forums annuels, au cours desquels des représentants du centre concerné et de la DAPS viennent expliquer les spécificités de nos marchés et échanger avec les PME/PMI. Le 27 juin dernier, nous avons reçu dans les locaux du CEA Paris-Saclay, PME et grands groupes, dans le cadre des Rencontres organisées sous l'égide du centre Paris Saclay, de la CCI Île-de-France et du Pacte PME. Cela nous permet d'ouvrir la concurrence et, pour les PME, de se mettre à niveau et de soumissionner.
En termes d'aide aux PME/PMI, notre réglementation ne nous permet pas de faire des avances de paiement. S'agissant de deniers publics, il faudrait une dérogation spéciale auprès de la direction financière. Le CEA peut en revanche répondre au mieux à leurs nécessités de trésorerie en matière de délais de paiement. De la même façon, avec nos start-up partenaires, nous pratiquons l'essaimage qui leur permet de bénéficier de certaines aides pratiques.
Que pensez-vous de la bourse à la cotraitance qui vise à faciliter les groupements momentanés d'entreprises pour accéder à de plus gros marchés ?
La cotraitance pourrait être une alternative intéressante à la sous-traitance, mais je crois surtout à un sourcing de qualité, maîtrisé et efficace qui permet une véritable enquête au-delà d'un simple mécanisme déclaratif. Notre sphère d'intervention est tellement complexe sur certains marchés que la question se pose d'externaliser ce sourcing très spécifique ou d'internaliser des compétences spécifiques en termes de sourcing, car c'est un métier en soi.
La dématérialisation est l'un des vastes chantiers du secteur public, où en êtes-vous au CEA ?
Nous gérons près de 10 000 fournisseurs, réussir la dématérialisation est donc un challenge important. Nous sommes en chemin. Nous devrions, par ailleurs, être prochainement prêts pour la signature électronique. Le sujet n'est pas aussi simple qu'il pourrait le laisser entendre et nous demeurons vigilants sur les systèmes de certification reconnus. Au-delà de l'aspect signature documentaire, notre objectif plus global est d'atteindre le zéro papier et d'en finir avec les parapheurs matérialisés, pour que la procédure soit davantage traçable, sécurisable et transmissible de l'amont jusqu'à la clôture du marché. Comme nous avons beaucoup d'interactions avec l'État, nous nous alignerons vraisemblablement sur les choix de la Direction des achats de l'État, car une solution optimisée et centralisée serait de loin préférable pour la simplification de la commande publique. Mais plus que la dématérialisation, l'enjeu pour le CEA vise la digitalisation de la fonction achat dans sa globalité.
Sous l'effet du digital, entre autres, la fonction a beaucoup évolué, quel est selon vous son rôle aujourd'hui ?
La fonction achat en général, mais c'est d'autant plus vrai dans le secteur public, s'est incroyablement enrichie. Mon challenge personnel est de valoriser cette fonction d'acheteur pour qu'elle soit pleinement reconnue dans l'entreprise CEA. Il n'y a pas un profil d'acheteur mais plusieurs. Aux fins de valorisation de la fonction, je souhaiterais distinguer les acheteurs juniors et les seniors, mais également les acheteurs experts des acheteurs projet qui ont, eux, une vision plus transverse. Ces derniers méritent d'être pleinement reconnus dans cette expertise car ils contribuent significativement à la performance des projets complexes. J'ai à coeur de montrer que dans ce métier, il y a une formation préalable et continue qui peut aboutir au métier de "contract-manager". Je milite également pour la création d'un réseau d'experts reconnus, au début en interne, mais dont la valeur serait encore plus valorisée si elle permet des échanges entre entreprises. En conclusion, l'acheteur n'est pas seulement celui qui publie les marchés, c'est un des acteurs majeurs de la stratégie de l'entreprise, au métier complexe, complet et passionnant.
Bio Express
Juriste de formation, Franck Léna est spécialisé dans le secteur des dépenses publiques et immobilières de l'État. Il a entre autres mené des missions juridiques en droit des sociétés au sein de la COGEMA avant d'occuper la fonction de contrôleur général des marchés de Réseau Ferré de France. Il est devenu ensuite secrétaire général de la société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim) des actifs immobiliers de l'État avant de rejoindre le CEA. Après deux ans en tant que directeur juridique adjoint, il a pris la tête de la DAPS en 2016 ; il entend valoriser le rôle de l'acheteur dans la quête de performance de cet organisme public, acteur majeur de la recherche, du développement et de l'innovation dans les domaines de la défense et de la sécurité, des énergies bas carbone (nucléaire et renouvelables), de la recherche technologique pour l'industrie et de la recherche fondamentale (sciences de la matière et sciences de la vie).
Le CEA en chiffres :
9 centres de recherche en France
Effectifs : +16 000 personnes
55 accords-cadres en vigueur
600 partenaires industriels
La DAPS en chiffres :
Effectifs : 27 personnes réparties dans 3 services
Volume de dépenses annuel : 2,6 Md€
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