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" L'acheteur devient une clé de voûte dans la conduite des politiques publiques "

Publié par Anne-Sophie David le | Mis à jour le
Lionel Gindre, senior manager expert en charge du secteur public (KLB Group)
Lionel Gindre, senior manager expert en charge du secteur public (KLB Group)

Les achats publics n'hésitent plus à s'inspirer des pratiques issues du privé et embaucher des acheteurs sachant manier négociation, relations fournisseurs ou marketing achat. Interview de Lionel Gindre, Senior Manager expert en charge du secteur public au sein de KLB Group.

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Cette migration des acheteurs du privé vers le public est-elle marginale ou bien liée à la crise ?

Lionel Gindre : Sans être vraiment marginal, ce phénomène ne peut être entièrement lié à la crise. Plusieurs éléments peuvent en effet l'expliquer. La réduction des dotations de l'Etat contraint les collectivités et organismes publics à maîtriser leurs dépenses : à ce titre, mieux appréhender et contrôler l'acte d'achat est un facteur clé de réussite que le recrutement de ressources rompues aux pratiques achats permet de concrétiser. L'objectif étant bien de sortir d'une approche purement juridique de l'acte d'achat pour réaliser plus de performance, qu'il s'agisse de gestion optimisée des dépenses publiques ou de recherche de marges de manoeuvre financières. Il est important de mentionner que certains organismes n'ont pas attendu ce contexte de restriction budgétaire pour mettre en place une fonction achat dans leur organisation. Les grandes collectivités, les conseils régionaux s'étaient déjà inspirés du modèle privé pour ajouter à leur service marché une compétence achat, traduisant ainsi une volonté précoce d'optimiser les dépenses et de développer une nouvelle approche de leurs marchés. La mise en place d'acheteurs au sein du secteur public est bien une tendance de fond qui n'a pas attendu la crise pour émerger. Les précurseurs avaient déjà recruté des profils métiers issus du privé il y a près de 10 ans, mais ils n'étaient pas nombreux.

Aujourd'hui ce besoin de compétence n'est plus soumis à discussion et est en forte progression, même si sa mise en oeuvre peut avoir de multiples facettes : recruter des profils achats formés au secteur public, recruter des profils issus du privé pour insuffler de nouvelles pratiques ou recourir à des compétences externes via des activités de conseil. L'acheteur représentant un levier majeur qui permet de "faire plus avec moins", il devient une véritable clé de voûte dans la conduite des politiques publiques.


Le déploiement de la fonction achats au sein des collectivités ou des organismes publics doit être mené en cohérence avec les enjeux et les moyens disponibles.

Au sein du secteur public, les premiers segments d'achats confiés à des acheteurs métiers, sont ceux pour lesquels la mise en place de leviers achats est réputée la plus facile comme les frais généraux ou les fournitures. En effet, s'agissant de l'émergence d'une fonction, il peut s'avérer utile que l'acheteur fasse ses preuves aux yeux des autres services sur ces familles d'achats associées généralement à des enjeux relatifs.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les véritables enjeux financiers du secteur public se situent ailleurs : au niveau des opérations et des investissements. C'est en impliquant l'acheteur sur ces dépenses qui demeurent, que sa valeur ajoutée pourra pleinement être mesurée. Mais ces dépenses sont bien souvent la chasse gardée des directions techniques.

Pour les acheteurs issus du privé, cette ouverture des organismes publics représente un élargissement notable de leur champ de compétences. En effet, ces entités, souvent vierges de toute approche achat, constituent un terrain favorable à la mise en place de bonnes pratiques et à la réalisation d'économies sur la plupart des segments d'achats. L'acheteur disposant d'une expérience acquise dans le privé peut y trouver une opportunité de valoriser son savoir-faire en le mettant au service de la communauté et par extension, de l'usager. L'acheteur apporte, entre autres, une dimension qui n'est pas toujours correctement appréhendée par les services techniques ou les prescripteurs : la connaissance et le bon recours au marché, et ce, même dans un contexte d'application du code des marchés publics qui cadre, dans ce cas, avec rigueur les échanges avec les fournisseurs.


La fonction d'acheteur est-elle devenue stratégique dans le secteur public ?

Si la fonction achats tend à se développer dans le secteur public, c'est en raison de son attractivité et non pour un quelconque désamour envers le secteur privé. De cette manière, la fonction devient stratégique et remonte dans les organigrammes, à des niveaux de plus en plus proches des instances décisionnaires, et cette dynamique attire les talents qui commencent à être recherchés activement par les collectivités.

Mais il ne faut pas occulter la question de la rémunération. Si les profils seniors avec expérience peinent à rentrer dans les grilles, pour les autres, en revanche, ce secteur permet d'ajouter des compétences " achats " à leur palette, ainsi que d'autres, plus spécifiques, se rapportant aux sujets de transformation organisationnelle en passe d'être opérés.

Que peut apporter un acheteur issu du privé au secteur public ?

Si on considère que la plupart des entités publiques abordaient essentiellement leurs marchés sous l'angle de la sécurisation juridique et que le recours à la négociation demeurait bien souvent limité, il devient alors évident que l'acheteur issu du privé peut leur apporter énormément : mise en place de politiques d'achat, connaissance des marchés fournisseurs, maîtrise des inducteurs de coût de chaque segment d'achat, aptitude à définir des stratégies d'achat, pratique de la négociation... Autant d'éléments qui, sous réserve d'un bon diagnostic initial (cartographie, pratiques achats..) et de leur application dans le respect du cadre réglementaire, peuvent permettre d'obtenir des résultats à court et moyen terme.

Par ailleurs, dans un certain nombre d'entreprises privées mâtures, on reconnait à l'acheteur le rôle de coordinateur et d'animateur de la relation prescripteurs/ fournisseurs. Tout n'est pas parfait mais là ou l'acheteur a su apporter une valeur ajoutée, il lui sera ensuite confié un rôle en interne. Cette expérience et ces pratiques de gestion de la relation fournisseurs ont pleinement leur place au sein des entités publiques, y compris sur les segments d'achats réservés jusqu'alors à des spécialistes techniques. Mais, comme dans le cas des entreprises privées, la valeur ajoutée créée facilitera son implication dans les relations prescripteurs / fournisseurs existantes.

Acheteur public / acheteur privé : est-ce le même métier ?

Oui ! Mais le cadre dans lequel chacun s'exprime est différent : l'acheteur public évolue dans un contexte beaucoup plus marqué par les contraintes juridiques et doit adapter ses pratiques. Cela se traduit notamment par une plus grande anticipation : tout doit être défini avant le lancement de la procédure. Les questions clés doivent être résolues très en amont ; il s'agit de formaliser les stratégies d'achat dans le détail, par exemple, le choix des procédures à appliquer ou certaines pratiques relatives aux marchés publics (allotissement, publicité, méthodologie d'analyse des offres....). Cela peut nécessiter une remise en cause des approches classiques issues du privé et constituer un élément d'apprentissage.

On pourrait aussi citer l'horizon temporel qui, pour toute procédure, est souvent radicalement plus éloigné dans le public que le privé. Mais de la même manière, ce point souvent soulevé comme une contrainte forte, peut être atténué si les actions sont planifiées et anticipées.

Quel serait le profil idéal ?

Le candidat idéal présenterait une double compétence achat / marchés publics, c'est-à-dire un profil d'acheteur privé disposant en plus d'une parfaite connaissance du cadre juridique public, lui permettant ainsi de déployer les stratégies achats les plus adaptées sans mettre péril les procédures. Ce type de profil étant plutôt rare, il s'agit dès lors pour l'acheteur de faire preuve d'ouverture pour collaborer étroitement avec les juristes marchés publics de son entité, ce type de binôme permettant d'ailleurs certainement de tirer le meilleur parti des leviers juridiques et achats.

En termes de besoins, les entités publiques achètent aussi bien des fournitures que des services, des prestations intellectuelles ou des travaux. L'ensemble des profils d'acheteurs, aussi bien ceux dits classiquement "hors production" que "production", peuvent ainsi trouver leur place dans le secteur public.

Quels sont les points forts et faibles du secteur public pour un acheteur qui vient du privé ?

Le secteur public est très attractif puisqu'il représente l'opportunité pour des acheteurs issus du privé d'officier pour le compte de grands donneurs d'ordre publics, sur des projets à forte visibilité avec des enjeux financiers majeurs. Par ailleurs, dans un contexte global qui place les dépenses publiques sous les feux des projecteurs, la tentation est grande de vouloir changer les choses, tant, depuis l'extérieur, la maîtrise de ces dépenses semble présenter de nombreuses pistes d'amélioration. Malgré une échelle temporelle différente, les préjugés relatifs à la lenteur du rythme dans le secteur public semblent aujourd'hui dépassés. Mais la complexité des projets et la multiplication des donneurs d'ordre peuvent nécessiter une implication forte en créant des schémas compliqués. Dés lors, l'écart de rémunération entre le public et le privé peut constituer un point de blocage pour les acheteurs issus du privé.

Le secteur public sait-il attirer et retenir les talents ?

Pour attirer les talents en matière d'achat, mais aussi les retenir, le secteur public va fondamentalement devoir valoriser l'image de l'acheteur, et travailler à supprimer cette étiquette simpliste de "cost killer" qui colle à la fonction. Pour cela, il faut modifier son champ d'intervention de façon notoire, et l'impliquer sur les sujets dont les enjeux sont importants pour le secteur public (grands projets, opérations, investissements...). De même, il faut que l'acheteur, comme dans le privé, dispose de prérogatives étendues, lui permettant de jouer pleinement son rôle de coordinateur entre les prescripteurs internes et les filières fournisseurs, de jouer son rôle dans l'animation de projet(s) et de mettre en oeuvre les leviers propres à sa fonction.

Par ailleurs, comme bon nombre de fonctions au sein du secteur public, il est nécessaire de définir une trajectoire de carrière pour les acheteurs afin de mettre en perspective les opportunités de développement.


Cette interview est un extrait de notre dossier spécial " Ces acheteurs privés qui investissent le secteur public", à paraître dans notre numéro de novembre.


 
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