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La contribution des achats à la réduction de l'empreinte carbone

Publié par Aude Guesnon le | Mis à jour le
La contribution des achats à la réduction de l'empreinte carbone
© Mopic - stock.adobe.com

Réduire son empreinte carbone est un enjeu pour toutes les organisations, privées comme publiques. Nombre d'entre elles ont pris des engagements ambitieux en la matière que les achats doivent servir. Mas calculer son empreinte carbone, et surtout celle des produits que l'on achète, n'est pas aisé...

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Comment les achats contribuent-ils à réduire l'empreinte carbone des organisations ? Tel fut le sujet soumis à nos intervenants, le 15 avril dernier, lors d'un webinar organisé dans le cadre de d'un événement dédié à l'économie positive, B for Good. Etaient alors réunis, Magali Blaise, PMO Group Director of Global Procurement, Supply chain and Performance chez Orange ; Nathalie Paillon, directrice des opérations et des études à l'ObsAr, et Sylvain Guyoton, vice-président de Ecovadis.

Nathalie, comment sont sollicitées les organisations achats sur ce sujet ?

Nathalie Paillon - La Lutte contre le réchauffement climatique est un sujet d'actualité, pour toutes les organisations, privées ou publiques, y compris pour chacun d'entre nous en tant que citoyen. Rappelons que les objectifs sont d'être neutre en émissions carbone au plus tard en 2050, ce qui correspond à au moins 40% de baisse de toutes nos émissions. D'après une étude Mazars, une courte moitié des entreprises a mis en place des actions "bas carbone" mais seulement 16% ont une feuille de route neutralité carbone. Les achats s'intéressent à ce sujet qui va mobiliser toutes les forces de l'entreprise. A l'ObsAr nous cherchons à savoir si les directions achats sont déjà challengées sur cet axe et si oui, comment elles le sont et comment cela se traduit. Ceci pour anticiper, et faire en sorte que les achats s'approprie ce sujet, les outils d'analyse avant qu'ils soient largement mobilisés. Car, concrètement, il n'y a pas encore de méthodes "achats bas carbone".

Selon vous, Sylvain que représente le scope 3 en termes d'émissions ?

Sylvain Guyoton - La plupart des grandes entreprises parvient à calculer ses émissions de carbone et selon l'aperçu que nous avons, dans la plupart des secteurs, le scope 3 représente, en moyenne, 70% des émissions. Mais attention, la plupart font une évaluation du scope 3 à partir de bases de données et non à partir de données primaires. Ils utilisent donc des moyennes sectorielles.

La fonction achats est directement concernée puisque connectée avec les fournisseurs.

Natthalie Paillon - Le scope 3, est très vaste donc puisque Sylvain souligne que les scopes 1 et 2 = 30% des émissions . On va y trouver les émissions de GES générées par les matières premières achetées, par les transports amont et aval des marchandises, par les déchets générés par les activités de l'organisme mais aussi par l'utilisation et fin de vie des produits et services vendus. Pour faire court, on assimile le Scope 3 aux émissions "importées" dans l'entreprise. Donc des émissions qui proviennent en majorité des fournisseurs. Ce scope 3, pourrait être légitimement une base de référence pour les acheteurs, utile pour calculer la réduction des émissions au fil du temps. Mais avec des moyens à disposition ! Car travailler sur 70% des émissions ne peut pas se gérer comme un critère de plus dans le choix d'un produit. Il va falloir se mettre en ordre de bataille ! Avec des moyens humains et technologiques!

Magali, vous représentez Orange qui a pris des objectifs ambitieux en matière de neutralité carbone... comment les achats s'y emploient-ils ?

Magali Blaise - Magali Blaise - Effectivement, l'objectif de neutralité carbone du Groupe à horizon 2040 est ambitieux. Pour les atteindre, des objectifs quantifiés intermédiaires ont été définis, sur un 1er jalon en 2025. II faut donc nous mettre en marche dès maintenant !

Les émissions de CO2e sous la responsabilité du Groupe étaient d'environ 1,3 m tonne pour les scopes 1 et 2 en 2019 (calculés avec nos consommations réelles et les mix énergétiques des pays Orange) et elles étaient estimées à 7,2 m tonnes pour le scope 3 en 2018. La tâche est donc déséquilibrée avec 5 fois plus de GES émis par des acteurs que nous ne maîtrisons pas. C'est pourquoi nous avons une double démarche au niveau de la direction des achats.

D'abord une démarche d'acheteur classique pour les activités sur les scopes 1 et 2. Par exemple, sur l'objectif de consommer 50% d'énergies renouvelables, nos acheteurs vont pousser de nouveaux modèles d'achats tels que les PPA en Europe ou mettre en place des fermes solaires sur la zone Afrique & Moyen Orient. Sur un autre aspect, en concertation avec les constructeurs automobiles, les acheteurs ont renouvelé leurs flottes de véhicules pour atteindre 50% d'électrique en France. De même, à travers le programme Green IT et Réseaux sur nos infrastructures propres (dont les Data centers), les acheteurs secondent les prescripteurs auprès des fournisseurs, via les RFP, pour pousser l'économie circulaire, exiger une amélioration de l'efficience énergétique ou encore permettre la mesure réelle de l'empreinte carbone. Nous travaillons sur beaucoup d'autres initiatives, mais globalement, nous avons la main sur ces émissions de carbone.

Concernant le scope 3, la situation est différente car celui-ci dépend essentiellement de nos fournisseurs. Or à date, toute la chaîne de valeur de notre activité est composée d'entreprises dont l'engagement environnemental n'est pas toujours significatif. Au mieux, celui-ci est récent, comme le nôtre qui date de 2019. La démarche de la direction achats groupe alors porte davantage l'accompagnement des acteurs internes comme externes.

Ainsi nous structurons actuellement un programme pour décliner concrètement notre objectif sur le scope 3. Nous avons pour cela mis sur la table les questions pour définir un plan d'action concret, dans le but d'engager toutes les parties prenantes :

-Quelle connaissance a-t-on de l'empreinte carbone de nos fournisseurs ? Lesquels engager en priorité ? Avec quels leviers ?

-Où s'arrête la responsabilité des achats ?

-Quelles sont les méthodologies de calcul pour mesurer la réduction de l'empreinte carbone de nos activités ? Quel reporting extra financier est attendu ?

-A-t-on les bonnes expertises pour traiter la mesure de l'empreinte carbone ?

-Etc.

Les métiers ne nous ont pas attendus pour lancer des initiatives, mais il nous reste beaucoup de choses à définir et à structurer pour être efficaces.

Notre première action consiste à établir la liste des produits et services facteurs d'émissions de CO2. Puis c'est aux acheteurs, avec les business owners, de se rapprocher des fournisseurs concernés, sur la base d'une stratégie par fournisseur Groupe ou par appel d'offre. L'approche privilégiée est ensuite de collaborer afin de favoriser l'enrichissement mutuel et d'aboutir à une transformation efficiente au global. En effet, il faut savoir que lorsque nos fournisseurs agissent sur leurs scopes 1 et 2, cela impacte positivement notre scope 3. C'est donc plutôt vertueux.

Lire la suite en page 2 : Comment faites-vous pour mesurer l'empreinte carbone des produits que vous achetez? / Les fournisseurs sont-ils aujourd'hui en capacité de reporter leurs émissions pour en donner information aux donneurs d'ordre ? / Diminuer son empreinte carbone, c'est aussi miser sur l'économie circulaire. Que conseillez-vous aux entreprises qui veulent investir ce sujet ? / Peut-on dire que la réduction de l'empreinte carbone est, majoritairement, un sujet achats ?


Comment faites-vous pour mesurer l'empreinte carbone des produits que vous achetez ?

Magali Blaise - Le problème est qu'aujourd'hui, nous (comme la majorité des entreprises) manquons de connaissance sur la maturité carbone de nos fournisseurs, mais aussi de méthodologies de calcul des émissions CO2e des produits et services utilisés. C'est pour cette raison que les émissions du scope 3 sont calculées avec des règles imprécises à ce jour.

Donc concrètement, après avoir défini et priorisé les produits et services sur lesquels nous devons agir, c'est aux business owners avec les experts green du Groupe (ou de cabinets externes) d'identifier les méthodologies de calcul (parfois sur la base d'abaque existants) et les KPIs associés pour les activités d'Orange concernées, ainsi que de pondérer les critères RSE vs les critères financiers et techniques qui permettent d'évaluer nos fournisseurs.

Nos équipes ont déjà produit un éco-rating de l'empreinte CO2e de nos box; lancé un programme d'économie circulaire qui est aujourd'hui opérationnel sur les équipements réseaux, une méthodologie de calcul de notre activité de transport a été définie par la direction de la supply chain, etc.

En parallèle, nous faisons partie d'un écosystème de partenaires avec qui nous collaborons de longue date comme la JAC ou la GSMA, ou encore des agences de standards comme SBTi ou l'ADEME en France. Ainsi, nous travaillons avec nos pairs mais aussi des fournisseurs via des groupes de travail, pour qualifier des standards de mesure et ainsi influer sur l'ensemble du secteur.

Sylvain, les fournisseurs sont-ils aujourd'hui en capacité de reporter leurs émissions pour en donner information aux donneurs d'ordre ?

Sylvain Guyoton - Toutes les entreprises veulent aujourd'hui décarboner leur activité mais le niveau de maturité est très bas. Moins de 10% des fournisseurs sont capables de reporter leurs émissions et encore, ce sont des reportings société et pas des reportings produits... c'est pourtant ce qui est attendu par les donneurs d'ordre. Le niveau de maturité des chaînes d'approvisionnement est extrêmement bas.

Pour accompagner les fournisseurs, nous avons créé un rating spécifique qui évalue en profondeur leur maturité carbone sur un une douzaine de critères et nous donnons accès à un calculateur carbone pour que les entreprises puissent mesurer leurs scores et leurs évolutions.

Combien de fournisseurs avez-vous évalués grâce à ce module ?

Aujourd'hui, ils sont une centaine à avoir été évalué spécifiquement sur leurs émissions mais l'outil va monter en charge très rapidement - mais nous avons aussi 75 000 fournisseurs évalués sur le rating Ecovadis classique

Nathalie, diminuer son empreinte carbone, c'est aussi miser sur l'économie circulaire. Que conseillez-vous aux entreprises qui veulent investir ce sujet ?

Nathalie Paillon - Nous les orientons sur l'économie circulaire pour faire des économies d'énergies et de ressources tout de suite. C'est une solution pour agir ici et maintenant. Même si on sait très bien que les filières n'existent pas encore forcément. Celles-ci sont en train de se constituer et il faut les soutenir ! Nous invitons les entreprises à systématiser une réflexion amont sur le besoin afin d'éviter les achats inutiles. C'est la première bonne pratique pour limiter l'utilisation des ressources ! L'économie circulaire commence dès le questionnement même de l'achat.

Une fois que l'on a questionné le besoin, on peut alors s'orienter vers des produits dont l'intensité carbone est réduite : par ex, les produits issus du réemploi (on va devoir tous s'y mettre...). Dans ce cas, on élimine les émissions de la fabrication dans son bilan carbone ! On peut ensuite agir pendant l'utilisation du produit en réparant plutôt que jeter. Les filières du mobilier ou des D3E se développent fort.

Ensuite, le réflexe a développer, c'est que l'acheteur se demande ce que devient le produit en fin de vie pour favoriser l'achat de produits recyclables ou réparables. Cela a 2 vertus : tout d'abord, en sachant que être recyclé, un produit doit être éco-conçu. Ensuite, cela permet d'anticiper l'approvisionnement de la filière de recyclage recevra de la matière pour produire et ainsi se rentabiliser...(recyclage des vêtements de travail). La situation actuelle nous oblige à changer de modèle et il faut faire le maximum pour alimenter les nouveaux business models. Par le questionnement "économie circulaire", l'acheteur rend possible la deuxième vie du produit et réduit drastiquement les émissions.

Magali- En conclusion, peut-on dire que la réduction de l'empreinte carbone est, majoritairement, un sujet achats ?

Magali Blaise - Les achats ne pourront agir seuls. Ils doivent pouvoir compter sur leur écosystème interne et externe dans une démarche d'enrichissement mutuel. Au sein du Groupe il faut que tout le monde s'engage, la réussite de la mise en oeuvre des leviers opérationnels pour réduire effectivement les émissions CO2e, ne peut être que par l'engagement d'une démarche collective et solidaire.

Les achats ont leur rôle à jouer pour accompagner cette transformation : engager et faire participer nos fournisseurs, contribuer à faire des choix par rapport à l'impact carbone et engagement environnemental, agir pour une performance financière et environnementale équilibrée en faisant admettre une valorisation de émissions "achetées" dans les décisions business.

 
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