RSE et supply : deux enjeux majeurs aux réponses communes
Décision Achats vient de mener sa toute première étude (en partenariat avec OpinionWay) sur les tendances achats, centrée sur les problématiques de RSE et de supply chain. Deux enjeux liés en termes de risques mais aussi de solution, qui se trouve bien souvent dans le partenariat avec les fournisseurs.
Je m'abonneVotre magazine Décision Achats vient de publier sa première étude (en partenariat avec OpinionWay) afin de mieux comprendre les tendances achats (voir encadré). Deux thèmes nous ont semblé intéressants à approfondir vis-à-vis du contexte actuel : la RSE et la supply chain. Deux thèmes non seulement d'actualité mais qui sont également liés. « Il s'agit de deux thèmes majeurs à ne pas opposer. La RSE est le fil rouge et la supply chain est le facilitateur », juge Anthony Angé, directeur achats groupe d'Europe Snacks et vice-président du Conseil national des achats Bretagne. Ces deux sujets ont également en commun la gestion des risques, les risques d'image et de non-conformité du côté de la RSE, les risques liés à l'approvisionnement pour la supply chain. « Ces deux types de risques sont liés : on soigne sa relation fournisseur non seulement pour faire face au risque d'approvisionnement en étant le client préféré mais aussi pour des questions de RSE », avance Hugues Poissonnier, professeur associé à Grenoble École de management. Des solutions communes à ces deux enjeux existent en effet, comme la relocalisation qui permet de mieux maîtriser sa supply chain tout en se montrant plus responsable au niveau environnemental.
Deux enjeux, surtout, qui sont au coeur des priorités des directeurs achats puisque l'étude révèle que 96 % classent les approvisionnements en tête des priorités et que 55 % considèrent que la RSE représente une réelle opportunité pour la fonction.
Partenariat avec les fournisseurs
Commençons par explorer la RSE et la façon dont les directions achats l'abordent. « Nous étions dans le greenwashing jusqu'en 2020/2021, estime Vincent Martegoutte, associé chez Axys Consultants. Mais depuis la crise du Covid et son impact sur la supply chain, la guerre en Ukraine, l'inflation, la crise de l'énergie... on constate un avènement de la RSE notamment autour de la relocalisation. Les entreprises évoluent aussi sur ce sujet parce qu'il y a une prise de conscience du grand public, que c'est devenu un levier d'attractivité et que le volet réglementaire est de plus en plus contraignant sur ce thème ». Les directions achats se mettent donc en marche sur le sujet. Pour Raphaël Belliere-Lottier, directeur général adjoint de Meotec, la RSE est même une préoccupation extrêmement forte des directeurs achats. « Tous mettent en place une démarche d'achat responsable au travers de politique et plan d'actions achats responsables mais aussi en intégrant des critères sociaux et environnementaux dans leurs achats », rapporte-t-il.
Les directions achats sont, en matière de RSE, la porte d'entrée de leur entreprise sur le monde des fournisseurs. Et c'est en partenariat avec ces derniers qu'elles avancent sur le sujet. « Sur le sujet de la RSE, nous sommes moins dans le transactionnel et davantage dans le partenariat. Nous définissons des ambitions communes, nous partageons une feuille de route et chacun apporte son expertise », indique Anthony Angé, précisant qu'il bénéficie de l'expérience de certains de ses fournisseurs même s'il dit faire attention au greenwashing. Dans cette logique partenariale, chez Air France, les objectifs sont donnés aux fournisseurs afin qu'ils apportent ensuite leurs connaissances. « Nous avons remplacé les plats en plastique par des plats en canne à sucre et le fournisseur a pris en compte nos contraintes de dimensions - afin que les plats tiennent sur les tablettes - et nous a proposé un produit adapté à nos besoins », raconte Magali Viala, directrice des achats produits et services en vol chez Air France.
Ce remaniement des relations avec les fournisseurs passe aussi, pour beaucoup d'entreprises, par l'adhésion à des labels, comme celui Relations fournisseurs et achats responsables (RFAR). Cela permet de devenir le client préféré des fournisseurs (pratique dans un contexte de pénurie) mais aussi de leur demander de faire des efforts sur le sujet RSE. « Les directions achats ont avec leurs fournisseurs des relations plus équilibrées, plus riches, qui permettent de générer de la valeur à long terme », constate Vincent Martegoutte. Son cabinet est d'ailleurs très souvent sollicité sur la mise en place de trajectoires d'amélioration dans lesquelles les achats engagent leurs fournisseurs. « C'est avec leurs fournisseurs que les entreprises construisent un avantage concurrentiel et pas seul », souligne Hugues Poissonnier. Même discours du côté de Raphaël Belliere-Lottier qui engage les entreprises à travailler, en partenariat avec les fournisseurs, sur les notions de coût complet et de cycle de vie du produit ou service. « Cela permet de ne rien oublier et de ne se fermer à aucune solution. Car la difficulté du sujet RSE est d'adresser de nombreux axes en même temps : il ne se réduit en effet pas au bilan carbone mais concerne aussi la réduction des déchets, les transports, l'écoconception, le green IT... », énumère-t-il.
Évangélisation en interne
Finalement, en matière de RSE, la principale difficulté viendrait non pas de l'immaturité ou de la réticence des fournisseurs mais plutôt des clients internes. « Ils ont des difficultés à changer de fournisseurs ou à faire évoluer leur manière d'acheter. Il s'agit donc de les accompagner en faisant preuve de pédagogie et leur montrant que les consommateurs sont sensibles aux démarches RSE mais aussi en quoi le secteur de l'économie sociale et solidaire peut être intéressant », propose Raphaël Belliere-Lottier. La mission des directions achats évolue donc vers une évangélisation de la bonne parole RSE au sein de l'entreprise. Ce sont eux qui sensibilisent, donnent à voir des solutions innovantes qui font évoluer la société dans le bon sens, aussi bien sur l'aspect environnemental que social. « La RSE redonne du sens à la fonction achat, la revalorise », pense Vincent Martegoutte.
Mais ce travail de pédagogie n'est pas toujours facile. « En interne, l'objectif principal est aujourd'hui la trésorerie et non pas les bonnes relations fournisseurs pour avoir une attitude plus responsable, développer des projets RSE innovants et sécuriser les approvisionnements. Il arrive alors que les fournisseurs soient utilisés comme des "banquiers". En période de crise, on privilégie le court terme sans penser aux conséquences sur le long terme », se désole Hugues Poissonnier. Anthony Angé appelle les entreprises à ne pas opposer les économies et le risk management à la RSE : « Il ne faut pas ralentir la feuille de route sur la RSE parce que nous rencontrons des difficultés à cause de l'inflation », met-il en garde. Cet équilibre court terme/long terme est difficile à trouver pour Magali Viala, même hors période de crise. « Les produits écoresponsables ont un coût supérieur à ceux qui ne le sont pas. Il s'agit donc de dépenser plus à un instant t afin d'investir pour un avenir plus durable », indique-t-elle, expliquant qu'elle essaie de modéliser le coût de la RSE afin de dégager un ROI sociétal et financier à plus long terme. On revient ici à la notion de coût complet, à travailler avec ses fournisseurs. Autre sujet prioritaire pour elle : l'évaluation de l'empreinte carbone des 100 fournisseurs les plus critiques (à travers la base de données de l'ONG internationale CDP - anciennement Carbon Disclosure Project) pour les inciter ensuite à la faire évoluer. « Le risque RSE représente aujourd'hui un risque fournisseur fort », déclare Magali Viala.
Sécurisation de la supply chain
Le sujet RSE, nous l'avons dit, déborde aussi sur le domaine de la supply chain. « L'empreinte carbone de la supply chain est un point important. Les transporteurs sont soumis à des contraintes réglementaires, les clients demandent une optimisation de l'empreinte carbone dans leurs appels d'offres... Mais la transformation n'est pas encore une réalité car elle exige de revoir en profondeur le schéma de production et l'operating model de l'entreprise », constate Raphaël Belliere-Lottier. Il mentionne par exemple le sourcing local qui peut imposer quelquefois de créer des filières en regroupant des fournisseurs parfois concurrents. Magali Viala pointe en effet que la relocalisation ne peut pas se faire du jour au lendemain : le groupe est en train de rapatrier la plupart de ses achats en Europe pour des raisons de responsabilité sociale et environnementale mais aussi pour des questions de coûts du transport.
Mais si la supply chain est au coeur des préoccupations des directions achats aujourd'hui, ce n'est pas pour des questions RSE mais pour des difficultés d'approvisionnement. « Avant la crise du Covid, la supply chain était déjà une priorité, notamment avec l'avènement de l'e-commerce et de la digitalisation. Mais le Covid a mis en exergue les fragilités de nombreuses supply chain, d'autant plus que l'e-commerce s'est accéléré », analyse Raphaël Belliere-Lottier. Pour lui, la principale difficulté liée à la sécurisation de la supply chain vient de la difficulté à maîtriser des niveaux de sous-traitance en cascade. « La supply chain est un véritable écosystème interconnecté et il est complexe d'avoir une vision globale surtout lorsqu'on parle d'interopérabilité », note-t-il. Il pense que la digitalisation peut être une solution, comme la blockchain. De manière générale, Raphaël Belliere-Lottier pense que la digitalisation de la supply chain ne doit pas être négligée. « L'analyse des données permet de faire du prédictif, les puces RFID permettent de savoir où est le produit mais aussi de gérer le cycle de vie du produit, etc. », décrit-il.
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Frédéric Thielen, président d'AristaQ, pense aussi que la digitalisation représente une solution, surtout les solutions d'intelligence économique. Pour lui, si les directions achats ont été touchées de plein fouet par les dernières crises c'est parce qu'elles sont dans une capacité très relative à anticiper. « Les crises ont révélé que l'intelligence économique est le parent pauvre de la fonction. Le sous-investissent en intelligence économique dans les directions achats ont amené à un manque d'anticipation ce qui les a obligées à mener des opérations pompier à chaque crise », constate-t-il. Il appelle donc les directions achats à dédier des personnes à l'intelligence économique ou à utiliser des outils dédiés afin de scénariser un certain nombre de risques dans l'optique de savoir si la supply chain tiendra le coup.
Rendez-vous réguliers avec les fournisseurs
Pour Hugues Poissonnier, améliorer la résilience de la supply chain passe par une relation fournisseurs plus partenariale. « On voit apparaître dans les tableaux de bord achats des indicateurs comme le taux de satisfaction fournisseurs. Cela vient enrichir les indicateurs traditionnels de réduction des coûts », se félicite-t-il. Ainsi, chez Air France, les revues de performance avec les fournisseurs sont devenues plus fréquentes, afin de faire remonter beaucoup plus tôt des problématiques comme des retards de livraison par exemple. « Nous sommes donc plus proches de nos fournisseurs mais nous nous entretenons également plus fréquemment avec eux. Les sujets de supply chain et de RSE nous ont amenés à avoir des relations plus partenariales avec nos fournisseurs », résume Magali Viala. Anthony Angé confirme qu'il est impossible aujourd'hui de faire l'économie de rendez-vous réguliers avec les fournisseurs afin de livrer avec transparence des éléments sur l'activité de l'entreprise et de recueillir en échange des éléments sur leur situation. « La relation est devenue très directe afin d'éviter des problèmes de rupture mais aussi de coûts cachés. On renforce donc la gouvernance de la relation avec les fournisseurs et on cadre également mieux la relation avec des contrats », décrit-il.
Pour Raphaël Belliere-Lottier, il s'agit non seulement de renforcer la relation mais aussi de s'engager auprès de ses fournisseurs, pour sécuriser ses approvisionnements. « En leur donnant de la prédictibilité, en s'engageant sur un nombre de produits, on les sécurise et on réduit le risque au maximum », explique-t-il. Si le partenariat doit se renforcer avec les fournisseurs, les achats doivent aussi travailler en commun avec la supply chain afin de réfléchir au futur. « Il s'agit notamment de remettre à plat le réseau de fournisseurs actuels, de se poser la question du réseau qu'on devrait avoir à horizon 2/3 ans et de définir un plan pour y arriver. C'est ce qu'on appelle le supply chain network design », expose Frédéric Thielen. La supply chain comme la RSE est donc avant tout une question de collaboration. Une collaboration avec les fournisseurs mais aussi avec l'interne afin de trouver les solutions les plus adéquates.
Sandrine Crasnier, directrice achats de Spie France : « Le sujet de la RSE donne un souffle nouveau aux directions achats »
Sandrine Crasnier, la directrice achats de Spie France, a bâti une politique achats responsables autour de trois piliers : la compliance, la réduction de l'empreinte carbone et les achats inclusifs. Des actions concrètes ont déjà été prises, comme l'électrification de la flotte automobile ou la signature d'un contrat d'énergie verte, afin de réduire l'empreinte carbone des scopes 1 et 2. Sur le scope 3, la direction achats travaille avec les fournisseurs afin qu'ils valident leur plan de réduction de CO2. « Il faut faire beaucoup de pédagogie », indique Sandrine Crasnier qui reconnaît que beaucoup de grands fournisseurs apportent au contraire des solutions inspirantes. Par ailleurs, 120 acheteurs ont été formés aux achats durables, ce qui les a aidés à structurer la démarche mais aussi à comprendre les conséquences de leurs actions. Sandrine Crasnier dit aussi travailler sur un calculateur de CO2 qui permettrait de calculer le coût carbone d'un produit et de son fonctionnement afin de rendre tangibles les économies de CO2 au sein de la supply chain. « Le sujet de la RSE donne un souffle nouveau aux directions achats, il permet de renforcer notre positionnement auprès des clients internes, qui ne nous attendent plus seulement sur du cost cutting », conclut-elle.
Nicolas Pinchaud, directeur des achats chez Agromousquetaires : « Garder la trame du fond du RSE malgré le contexte actuel »
Au sein d'Agromousquetaires, la RSE est au coeur de la stratégie de l'entreprise. C'est donc tout naturellement qu'elle se trouve au coeur de la stratégie achats. Ainsi, une feuille de route RSE a été fixée pour 4/5 ans autour du volet social comme du volet environnemental. Une trajectoire que Nicolas Pinchaud, le directeur achat, essaie de ne pas mettre de côté malgré le contexte actuel. « Il s'agit de toujours garder cette trame de fond même si nos discussions aujourd'hui avec nos fournisseurs concernent davantage les tarifs et l'approvisionnement », rapporte le directeur achats. En effet, sa principale préoccupation aujourd'hui est d'être livré. Pour sécuriser les approvisionnements, la façon de travailler a été repensée. Par exemple, les achats sont moins massifiés et au contraire diversifiés. La relation avec les fournisseurs a également été revue : les durées des contrats se sont allongées pour donner davantage de visibilité, et Agromousquetaires peut même financer des achats de machines ou des travaux de recherche. « Par cette démarche plus vertueuse, on cherche à devenir les clients préférés de nos fournisseurs », explique Nicolas Pinchaud.
Les approvisionnements, enjeu numéro 1 pour 96 % des responsables achats
La première étude menée par le magazine Décision Achats (en partenariat avec OpinionWay) s'est intéressée aux tendances achat. En cette période de pénuries, les approvisionnements arrivent en tête des enjeux, cités par 96 % des responsables achat interrogés (au même niveau que la compétitivité). Seulement, un quart des décideurs achats uniquement se disent leader sur l'aspect supply chain. « Les responsables achats doivent donc réussir à embarquer différentes fonctions de l'entreprise pour sécuriser la chaîne d'approvisionnement », constate Florian Thurmaud, directeur d'études chez OpinionWay. Autre défi qui émerge des réponses des personnes interrogées : s'assurer de la fiabilité des fournisseurs. Du côté de la RSE, moins d'un répondant sur dix estime être très avancé sur le sujet au niveau de sa direction achats. « Ils sont pourtant 55 % à estimer que la RSE représente davantage une opportunité qu'une contrainte », rapporte Florian Thurmaud. En effet, les achats responsables permettent notamment de renforcer la relation avec les fournisseurs. Même si l'immaturité de certains prestataires freine les directions achats sur le sujet. Pour avancer, deux tiers des responsables achats interrogés ont indiqué avoir mis en place un dispositif d'accompagnement pour aider les fournisseurs dans leur transition RSE.
A retenir :
- La RSE et la supply chain ont des conséquences mais aussi des solutions communes
- Une des solutions est de renforcer la collaboration avec les fournisseurs
- La collaboration doit avoir lieu avec l'interne également pour faire évoluer les pratiques achats et repenser la supply chain
- Il ne faut pas négliger la digitalisation, notamment dans une optique d'anticipation