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Inflation, relocalisation, risques : les achats, remède anti-crise en 2023 ?

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L'inflation se poursuit, les relocalisations se précisent, la gestion des risques fournisseurs se professionnalise... Si le sujets auxquels font face les achats en 2023 ressemblent à ceux de 2022, les tendances se précisent. Plus que jamais les achats sont stratégiques et doivent s'organiser pour tenir leur rôle.

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Quelle année 2023 se profile pour les directions achats ? " Nous allons vivre en 2023 à peu près les mêmes choses qu'en 2022, pense Stéphane Faustin-Leybach, directeur achats du groupe Naos (Bioderma, Esthederm, État Pur). Les tensions continuent ". La 14 édition de l'étude sur les priorités des directions achats, qui vient de paraître, ne lui donne pas tort : au menu de 2023 se trouvent toujours l'inflation, les problèmes d'approvisionnement et la relocalisation. Avec une petite pointe de RSE pour couronner le tout. Une année difficile s'esquisse donc pour les directions achats, d'autant plus que les relations avec les fournisseurs ne vont pas toujours dans le bon sens. Heureusement, la fonction est de plus en plus reconnue au sein des entreprises.

Les opportunistes de l'inflation

Le premier sujet pour les directeurs achats en ce début d'année 2023 est bien évidemment l'inflation. Stéphane Faustin-Leybach constate qu'elle touche tous les domaines que ce soit l'énergie, les transports ou les matières premières. " Les salaires augmentent légitimement en période d'inflation ce qui fait augmenter le coût de la main-d'oeuvre. Si bien que les fournisseurs répercutent des hausses ", raconte-t-il. Une répercussion parfois abusive ? C'est en tout cas ce que pointe l'étude, 81 % des professionnels interrogés disant que certains de leurs fournisseurs pratiquent de l'inflation opportuniste. Alexandre Billard, directeur achats groupe de Lumibird, spécialiste des technologies laser, constate en effet que de nombreux fournisseurs augmentent les prix, parfois de manière non justifiée.

" On parle de fournisseurs profiteurs. Il ne s'agit pas, comme l'année dernière, uniquement d'une relation déséquilibrée mais du fait que les fournisseurs appliquent une inflation opportuniste. Cela pose un gros problème dans le cadre d'une relation qui devrait être de confiance ", pense Olivier Wajnsztok, directeur associé d'AgileBuyer, cabinet de conseil en achat opérationnel, qui a mené l'étude en partenariat avec le Conseil national des achats (CNA). Ainsi, Laurent Belloni, directeur achats du groupe Schmidt, dit ne pas reconnaître certains de ses fournisseurs, qui ont imposé des augmentations dans une démarche " c'est à prendre ou à laisser ". " La vision est plus court-termiste et laisse moins la place à une relation de partenariat ", observe-t-il. Stéphane Faustin-Leybach ne relève pas d'abus de la part des fournisseurs mais dit travailler moins sereinement. " Les discussions sont plus tendues avec nos fournisseurs car les ruptures de stock de matières premières font qu'ils ne peuvent pas livrer tout le monde. Cela les met en position de force : ils choisissent qui ils livrent ", note-t-il.

Pour faire face à cette inflation opportuniste qui peut avoir un réel impact sur les marges, Alexandre Billard conseille de s'assurer du bien-fondé des augmentations demandées en entrant dans les structures de coûts des produits achetés. " Le contexte représente un vrai challenge pour les directions achats car cela demande de l'organisation et de la méthode ", juge-t-il.

D'autant plus que les directions achats doivent faire face, parallèlement, à une inflation qui est bien réelle, cette fois. Pour la contenir, Alexandre Billard dit faire appel à des leviers achats classiques : double-sourcing, resourcing, mise en concurrence... " On peut voir cela comme une opportunité car cela encourage à sortir de situations de monosourcing sur certains produits ", avance-t-il. Par contre, le groupe Lumibird, peu énergivore du fait de la nature de son activité, est modérément concerné par la hausse des prix de l'énergie. " Mais nous sommes quand même touchés indirectement à travers nos fournisseurs qui nous reportent la hausse du coût de l'énergie qu'ils achètent ", poursuit Alexandre Billard.

À propos de l'énergie, l'étude révèle que 68 % des directions achats sont couvertes à 50 % et plus en 2023. " Même si beaucoup d'acheteurs disent avoir anticipé la hausse du coût de l'énergie, un tiers ne l'a pas fait. Ces derniers vont au-devant de grands risques ", estime Olivier Wajnsztok.

Des risques vraiment mieux maîtrisés ?

Autre sujet qui se poursuit en 2023 : la pénurie. En 2022, 59 % des directions achats ont été confrontées à des pénuries critiques pour leur entreprise. À l'image de Stéphane Faustin-Leybach qui dit toujours faire face à des pénuries de matières premières mais pas sur les mêmes catégories que l'année dernière : " On retrouve le niveau d'avant la crise sur la disponibilité des tensio-actifs mais cette année la bataille se situe du côté des actifs comme les filtres solaires ", rapporte-t-il. Il s'attend cependant à une fin 2023 plus sereine. " Les perspectives sont meilleures, de nombreuses matières premières commencent à être relivrées normalement ". Olivier Wajnsztok entrevoit lui aussi une lueur d'espoir : " Les pénuries sont toujours à un niveau élevé mais sont moins importantes qu'en 2022. Certaines pénuries ont même disparu comme les containers ", se réjouit-il.

Laurent Belloni déclare même ne plus connaître de crise d'approvisionnement. " Nous retrouvons le taux de service d'avant la crise. Par contre, beaucoup d'entreprises arrivent en fin de PGE et la dynamique commerciale est moins forte : nous menons une surveillance financière de nos fournisseurs car cela peut devenir un sujet ", explique Laurent Belloni. L'objectif est d'intervenir à temps pour les aider, si besoin est.

Cet optimisme quant aux pénuries n'empêche pas les directions achats de s'organiser pour y faire face. " Les pénuries nous obligent à avoir une supply chain robuste ", estime Alexandre Billard. Le directeur achats groupe de Lumibird mène ainsi plusieurs chantiers, notamment autour de la gestion des stocks de sécurité et l'anticipation des besoins. " C'est un point sur lequel nous pouvons nous améliorer ", pense-t-il. Il travaille aussi la contractualisation avec les fournisseurs.

Du côté de Naos, Stéphane Faustin-Leybach a mis en place des task forces, des équipes recrutées spécialement pour double sourcer les matières premières stratégiques, voire les substituer. " Il y a trop de risque à n'avoir qu'un seul fournisseur ", juge-t-il. Cela permet aussi de faire face aux problématiques d'inflation, en mettant en concurrence les prestataires. Autre mesure prise chez Naos : les formules ont été revues pour se séparer des matières premières mal livrées. " Nous recherchons par ailleurs la sobriété en réduisant nos emballages afin de diminuer notre consommation et juguler une part de l'inflation ", ajoute Stéphane Faustin-Leybach.

Olivier Wajnsztok constate une meilleure gestion des risques de la part des directions achats. L'étude rapporte que, en 2023, 71 % des directions achats auront un objectif en matière de gestion des risques fournisseurs. " Après trois crises successives - les gilets jaunes, le Covid et la guerre en Ukraine -, la gestion des risques est plus intégrée. Si bien que le risque fournisseurs vis-à-vis de Taïwan est anticipé ", constate Olivier Wajnsztok. En effet, l'étude révèle que 26 % des directions achats ont élaboré un plan d'achats spécifique en cas d'invasion de Taïwan par la Chine. En effet, Taïwan est un des premiers fournisseurs en termes de composants électroniques et de nombreux secteurs risquent d'en souffrir.

" Friendshoring ", nouvelle manoeuvre anti-crise

Malgré cette inflation, les directions achats sont toujours attendues par leur direction générale sur la réduction des coûts, qui est citée en premier par les répondants à l'étude. La réduction des coûts/contribution au résultat net reste d'ailleurs l'objectif premier des achats en 2023, pour 66 % des répondants. Un chiffre en hausse de plus de 10 points par rapport à 2022 (cité à 55 %). Pour autant, Laurent Belloni ne veut pas sacrifier ses autres objectifs que sont le haut niveau de taux de service, les achats responsables, ou encore la transition énergétique sur l'autel de la réduction des coûts. " On maîtrise les dépenses en challengeant les besoins en interne mais aussi en achetant autrement et en revoyant la conception des produits ", décrit-il.

Surtout, dans ce contexte inflationniste, cet objectif de réduction des coûts peut être difficile à atteindre. Alexandre Billard préfère ainsi parler de " maîtrise des coûts ". " Les directions achats déjà bien structurées vont avoir du mal à réduire les coûts. Néanmoins, les achats doivent contenir l'inflation pour éviter un impact négatif sur le résultat de l'entreprise ", note-t-il. C'est ce qu'Olivier Wajnsztok surnomme des plans de réduction des coûts " défensifs ". " Il y a cinq ans, les plans de réduction des coûts étaient offensifs. Aujourd'hui, on cherche à limiter la casse ", précise-t-il. C'est pourquoi Stéphane Faustin-Leybach mise sur la réduction des dépenses, ce qui passe par de la sobriété mais aussi de la relocalisation. " Aller chercher plus près de chez nous offre un meilleur délai. Et à long terme, nous gagnerons sur le transport ", analyse le directeur achats de Naos.

Il n'est pas le seul à faire ce constat : selon l'étude, en 2023, presque la moitié des directions achats (49 %) envisagent une relocalisation en raison des crises successives. C'est 2 points de plus qu'en 2022. Une tendance qu'Olivier Wajnsztok qualifie de " friendshoring ", un néologisme pour décrire le fait de se fournir auprès de pays amis. " C'est une nouvelle notion : les personnes interrogées citent en premier la sécurisation comme bénéfice recherché à la relocalisation. On cherche à s'approvisionner dans des pays avec lesquels les relations sont stables afin de sécuriser les approvisionnements ", analyse-t-il.

Pour Alexandre Billard, qui cherche à relocaliser l'assemblage des cartes, le fait autant pour des raisons de maîtrise des coûts et de sécurisation des approvisionnements que de RSE. Le bénéfice environnemental est d'ailleurs cité en deuxième position, derrière la sécurisation, par les candidats à la relocalisation dans l'étude sur les priorités des directions achats.

La RSE devient incontournable : 70 % des directions achats ont en 2023 des objectifs liés à la RSE, ou, au développement durable. " L'envie de s'engager sur des sujets RSE est très forte, et notamment de travailler sur l'empreinte carbone. Mais le calcul de cette dernière, et notamment du Scope 3, est encore compliqué pour beaucoup de personnes interrogées ", constate Olivier Wajnsztok. En effet, si pour 32 % des directeurs achats, leur fonction contribue à la stratégie RSE de l'entreprise sur la mesure et la réduction de l'empreinte carbone, 68 % des directions achats ne connaissent pas l'empreinte carbone de leurs achats. Un calcul pourtant essentiel pour se donner une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre et réussir à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Rappelons que, pour atteindre cet objectif, nous devons diviser nos émissions de CO2 par quatre.

Des acheteurs heureux malgré tout

À ce titre, le groupe Naos va dans le bon sens : l'empreinte carbone est calculée depuis 2011. " C'est le service achat qui la calcule, notamment parce que plus de 60 % de cette empreinte au scope 3 sont à l'origine des intrants (les achats) ", indique Stéphane Faustin-Leybach. Pour lui, les achats ont plusieurs leviers pour réduire cette empreinte carbone, notamment vis-à-vis des fournisseurs : réduire les distances avec les fournisseurs, les orienter vers de la chimie verte moins polluante, les inciter à utiliser des process à froid plutôt qu'à chaud pour consommer moins d'énergie, etc. " Nous travaillons à un changement de technologie pour souffler à froid certains flacons, permettant de réduire significativement les parois du flacon ", précise Stéphane Faustin-Leybach. Ce qui permet non seulement de consommer moins d'énergie fossile et donc de réduire les émissions de CO2, mais aussi de réduire le coût de fabrication et de transport des produits.

Malgré ces nombreux challenges qui attendent les achats en 2023, entre inflation, relation fournisseurs et RSE, les acheteurs sont heureux puisque 82 % ont répondu l'être, et ce quelle que soit la taille de l'entreprise. " C'est une bonne nouvelle : malgré tous les problèmes auxquels ils doivent faire face, les acheteurs sont heureux de faire ce métier ", analyse Olivier Wajnsztok.

Est-ce dû au fait que leur fonction est de plus en plus stratégique au sein des entreprises ? 82 % des directions achats disent avoir vu leurs responsabilités renforcées à la suite des crises successives (crise sanitaire, ruptures d'approvisionnement...) " Le rôle de la direction achats est stratégique car les achats aident à maîtriser les approvisionnements, à contenir l'inflation et donc in fine à préserver la qualité de service délivrée à nos clients ainsi que la marge réalisée par le groupe ", considère Alexandre Billard. " Tout le monde a pris conscience de ce que les achats étaient capables de faire : le métier est mieux valorisé au sein de nos entreprises. Nous sommes une partie de la capacité donnée au commerce de réaliser l'activité de l'année ", poursuit Stéphane Faustin-Leybach.

Pourtant, le métier d'acheteur ne fait pas rêver : la moitié des directions achats déclare subir une pénurie de main-d'oeuvre. " Je ne connais pas de directeurs achats qui a ses équipes au complet », rapporte Olivier Wajnsztok. Stéphane Faustin-Leybach parle même de « crise de qualité de l'emploi ". Il a par exemple actuellement des difficultés à trouver des acheteurs seniors possédant une double compétence achats et chimie. Chez Lumibird, aussi, le recrutement est compliqué. Pour y faire face, le groupe fait appel à des cabinets de recrutement. " Nous mettons par ailleurs en avant nos différences et notamment le fait que nous sommes un petit acteur, international, très innovant, à forte croissance et au dynamisme certain ", rapporte Alexandre Billard qui reconnaît que cela peut attirer certains talents comme en repousser d'autres. S'il n'y a pas de formule magique pour recruter, s'engager plus sérieusement dans une démarche RSE peut contribuer à attirer des profils intéressants. En plus des nombreux avantages qu'une telle approche peut apporter.


Le groupe Schmidt prend la RSE très au sérieux

Le groupe Schmidt est labellisé " achats responsables " depuis 6 ans et mène des actions à 360 degrés sur le sujet : économie circulaire, écoconception, recyclage, réduction de CO2, recours au travail adapté... En outre, les acheteurs sont objectivés sur les sujets RSE, y compris le directeur achats lui-même. " Par ailleurs, les achats étant responsables du scope 3, nous emmenons nos fournisseurs vers des pratiques vertueuses en formulant avec eux un plan d'action et en les objectivant sur des critères RSE. Ce peut être un sourcing local, des transports verts, l'implantation de personnels du secteur adapté dans leurs usines, l'utilisation de matériaux recyclés, etc. ", décrit Laurent Belloni, le directeur achats du groupe. L'entreprise réalise également son bilan carbone, sur les scopes 1,2 et 3. " Nous avons défini un plan d'action et nous sommes clairs sur nos objectifs : nous avons adopté un scénario offensif pour y arriver le plus rapidement possible comme privilégier le recyclé ou les fournisseurs à proximité pour éviter les transports. Nous avons la conviction que les entreprises de demain seront engagées dans une démarche RSE ou ne seront pas ", indique Laurent Belloni.


 
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