Pourquoi l'IA nous fait tomber dans un mimétisme élégant mais stérile ?
Loin d'émanciper, l'usage intensif de l'intelligence artificielle tend à affaiblir une compétence jadis cardinale dans la fonction achats comme ailleurs, la pensée critique. Billet d'humeur.

Dans les discours sur l'intelligence artificielle, flotte un parfum d'émerveillement. On parle de productivité démultipliée, de décisions optimisées, de créativité augmentée. Les machines penseraient à notre place, mieux et plus vite.
Mais sous la surface, ce progrès algorithmique s'accompagne d'une lente érosion, celle de nos propres facultés. Loin d'émanciper, l'usage intensif de l'intelligence artificielle tend à affaiblir une compétence jadis cardinale dans la fonction achats comme ailleurs. La pensée critique ! Pourquoi remettre en question une réponse quand elle vient d'un moteur bardé de modèles probabilistes ? Pourquoi douter, argumenter, recouper, quand tout semble objectivé à coups de données ? Le doute méthodique, ce réflexe salutaire des professionnels confrontés à l'ambiguïté, s'étiole peu à peu dans le confort des réponses instantanées. Je ne pense plus... donc je ne suis plus.
À trop déléguer, nous risquons de désapprendre, et ce très rapidement. Les machines synthétisent nos textes, prédisent nos préférences, écrivent nos mails. Dans cette délégation de l'effort cognitif, c'est la mémoire elle-même qui s'atrophie. Le cerveau, peu sollicité, désinvestit. Et tout ce qui demande un effort au cerveau est impopulaire... Vous voyez une petite boucle s'enrouler sur elle-même. La concentration aussi, battue en brèche par la gratification immédiate des résultats générés, glisse vers une volatilité qui devient norme.
Plus insidieuse encore est la réduction de l'autonomie émotionnelle. En laissant des IA interpréter, filtrer ou même anticiper nos états d'âme, nous risquons de perdre cette faculté précieuse à nommer nos émotions, à en maîtriser l'expression, à en faire un levier d'intelligence relationnelle. Un risque d'autant plus préoccupant dans des métiers, comme les achats, où l'intuition et l'écoute demeurent des piliers.
Et que dire de la créativité, ce fragile éclat de singularité humaine ? À force de prompts calibrés, de modèles entraînés sur des idées passées, nous sombrons dans un mimétisme élégant mais stérile. La surprise s'efface, l'audace s'amenuise, l'originalité devient rare comme une conversation sans relief. Bienvenue dans un monde généré à 100% small talk. Vous avez dit creux ?
Je mets un dernier holà. Celui de la dépendance. Plus l'IA devient un réflexe, plus elle tisse une toile dans laquelle nous nous engluons. Un oubli de mot ? Chatbot. Un point juridique ? IA Génératrice. Un choix stratégique ? Tableau de bord prédictif. Nous avons inventé des assistants omniprésents... qui n'ont pas besoin de merci. Et nous risquons surtout d'en devenir les assistés et d'être quant à nous remercier.
Bien sûr, ce billet n'a pas pour volonté de vous rendre IA sceptique. Il est un appel à la vigilance. Si l'IA est un formidable outil, n'oublions pas que nous en possédons un tout aussi formidable. Ainsi importe-t-il de ne pas perdre de vue ce qui fait de nous des humains. Et de réussir à continuer à faire penser les équipes sans l'IA, et à renforcer l'innovation humaine sans cette dernière. Et ses exercices mentaux aux achats sont nombreux... Avant même de nous penser augmentés, commençons d'abord par éviter de nous diminuer.
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