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Les directions achats, moteur de la relocalisation

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Les directions achats, moteur de la relocalisation

Globalisation ne rime plus forcément, aujourd'hui, avec "délocalisation", mais de plus en plus avec "relocalisation". Le directeur achats dispose en effet de sérieux atouts pour encourager, voire engager, une action qui relève de la stratégie de l'entreprise.

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La relocalisation des achats peut résulter de deux types de choix : une décision proactive ou une décision réactive. " Dans le premier cas, l'entreprise relocalise pour créer de la valeur, parce que le "made in France" soigne son image de marque, notamment. Dans le second, la décision intervient parce que l'attrait des LCC (low cost countries) diminue et que les coûts inhérents augmentent ", explique Romain Daumont, directeur général France de Lowendalmasaï, cabinet de conseil en management global des coûts.

Après l'engouement pour la délocalisation, la relocalisation apparaît donc comme une réponse aux déséquilibres des coûts (transport, logistique, salaires), aux multiples barrières (douanière, monétaire, culturelle), aux questions liées au vieillissement de l'outil de production implanté dans un pays lointain, etc. " Au moment de réinvestir dans un outil stratégique, il peut être pertinent de s'interroger sur l'opportunité de le rapatrier et sous quelle forme (filiale, sous-traitance) ", ajoute Bertrand Maguet, administrateur de la fédération Syntec et associé du cabinet MLA Conseil, conseil en management.

Le directeur achats, acteur ou moteur ?

Dans les deux cas, le directeur achats a un rôle à jouer. Dans une perspective de stratégie de croissance ayant comme objectif le développement des ventes, " il peut avoir un rôle d'aiguillon, à condition de disposer d'une position stratégique dans l'entreprise - s'il fait partie du comité de direction -, car cette décision appartient au top management, voire au conseil d'administration ", précise Romain Daumont. Pour les autres, " c'est peut-être l'occasion de prendre leur courage à deux mains afin de proposer une étude sur le sujet ", ajoute l'expert. Il y a là une fenêtre de tir pour se montrer audacieux.

Dans le second cas, constatant que l'attractivité des LCC s'amenuise, le directeur achats peut réaliser une étude des coûts et voir si, à l'analyse du TCO, il est judicieux de rapatrier une partie de la sous-traitance à proximité de ses clients. S'il constate des dysfonctionnements - hausse des salaires dans les pays où les achats sont délocalisés, turnover qui met en péril la capacité de production voire la qualité, problèmes de corruption, etc. -, c'est à lui de tirer la sonnette d'alarme.

Dans l'industrie, le directeur achats dispose d'un périmètre d'action important. " Les achats d'approvisionnements de production ouvrent des perspectives hyper stratégiques, et le directeur achats peut être amené à reconstruire la chaîne d'approvisionnements ", commente Bertrand Maguet. Il doit donc faire accepter à sa direction un surcoût immédiat, "vendu" en contrepartie d'une meilleure qualité, d'une meilleure réactivité, d'économies ­ultérieures, etc.

Un cinquième des directeurs achats encouragés à relocaliser par l'interne
Selon la huitième édition de l'Observatoire des achats (1), dédiée à la transformation des filières des fournisseurs, qui sera dévoilée le 5 juin à Paris, seuls 21 % des sondés sont encouragés par leurs clients internes à relocaliser (20 % en France). Aucune famille de produits ou de services n'est particulièrement concernée par la relocalisation; les articles manufacturés et les matières premières arrivent en tête, mais ne dépassent pas la note de 2, dans un barème établi de 1 (très faiblement concerné) à 5 (très fortement concerné).
(1)
Source : Observatoire des achats 2014 de BearingPoint, Essec et Novamétrie (500 directeurs achats interrogés en Europe et en Asie, dont 150 en France, représentatifs de toutes les tailles d'entreprises).

Restructurer les filières fournisseurs

" Les directeurs achats sont de plus en plus concernés par la structuration des filières fournisseurs, qu'ils sont chargés d'organiser. Ils sont plus investis qu'auparavant de cette mission par leur direction générale ", constate Jérôme Courgeon, directeur associé de BearingPoint, cabinet de conseil en business consulting. La réorganisation de la filière fournisseurs passe par l'analyse des critères de choix : capacité de production, flexibilité, délais, réactivité, sécurité, compétitivité économique, infrastructure logistique. " Il s'agit surtout de tenir compte de critères récemment mis en avant, comme l'image de marque de l'entreprise, les risques liés à la propriété intellectuelle, la capacité à innover, et de les pondérer ", recommande Romain Daumont (Lowendalmasaï).

Le directeur achats ayant pour mission principale de contrôler les coûts des achats, " il doit apporter une vision en coûts complets des différents scénarios incluant les coûts de production des fournisseurs, les coûts logistiques, les coûts douaniers, les évolutions de parité de devises, etc., précise François Collineau, directeur du MBA spécialisé IMA à l'Institut Léonard de Vinci (Paris, La Défense). Il doit être capable de donner une perspective à moyen terme du coût complet, alors même que ses composantes évoluent constamment... "

Faire venir ses fournisseurs ou "internaliser"

Pas de recette miracle pour la relocalisation, car elle se gère au cas par cas. " Attention aux capacités de production, car nous avons beaucoup perdu en termes d'aptitudes manufacturières en Europe ", prévient Guy Elien, directeur associé de ­Clarans Consulting. S'il paraît difficile de trouver de nouveaux fournisseurs, la relocalisation peut passer par l'installation d'un fournisseur à proximité ou par "l'internalisation" de la source d'approvisionnement.

" La question de la compétitivité se pose. Le directeur achats, pour faire (re)venir ses fournisseurs, doit les convaincre qu'il n'y a pas de marché captif et qu'ils seront choisis ", conseille Jérôme Courgeon ­(BearingPoint). Une solution peut être le co-investissement. Mais dans ce cas, " attention au risque de dépendance et à la question de l'intégration, qui peuvent aboutir à des litiges ", prévient l'expert. Autre moyen : chercher des partenaires extérieurs, en mobilisant, par exemple, les collectivités locales, afin qu'elles facilitent l'implantation du ­fournisseur.

L'internalisation est aussi complexe. " L'opération se gère en mode projet, avec l'aide de la direction juridique de l'entreprise et de la supply chain, s'il s'agit d'implanter une usine ", indique Bertrand Maguet (Syntec et MLA Conseil). Tout doit être précisément planifié, avec une date de démarrage et une date butoir. Rapatrier une unité de production exige au moins une année. Un délai dont il faut tenir compte pour gérer la transition et garantir les approvisionnements tout au long du processus. " Plus l'entreprise industrielle intervient dans un domaine complexe, plus la relocalisation est délicate, car la société, ayant moins fait appel à la sous-­traitance pour des raisons de sécurité, doit rapatrier l'ensemble de ses unités d'approvisionnement ", conclut Bertrand Maguet.

Jean-Laurent Nectoux, directeur des opérations

Rossignol avait, depuis longtemps, délocalisé une bonne partie de sa production en Asie et en Europe de l'Est. Une organisation qui se traduisait tous les ans par une problématique récurrente. En effet, les ventes se font essentiellement pendant la période hivernale, ce qui suppose une capacité à assurer rapidement le réassort. Or le processus est plus lent quand les sites de production sont éloignés. Fin 2008, alors en difficulté, la société fait le choix de se recentrer sur ses quatre sites de production en Europe de l'Ouest, et en particulier à Sallanches (Haute-Savoie). " La motivation majeure était de rapprocher la production des consommateurs. Notre marché se situe essentiellement en Europe ", souligne Jean-Laurent Nectoux, directeur des opérations.
En 2010, les premiers rapatriements portent sur la fabrication de fixations, depuis la Pologne vers le site de Nevers, et de 75 000 paires de skis junior de Taïwan à Sallanches. La relocalisation se poursuit en 2012 : le site de Sallanches prend en charge la production de 20 000 paires de skis supplémentaires. La quasi-totalité de ces articles de glisse est désormais produite en France ou en Europe. Basculer sur une production locale a permis de passer d'un délai de plusieurs mois à quelques semaines pour le réassort. " Les ressources mobilisées dans le processus de relocalisation ont surtout été de nature industrielle ", décrit Jean-Laurent Nectoux. Elles ont porté sur le rapatriement des méthodes et de l'outillage sur le site de Sallanches pour réintégrer la production. Les achats sont intervenus à plusieurs niveaux : d'abord pour gérer la relation commerciale avec le sous-traitant, qui perdait de l'activité, et aussi pour organiser, avec ce dernier, le retour des moyens de production. Au vu des résultats de la société cette année, le slalom semble réussi.

Rossignol
Activité :
Fabrication et distribution de matériel de sports d'hiver
CA au 31 mars 2013 :
208 M€
Effectif 2013 monde :
1 184 salariés
Effectif 2013 France : 689 salariés
Budget achats 2013 : NC
Effectif achats :
6 personnes, dont le directeur des achats, Michel Imbert

Pour réussir la relocalisation de sa production, Atol mise sur la proximité avec ses fournisseurs

Cédric Veille, directeur des opérations et des approvisionnements industriels d'Atol.
" Nous étions partis contraints et forcés mais, depuis 2004, nous avions la volonté de produire de nouveau en France ", assure Cédric Veille, directeur des opérations et des approvisionnements industriels d'Atol, un service qui inclut les achats. À l'époque, le lunetier avait délocalisé une partie de sa production en Chine. Cette année-là, il profite du lancement d'une nouvelle gamme " avec des montures personnalisables, aux branches interchangeables ", pour tenter de relocaliser cette production en France. Les prix de vente plus élevés pour cette gamme justifient la production locale. Le lunetier compte alors un réseau de 200 magasins. " Les volumes commandés n'étaient pas suffisants pour ­motiver un fournisseur local ", se souvient Cédric Veille.
Fort d'une croissance des ventes qui se traduit par l'arrivée d'une centaine de magasins supplémentaires dans le réseau l'année suivante, le directeur remet sa casquette d'acheteur et retourne chercher des partenaires locaux. Avec succès, cette fois. " Un fabricant jurassien a signé en 2005 ", souligne-t-il. Depuis, plusieurs autres collections, toujours produites localement, ont été lancées et réussies. Pour s'assurer de la qualité comme de la pérennité des fournisseurs, Atol a développé des relations de proximité. " Nous sommes proches, géographiquement, et pouvons nous rencontrer plusieurs fois par jour pour parler des coloris ou des formes ", décrit Cédric Veille. Une proximité qui facilite le développement de nouveaux produits, " ce qui est plus simple quand on parle la même langue ", ajoute-t-il. Sur le plan économique, le lunetier accompagne ses fournisseurs en leur assurant des volumes globaux et en leur précisant chaque semaine les prévisions de volumes. Conséquence de cette proximité, les délais d'approvisionnement sont passés de quatre mois à quatre semaines par rapport aux fournisseurs asiatiques. " Depuis les débuts de la relocalisation, plus de 1,2 million de pièces ont été produites localement ", conclut ­simplement Cédric Veille.

Atol
Activité : Lunetier
CA 2013 : 400 M€
Effectif 2013 : 220 collaborateurs (siège social à Antony et l'usine à Beaune)
Budget achats 2013 : 130 M€
Effectif achats : 4 acheteurs, 4 approvisionneurs et 2 personnes à l'industriel ; l'ensemble de cette équipe coordonne les achats.


 
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