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Publié par le | Mis à jour le
© © Marc BERTRAND

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Comment travaillez-vous avec le marketing et l'innovation? Quelle est votre contribution? -

Nous avons, en interne, dans le cadre de notre programme achat "InnovAction", une banque de données centrale "WIN" qui répertorie plus de 600 innovations à disposition de nos clients internes. Chaque acheteur de notre réseau identifie et enregistre une innovation par an. L'innovation doit être décrite dans ce fichier et l'acheteur qui l'a enregistrée devient le référent. Nous avons un comité innovation qui étudie et valide les innovations décrites dans cette base.

Nous avons aussi instauré les "Innovations Days", des événements d'une journée organisés par les achats, à raison de six à sept par an partout dans le monde. À New York, Paris, Shanghai, Buenos Aires, Londres, etc. Les achats y présentent toute une série d'innovations sélectionnées sur le marché fournisseurs et en assurent la promotion auprès des équipes marketing. Sur les cinq dernières années, nous avons enregistré plus de 130 lancements de produits issus de ces journées.

Comment voyez-vous les achats dans les années 2020?

En trente ans d'existence, le métier d'acheteur a su se réinventer à chaque décennie, passant de la simple "Business Transaction" avec nos fournisseurs (négociation des prix), à un stade de "Business Relation" (compromis coût-délai-qualité, TCO), puis un modèle plus abouti de "Business Collaboration" (time-to-market, innovation, CSR, compliance). Enfin en 2020, les achats sont à l'aube d'un nouveau tournant : ce que j'appelle le "Business Amplification" ou comment les achats peuvent avoir une contribution active à la croissance du chiffre d'affaire de l'entreprise. Les entreprises ont toujours suivi un business model basé sur la distinction entre marchés clients et marchés fournisseurs, chacun occupant 50 % de l'environnement de l'entreprise. Leurs stratégies de vente ont toujours été tournées vers les marchés aval, soit une approche à 180° d'exploitation de leur environnement. Or demain, avec les nouvelles technologies de la communication comme l'Internet des objets, big data, Blockchain, l'aval et l'amont d'une même entreprise seront interconnectés, les fournisseurs de nos fournisseurs communiqueront avec les clients de nos clients, les frontières entre marchés fournisseurs et marchés clients s'estomperont pour ne former à terme qu'un seul et même marché externe. Et une entreprise ne pourra survivre durablement que si elle sait identifier et capturer toutes les opportunités de croissance sur 100 % de son environnement, en amont comme en aval, dans une approche de développement business à 360°. Il s'agit là d'exploiter un nouveau gisement de croissance business sur les marchés amont fournisseurs, gisement largement inexploré jusqu'à aujourd'hui.

Comment?

En mettant nos fournisseurs en contact avec nos forces de vente ! Comprenons-nous : il ne s'agit pas de transformer les acheteurs en vendeurs, mais plutôt d'utiliser notre connaissance des marchés fournisseurs pour identifier de nouvelles opportunités de croissance. C'est ce que nous nous employons à faire chez Moët Hennessy depuis deux ans dans le cadre de notre programme "Supplier Activation". Il s'agit de créer de nouvelles situations win-win où les fournisseurs peuvent avoir un accès privilégié à nos produits finis à des taux préférentiels et où l'entreprise voit ses ventes se développer aussi en amont. À ce titre, Moët Hennessy a reçu en décembre 2019 le Peter Kraljic Purchasing Award for Excellence 2010-2019 Inspiring Organisation & Practice for Impact on Revenue. Mais le "Business Amplification" avec nos fournisseurs peut prendre d'autres formes : des alliances sur des projets, des campagnes marketing communes, le partage d'intelligence marchés, la mise en commun d'outils de production... les opportunités sont nombreuses pour peu que l'on mette les achats et leurs fournisseurs dans une dynamique de business acumen. Cette dimension d'ambassadeur amont rendra le métier d'acheteur encore plus stratégique et impactant dans le futur.

Que répondez-vous à ceux qui pointent le risque de dépendance accrue chez vos fournisseurs?

Je réponds que lorsque l'on a commencé à parler d'innovations, et parfois d'exclusivités technologiques, avec nos fournisseurs, ce risque de dépendance avait déjà été montré du doigt. Dix ans plus tard, qui se plaint de l'innovation avec les fournisseurs ? L'interdépendance est inhérente aux relations commerciales entre clients et fournisseurs, le problème n'est pas la dépendance, mais la manière dont on la gère et notre capacité à transformer un risque en opportunité.

Et sur le sujet "Business Amplification"... les fournisseurs n'ont-ils pas à redouter la pression des donneurs d'ordres? Du type: si vous n'achetez pas mes produits, je ne me fournis pas chez vous?

Ce type de comportement appartient au passé. Le "Business Amplification" fonctionne dans les deux sens. Le client s'engage aussi à aider son fournisseur à conquérir de nouveaux marchés. Il n'y a bien sûr aucune obligation pour le fournisseur d'acheter les produits de son client. S'il décide de le faire, c'est qu'il en voit son intérêt : celui d'offrir un nouveau service à ses employés, d'associer son image à celle de produits de son client, de stimuler ses ventes en accompagnant la croissance de son client, ou tout simplement d'étendre son réseau de contacts en interne chez son client. Je pense que nous faisons de plus en plus partie d'un seul marché où le business doit se développer à 360°. Les demandes et les besoins sont interconnectés. Nos fournisseurs peuvent être nos clients et inversement. Et les fournisseurs de nos fournisseurs sont en contact avec les clients de nos clients. En réponse à cette évolution, nous proposons à nos fournisseurs d'avoir un accès privilégié à nos produits finis à des taux préférentiels, mais nous ne les y contraignons pas. Ce n'est pas parce qu'ils ne nous achètent rien que nous allons nous passer de nos fournisseurs ! Les deux courants d'affaire sont très distincts et je suis convaincu que très vite les doutes sur le bien-fondé de cette évolution achats se dissiperont.

Pour finir, que cela fait-il de travailler dans le secteur des vins et spiritueux?

La fierté d'être un ambassadeur de produits nobles et centenaires, de travailler dans un secteur où les notions de partage d'expérience, de terroir et de luxe se rejoignent. Et le privilège de faire la route des vins toute l'année ! Ajoutez à cela la satisfaction d'avoir vu Moët Hennessy être élu en 2018 "Organisation Achats de l'Année" lors du concours EIPM Peter Kraljic Award Winner. ? Propos recueillis par Fabien Humbert

Focus

Vous avez travaillé dans des secteurs très différents : FMCG, laboratoire pharmaceutique, acier, construction... que vous a apporté votre parcours ?

Je suis un chimiste qui a complété sa formation par un master achats, convaincu du potentiel de développement de cette fonction dans le futur. À chaque étape de ma carrière professionnelle, j'ai eu la chance de découvrir des dimensions différentes de la fonction achats. En début de carrière chez Cardinal Health (laboratoire pharmaceutique américain), j'ai été sensibilisé à la notion de maîtrise des risques qui est essentielle dans le pharmaceutique compte tenu des aspects règlementaires et du cycle de vie long des produits. Chez Colgate Palmolive, un impératif de réduction et maîtrise des coûts dans un contexte FMCG concurrentiel fort. Chez ArcelorMittal, l'importance de la compréhension macroéconomique et de l'anticipation des marchés du fait de la volatilité des cours de matières
premières et de l'acier. Chez Bouygues Construction, le pilotage en mode projet et la valeur ajoutée de la transversalité des achats dans un contexte où chaque projet est unique. Et enfin, chez Moët Hennessy (que j'ai rejoint en 2014), où j'ai découvert la prédominance des marques dans le monde du luxe et la dimension marketing dans les achats. Mon expérience professionnelle m'a enseigné qu'à chaque environnement industriel unique correspond une solution achats spécifique et adaptée.


Le parcours de Dominique Lebigot

Dominique Lebigot est CPO de Moët-Hennessy depuis 2014. Auparavant, il était CPO de Bouygues Construction (2009-2013). Il fut également General Manager Purchasing Group chez ArcelorMittal (2005-2009). Auparavant, il a exercé en tant que directeur achats Europe de Colgate (2001-2005). Dominique Lebigot a également travaillé pour Cardinal Health Inc. en tant que Global Director procurement et supply (1997-2001) et Purchasing Manager Europe (1993-1997). Côté formation, Dominique Lebigot est détenteur d'un master management of purchasing function (Desma) décerné par Grenoble Business School (1992) et un Post Graduate Master's degree in Chemistry (1991) obtenu à l'université Pierre et Marie Curie.

Moët-Hennessy

Activité : Branche vins et spiritueux du groupe LVMH

Chiffre d'affaires : 5,2 milliards d'euros

Effectif total : 10 000 personnes

Budget achats : 3 Milliards d'Euro

Effectif achats : 100 personnes, dont 80 acheteurs et une vingtaine de développeurs packaging


 
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Fabien Humbert

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