"À court terme, il est évident que les tensions sur les céréales vont augmenter"
Le Kremlin qui formule des attentes irréalistes, la Turquie qui souhaite se rapprocher du Vieux Continent, et un repli des prix de l'énergie. Tels sont les trois faits saillants sur les achats de matières premières et l'énergie avec une interview exclusive d'Olivier Lechevalier, cofondateur de DeftHedge.
Je m'abonneQu'observe-t-on sur les marchés ?
Comme souvent l'été, la géopolitique fait son retour sur les marchés financiers. En début de semaine, la Russie a décidé de ne pas reconduire l'accord de corridor céréalier permettant à l'Ukraine d'exporter ses céréales via la mer Noire. Ce n'était en rien une surprise. En revanche, la menace formulée par le ministère de la défense russe de considérer tout navire transportant des céréales en mer Noire comme une cible militaire a provoqué de nouveaux remous sur les marchés. Les céréales se sont envolées en milieu de semaine, avec une hausse de près de 9 % sur la seule séance de mercredi du cours du blé. Il est peu probable que la Russie mette à exécution sa menace. Toutefois, cela va compliquer le travail des transporteurs et il faudra certainement compter sur le soutien militaire de la Turquie, qui est la vraie puissance maîtrisant la mer Noire, pour assurer un transit en toute sécurité. Le Kremlin a formulé plusieurs demandes irréalistes pouvant aboutir à un prolongement du corridor, notamment la fin des sanctions occidentales à l'égard des producteurs de fertilisant russes et la réintégration de l'ensemble des banques russes dans le système Swift. Il y a peu de chances que cela aboutisse. En parallèle, des États européens ont proposé une nouvelle route de transit pour les céréales ukrainiennes. La Croatie propose notamment de mettre à disposition ses ports et son réseau ferré. Reste à savoir si cela sera suffisant.
Quelles conséquences pour les entreprises ?
Il est encore trop tôt pour percevoir les conséquences à long terme du retrait russe de l'accord de corridor avec l'Ukraine. En revanche, à court terme, il est évident que les tensions sur les céréales vont augmenter. C'est une mauvaise nouvelle car cela va entretenir l'inflation sur les intrants, en particulier pour le secteur agroalimentaire, les distributeurs et si cela perdure, ce sera inévitablement répercuté sur le consommateur. L'inflation alimentaire reste un problème épineux pour la plupart des économies développées. On observe un repli des prix de l'énergie (principal facteur de baisse des prix à la consommation). Sur le front de l'alimentation, l'inflation reste encore élevée et ne montre pas de signe de baisse réelle. Ce qui se passe en mer Noire est donc un autre facteur de préoccupation.
Quels sont selon vous les points de vigilance à surveiller ?
Le rôle de la Turquie va être décisif. C'est la puissance navale qui contrôle la mer Noire. On sait que le président Erdogan, réélu pour un nouveau mandat, souhaite se rapprocher de l'Occident. La visite de Janet Yellen à Istanbul il y a quelques jours de cela le montre. Si aucun accord entre l'Ukraine et la Russie n'est trouvé sur le front céréalier, on ne peut pas exclure que la marine militaire turque décide de sécuriser un corridor de transit pour les céréales. Militairement, la Turquie est en mesure de le faire. Politiquement, ce serait un coup de maître pour Erdogan qui lui permettrait d'avoir les faveurs des Occidentaux et de conforter sa position auprès des pays émergents et en voie de développement qui risquent d'être les premiers à souffrir de la non-reconduction de l'accord