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"La responsabilité des achats s'accroît en même temps que l'incertitude"

Publié par Aude Guesnon le - mis à jour à
'La responsabilité des achats s'accroît en même temps que l'incertitude'
© Emmanuel Fradin

Comment la direction achats de Elior Group a-t-elle géré la crise ? Quelle sera la contribution des achats à la reprise ? Rencontre avec Ruxandra Ispas, directrice Nutrition, Achats et Logistique de Elior Group, qui livre son regard sur la valeur ajoutée d'une fonction sous pression.

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Quels enseignements retirez-vous de cette crise ?

On parle beaucoup des achats en ce moment, à cause de leur rôle clé dans le sourcing des masques en Chine, notamment. J'ai noté avec une grande satisfaction qu'Angela Merkel a été jusqu'à encenser les achats pour cette raison ! En même temps, on vilipende ce même sourcing, car il est le signe d'une dépendance accrue aux circuits d'approvisionnements internationaux que personne n'a vue ou anticipée... Tout cela est paradoxal.

Au-delà des masques, cette crise fait ressortir un besoin impérieux de repenser ce qui est tout à la fois essentiel pour les consommateurs et stratégique pour l'entreprise, et ce, afin de construire une supply chain, du producteur au consommateur, centrée sur la sécurité et la valeur, et non pas seulement sur le prix.

Sécuriser la supply chain dans l'ambiguïté...

Nous avons besoin d'une supply chain robuste, capable de fournir des produits de qualité dans un monde imprévisible. Durant des années, le modèle S&OP était le must, il fallait tout prévoir, planifier. Or "je ne sais pas" revient beaucoup dans les discours actuels, et tout ce sur quoi les achats et la supply chain s'étaient appuyés vole en éclats. La prévision et la planification deviennent missions impossibles. Aujourd'hui, nous devons faire preuve d'agilité et de vitesse... et une grande partie de la solution vient du sourcing.

Quelle sera la contribution des achats à une bonne reprise ?

La valeur avant le prix ! L'enjeu est de reconsidérer nos achats pour bien comprendre ce qui a de la valeur aux yeux de nos clients et mettre en place des politiques de sourcing pour y répondre. Par exemple (nous sommes dans l'alimentaire !) une qualité gustative, la diversité des produits, une sécurité alimentaire à toute épreuve, la préservation des terres et des ressources, le juste traitement des agriculteurs, sont autant d'éléments de création de valeur pour notre écosystème. Ceci nous amène vers du sourcing de proximité et des supply chains courtes avec tous les enjeux que cela comporte : les saisons et la météo, la disponibilité de la main d'oeuvre pour semer et récolter, le transport, etc. Dans un environnement imprévisible, une supply chain courte est plus facile à maîtriser.

Est-ce qu'acheter en local est, selon vous, une façon de sécuriser ses approvisionnements ?

Sécuriser la supply chain est un sujet à tiroirs ! Il faut effectivement s'approvisionner en local d'une part, et plus loin, lorsqu'on n'a pas le choix, jusqu'à ce que certaines industries soient relocalisées. La responsabilité des achats s'accroît en même temps que l'incertitude. Il faut aussi se mettre d'accord sur ce que "local" veut dire. Il ne faut pas être dogmatique. On ne va pas cesser de boire du champagne à Nice, ou manger des abricots à Lille, parce qu'ils ne sont pas produits localement ! Pour moi le "local", c'est d'abord la France. Par exemple, cherchons des fruits et légumes de saison, produits en France, tout le monde y gagnera. C'est meilleur en goût, bon pour les producteurs, bon pour la planète, et bon pour le portefeuille, car les fruits et légumes sont moins chers en saison. Mais si le consommateur continue à manger des tomates en hiver, alors tout vole en éclats.

Mais alors.... On ne mangera plus de mangue, par exemple ?

L'absolu n'est pas de ce monde. Entre 0 et 100 %, il y a une graduation. Veillons à consommer d'abord les fruits et légumes de saison produits en France, au plus près du consommateur, et nous aurons déjà fait un grand pas. Et autour de cela, il restera une place pour les produits qu'on ne produira jamais en France métropolitaine, ou en Europe. Il restera toujours des exceptions dans le sourcing.

Vous dites que sourcer localement est bon pour la terre. Le bio l'est encore plus...

Ma mission est d'assurer un sourcing responsable, dans le cadre d'une alimentation saine, équilibrée, savoureuse et respectueuse de la planète. Je fais ici référence au NutriScore, car chez Elior nous sommes les premiers à afficher le NutriScore en restauration collective, en partenariat avec l'Inserm. Une carotte bio, d'un point de vue nutritionnel, est équivalente à une carotte conventionnelle, mais pour l'écosystème, c'est effectivement meilleur. Néanmoins cela a un coût... il faut que le consommateur accepte donc de payer plus cher. Et puis, il y a bio et origine du produit. Faire venir des avocats bio d'Amérique du sud est une aberration. Si l'on considère le transport, l'emballage distinct, etc... En termes de RSE, on ne peut que constater que l'empreinte est mauvaise.

Tout est affaire de dosage...

Il s'agit de trouver le meilleur équilibre "sécurité alimentaire / RSE / coût". Ne jamais être absolutiste pour pouvoir nourrir le plus grand nombre avec une alimentation nutritionnellement bonne. Il faut toujours se demander "quelle est ma contribution à cette chaîne de valeur ?" Ma réponse à moi est claire : je dois apporter la meilleure alimentation, sourcée au plus près en étant le plus responsable possible. Une mission qui n'est pas simple...

Quelle fut l'activité de Elior Group durant le confinement et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Nous avons fourni principalement les établissements de santé, les cliniques, les hôpitaux et les Ehpad, mais aussi l'armée, les structures pénitenciaires, et quelques entreprises qui ont continué leurs activités.

Nous avons eu des difficultés avec les produits frais, car la demande est fluctuante, les industriels ont réduit leurs gammes, et les distributeurs ont réduit les stocks. Heureusement, nous n'avons pas subi de pénurie, nous avons été approvisionnés en flux continu.

Justement, comment vous êtes-vous assurés d'être approvisionnés par vos fournisseurs ?

Nous avons des relations de longue durée avec nos partenaires. Nous sommes peu, voire pas du tout, dans les achats d'opportunité. Nous privilégions les relations et partenariats de long terme, que les quantités à commander soient faibles ou importantes. Et nous avons été particulièrement attentifs à nos délais de paiement. Nous mettons un point d'honneur à payer nos fournisseurs dans les temps, surtout dans des périodes comme celle-ci ou la trésorerie est cruciale.

Votre activité ayant réduit, comment vos fournisseurs ont-ils géré cette baisse d'activité ?

Nous avons des points quotidiens avec nos fournisseurs clés et nous travaillons ensemble pour caler au mieux toute la chaîne, en équipe élargie, car l'information doit circuler très vite pour que chacun puisse s'organiser au mieux et éviter le gaspillage.On pilote bride courte, tout le long de la chaîne d'approvisionnement. ? propos recueillis par aude Guesnon

 
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